Le retour à la maison (2/2)

Message du Professeur Zolmirel (suite)

Le matin venu, arrive un message très affable du sage Zablinsk. Les enfants vont être prochainement admis en cours de planétologie et d'exploration stellaire, explique-t-il. Les ingénieurs du vaisseau en construction sur lequel ils ont déjà travaillé à plusieurs reprises, se sont montrés très satisfaits d'eux.

J'ouvre ensuite le transcommunicateur et reçois une fréquence inhabituelle. Il est question de félicitations nombreuses et variées, provenant des différentes familles d'aliens que nous connaissons.

Je comprends alors que mon union avec Zilmis a été acceptée, et qu'un prêtre viendra nous bénir, accompagné de plusieurs anciens.

Les enfants bondissent de joie, et nous commençons à discuter des préparatifs. Le soir venu, je me rends au centre de soins, afin de rendre visite à Amoni, qui a oublié un stock d'herbes médicinales. Celui-ci est au jardin. J'aperçois alors une grande silhouette assise et drapée dans un voile très fin, ponctué de brindilles, et de feuilles. Une grande alien à la silhouette harmonieuse est assise. Le sage Amoni lui parle, et le regard de l'inconnue me semble alors complètement, totalement vide. Mon ami est occupé à retirer les brindilles de sa tunique avec des gestes infiniment aimants.

• Ensuite, pour le plat de résistance, j'ai songé à un velouté d'algues bleues aux épices, explique-t-il à la dame alien.

Je frémis, car je ne veux surtout pas les surprendre, mais une sorte d'émoi intense me saisit. Amoni étale une crème sur les mains de la belle apparition qui semble apprécier ce traitement. Elle lui jette un regard totalement évanescent et chantonne d'un air absent. Il se lève et s'apprête à partir, mais l'alien pousse un gémissement inquiet.

• Demain, je reviens demain, lui dit-il. Vos mains sont bien mieux ainsi.

A cet instant, je m'avance et Amoni devient absolument livide.

• Et si vous invitiez cette charmante personne à notre petite fête ? Ce serait une excellente idée, lui dis-je.

• En aucune manière, cela est absolument interdit, vous n'y pensez pas ! Cette alien est une prêtresse, un être sacré. Elle n'est jamais sortie de cet endroit depuis son arrivée, répond Amoni avec quelque effroi.

• C'est vrai, mais cela lui ferait peut-être du bien de prendre l'air. Et cela améliorerait grandement son état. Ce n'est pas en restant ici qu'elle apprendra à articuler convenablement, d'autant plus qu'elle n'a pas l'air du tout d'avoir envie de vous laisser partir, répondis-je avec assurance.

   

Effectivement, la grande alien serrait dans sa main le poignet d'Amoni avec une force surprenante. Je souris, car ils étaient de tailles absolument égales. Intriguée par ma venue, l'alien étrange se pencha pour mieux me détailler.

• C'est intéressant, fit Amoni. C'est la première fois qu'elle est intéressée par quelqu'un. C'est très encourageant de pouvoir ainsi susciter une réaction. D'habitude, elle ne parle qu'aux oiseaux et aux lézards, pourtant, je lui parle régulièrement chaque jour et je lui fais la lecture.

• Les experts en cordes vocales ont-ils pris la peine d'examiner sa gorge ? questionnais-je.

• Les prêtres s'y opposent. Ils disent qu'il s'agit d'un être sacré et qu'elle ne doit recevoir aucun soin. J'ai eu toute la peine du monde pour avoir l'autorisation de lui faire boire des remèdes apaisants.

L'alien étrange fixait les poches qui garnissaient mon habit avec une sorte d'émerveillement. Elle saisit une pomme de pin qui dépassait de ma poche et l'examina comme s'il se fut agi d'un trésor. Je reculais, un peu intimidé.

• Elle ne vous fera absolument aucun mal, expliqua Amoni. Elle n'a juste jamais rencontré un petit alien comme vous.

• C'est absolument scandaleux de priver ainsi cette alien de ses facultés de pensée et de ne rien tenter pour les voir refleurir, protestais-je.

• Les absents sont révérés par les prêtres, et l'on ne peut rien faire. Mais d'ici quelques mois, la période sacrée prendra fin et l'on pourra ainsi commencer à guérir cette alien expliqua Amoni.

   

Ce jour là, nous avons eu toutes les peines du monde à quitter cette aimable apparition. Elle consentit à lâcher la main d'Amoni et replongea dans ses murmures évanescents inintelligibles.

• Il serait absolument souhaitable que vous vous chargiez de tels soins, exposais-je à mon ami avec une vigueur inaccoutumée.

• Et pourquoi donc ? s'étonna Amoni en toute innocence.

• Parce que cette alien a besoin de vous et que vous êtes le guérisseur le mieux placé pour veiller sur elle, assurais-je. Et que cela me semble indiscutable !

• Indiscutable ? Mais enfin, il est normal que les patients s'attachent ainsi aux guérisseurs.

• Non, elle a tissé avec vous un lien particulier, et cela me semble réciproque, exposais-je en montant dans notre petit transport à répulsion, que je fis promptement décoller.

• Enfin, en aucune manière ! se défendit Amoni avec vigueur. Cette alien est une patiente, entendez-vous ! Et je suis là uniquement pour la guérir !

• Je ne doute aucunement de votre immense dévotion et de votre professionnalisme. Mais ne disiez-vous pas que tous les êtres ont besoin d'amour ? Vous me semblez être le seul lien entre le monde qu'elle s'est créé et la vie réelle.

• Nous ne sommes pas censés fraterniser avec les patients, ni nous attacher à eux, soupira Amoni.

• Ni mettre de la crème sur leurs mains, lançais-je en riant.

• Ses mains sont toutes crevassées. Elle déterre toutes sortes de choses, des débris de bois, des fruits et des racines... Elle aide les oiseaux à faire leurs nids. Son esprit doit avoisiner celui d'une enfant de quelques années, souligna Amoni avec une peine immense.

• Cela peut changer, dis-je en réconfortant mon ami. Nous savons tous que parfois, les esprits voyagent d'un corps à un autre et qu'un autre esprit peut prendre place dans un corps.

• Il est très difficile pour un corps adulte de recevoir une nouvelle âme, un nouvel esprit. Cela prend beaucoup de temps... soupira Amoni.

• Mais a déjà été observé chez un absent. Ce principe est d'ailleurs employé pour rendre leur raison aux être dépourvus d'intériorité.

• Effectivement. Voici pourquoi l'action des prêtres est très importante, il n'y a qu'eux qui pourront bénir cette enfant et lui permettre de se régénérer, même si cela prend du temps, j'en conviens. Les cérémonies ont lieu une fois par semaine. Elle devient à la fois bien plus détachée, et paradoxalement, durant certaines périodes, son attention peut mieux se fixer. Ces éclairs de lucidité sont bouleversants.

• Et vous en souffrez beaucoup, ami. Je ferai tout pour vous aider. Ayez confiance.

• J'ai confiance en vous, et en cette alien. J'espère qu'elle pourra bientôt choisir un prénom...

Notre trajet fut interrompu par la pluie. Amoni et moi-même sommes revenus absolument trempés, à la nuit tombée. Une surprise nous attendait. Ayant perçu notre désarroi, Zilmis, Orel et Dorian avaient préparé une table chaleureuse avec les enfants. Nerti et Zilner fixaient leur père avec un regard inhabituellement ému ce soir là. Ému, je l'étais pareillement, et une joie secrète nous animait tous. Nous songions avec un bonheur absolument inouï à l'esprit qui avait pu se poser sur la belle apparition. Un esprit autrefois si proche des enfants, que nous chérissions déjà sans le connaître.

Chacun de nous murmura des prières ce soir là. Nous nous sommes attablés et la conversation se porta sur la naissance des planètes à partir de petits astéroïdes mineurs. Elle fut brillante et passionnante, les enfants ayant grandi en soif de connaissances et en prescience. Chacun de nous rit de bonheur, en songeant à ces cultures que les experts installaient dans les lieux les plus improbables pour aider nos mondes amis.

Vous en faites également partie et notre action sur votre monde est importante pour préserver la fertilité de la Terre. Nous vous aimons et nous vous saluons avec toute notre affection en cette période bienheureuse de fêtes et de cadeaux.

Vous pouvez reproduire ce texte et en donner copie aux conditions suivantes : 

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