Les semeurs de mondes (2/4)

Publié le par Aurélia LEDOUX

Les semeurs de mondes (2/4)

Message du Professeur Zolmirel (suite)

 

 

A cet instant, une vibration télépathique d'avertissement jaillit. Un oiseau énorme approchait, et il se posa devant notre petit groupe abasourdi.

 

Minel vint instantanément se placer devant nous tous, face à un immense volatile de deux mètres de haut. Il ressemblait à un mélange abouti entre un ibis aux plumes gris bleu et un pélican au bec crochu.

 

  • Elia na kan, dit-elle aux guetteurs qui pointaient leurs paralyseurs sur l'intrus.

  • Ne tirez pas, traduisit Dorian. Cet oiseau est là pour une bonne raison.

  • Comment cet oiseau a-t-il pu traverser la barrière ? demanda Zilmis d'une voix chevrotante.

 

L'étrange oiseau aux yeux d'or fixa Zilner de son regard intense. Il se pencha lentement et creusa le sol sablonneux. Il en extirpa une noix, qu'il saisit délicatement dans son bec, puis s'envola en poussant un cri joyeux.

 

  • Incroyable ! s'exclama Amoni. Vous pensez qu'il va la replanter ailleurs ?

  • Mais oui, répondit Erazel. Les animaux sont très conscients de leur implication dans le cycle de la vie. Ici, elle est fragile et tente de s'accrocher vaillamment.

 

Cela faisait beaucoup d'émotions pour nous, et chacun commenta la venue du bel oiseau. Quelque part, sur ce monde nouveau, une autre forêt allait naître d'ici peu. Nous avons remonté le raidillon étroit, le petit Zilner assez tremblant sur ses jambes. Son père le porta, et nous sommes repartis à bord de la nef.

 

Le voyage du retour fut silencieux. Il était prévu que nous devions rester une quinzaines de jours, ni plus, ni moins.

 

 

Le soir venu, quinze sites de plantation avaient déjà été garnis de semences et de plantules avec un beau succès. Des milliers de végétaux avaient pu être semés un peu partout, des planeurs autoguidés se chargeant des semis dans les endroits les plus reculés.

 

Toujours désireux d'apporter son aide, Zilmis se chargea de les inspecter à leur retour. Chaque planeur faisait deux à trois mètres d'envergure. Il était composé d'une voile rétractable et d'un générateur à répulsion magnétique.

 

Il saisit le premier appareil, et je l'imitais, surpris du poids insignifiant de l'engin. Zilmis prit un tube d'aspiration muni d'une brosse et retira le sable et la poussière. J'agis de même.

 

  • Ils semblent assez simples, exposais-je.

  • Ils ne doivent pas toucher le sol, expliqua Zilmis, ni interagir avec les formes de vie. Ils doivent être discrets et efficaces. Je suis embarrassé, l'un des planeurs n'est pas rentré.

  • Combien en avez-vous lancé ?

  • 1052, exposa mon ami en consultant un cadran. Nous irons le récupérer demain.

 

J’acquiesçais. Bien sûr, cette perte était minime, mais nous devions agir de manière aussi respectueuse que possible. Nous étions là pour veiller à l'épanouissement de la vie sur une planète, non pour y laisser des débris. Abandonner un engin téléguidé en mauvaise posture était impensable. La nuit interdisait une mission de récupération, à cause de plusieurs troupeaux de lézards affamés.

 

Aussi, je continuais à brosser chaque engin téléguidé pour en recueillir le sable et les fragments de vie, qui seraient analysés en laboratoire. Chacun d'entre nous devait brosser environ dix engins, et les réapprovisionner en graines d'espèces précises. Le nombre important d'occupants sur le navire rendait cette tâche relativement plaisante, les drones devant repartir le lendemain même aux emplacements définis sur une carte.

 

Le soir venu, quelque peu tremblant, Zilner regagna sa chambre sans rien avaler. Son père resta avec lui pour le réconforter. Il revint un peu plus tard, et nous rassura.

 

  • Il s'est endormi, dit-il. Il a croisé le regard de l'oiseau, et toutes ses pensées. Cela a été un choc pour lui.

  • Et pourquoi donc ? demanda Zilmis déconcerté.

  • L'oiseau a du mal à survivre. Les animaux ont peu de ressources. Les lacs salés abritent trop peu d'algues.

  • Il nous faut prendre ce fait en considération, exposa Erazel. J'informe les ingénieurs de ce fait essentiel. Nous allons concentrer nos efforts sur les algues dès demain.

     

     

Chacun de nous sirota un breuvage apaisant, dont Amoni avait le secret. Je surpris le regard intense de Minel, qui détaillait son bien aimé avec flamme.

 

  • Il faut que je me rende à la salle réfrigérée à mon lever, expliqua Erazel. Il y a là de nouvelles formes de vie glaciaires qui ont besoin d'être réveillées et stimulées.

     

J'étouffais un rire nerveux en rosissant, car Minel avait rejoint Amoni dans la minuscule cuisine, pour l'aider à débarrasser la table. De longs éclairs blancs jaillirent entre eux, et chacun de nous s'empressa de gagner sa chambre, prétextant une lecture à achever.

 

Le vaisseau était parfaitement calme, et je m'absorbais dans un traité de repeuplement végétal, consacré aux zones venteuses et glacées. Je réfléchis sur des plantes salines qui seraient en mesure de survivre en ce milieu.

 

De telles plantes possèdent un fluide salé, qui leur permet d'absorber directement la neige et la glace en la faisant fondre pour survivre. Il existe de nombreux champignons qui apprécient les milieux rigoureux. Il me sembla entendre quelque chose, ma réflexion fut troublée comme par un soupir bienheureux. Avais-je rêvé ? Je n'entendis rien d'autre. À bord des vaisseaux, les chambres sont isolées parfaitement les unes des autres, pour ménager le bien être des passagers.

 

Espérant de tout cœur qu'Amoni allait bien, je murmurais une prière, et m'endormis.

 

Le matin venu, je m'éveillais d'humeur fort joyeuse. J'avais entrevu en mon esprit quelles plantes pourraient convenir au milieu arctique que nous allions prochainement visiter. Erazel et moi-même étions tombés d'accord là dessus.

 

Je préparais avec elle le petit déjeuner, et ne soufflais mot en avisant un Amoni tremblant au cou entouré d'écharpes. Cependant, mon regard dut exprimer une sourde inquiétude.

 

  • Je vais bien, exposa-t-il avec un sourire apaisant, une fois que nous nous sommes retrouvés seuls. Mieux que bien, en vérité, dit-il en laissant échapper un éclair.

  • Que vous a-t-elle fait ? demandais-je avec effroi en avisant des griffures légères sur ses bras et son cou.

  • Son énergie est un peu déstabilisante pour les nôtres, mais je l'aime tendrement. Minel est habitée des pensées les plus pures qui soient, exposa un Amoni euphorique.

  • Ça je n'en doute pas. Laissez-moi au moins soigner cette plaie, le priais-je.

  • Je m'y suis déjà employé, répondit Amoni en montrant une unique morsure violette de taille raisonnable. C'est parfaitement indolore et les Denakhs ne sont pas venimeux.

  • Vous m'en voyez fort réjoui. Les mœurs des Denakhs sont bien étranges dans le choix d'un époux, soupirais-je. J'espère qu'avec le temps, elle deviendra plus... posée. Je pensais qu'elle avait été sevrée avec succès.

  • Il en est bien ainsi, mais cela ne s'applique pas à moi. Elle est habitée de certains instincts de prédation. Si vous saviez combien elle était embarrassée de tout ceci. Avec le temps, cela ira de mieux en mieux, dit-il simplement en remettant son écharpe.

 

Je réprimais un frisson, en devinant un autre morsure légère sur sa gorge. En effet, si tout ceci était indolore, je n'avais pas à m'inquiéter. Toutefois, les Denakhs, qui avaient la réputation d'être froids, en apparence, étaient connus pour être très démonstratifs avec leur moitié. Amoni cacha les autres marques de son mieux au moyen d'écharpes, et nous n'avons plus parlé de tout ceci.

 

 

Nous sommes retournés servir le petit déjeuner aux enfants, et Minel parut. Elle semblait cette fois vraiment rayonnante. Elle me serra contre elle, de même que Zilmis, en murmurant de douces paroles rieuses. Nous nous sommes regardés, abasourdis, ressentant une immense énergie grisante.

 

  • À elle-seule, elle pourrait recharger en un tournemain le réacteur d'un long courrier massif échoué ! murmura Zilmis en rosissant.

 

Je réprimais un rire nerveux et pris place avec les enfants, buvant mon infusion du matin. Minel choyait le petit Zilner, qui semblait aller bien mieux par rapport aux émotions de la veille. Elle fixa Amoni d'un regard éclatant, et il saisit tendrement sa douce main de neige. Les lumières vacillèrent un instant, une pluie d'énergie nous entoura tous, nous faisant baigner dans une belle euphorie.

 

  • Ik toma... fleurs... montagnes ? demanda Minel avec peine.

  • Nous n'allons pas semer de fleurs aujourd'hui, répondit Erazel, elles sont trop fragiles. Il faut des espèces qui survivent au blizzard, et qui arrivent à recueillir l'eau par leurs racines.

 

Minel continuait de serrer la main d'Amoni dans la sienne, chose inhabituelle, mais bienvenue. Tous deux semblaient follement attirés l'un par l'autre. Aussi, chacun de nous retourna en sa chambre se préparer, leur laissant un moment rien qu'à eux dans la cuisine.

 

  • Quand est-ce que mon père va enfin l'épouser ? demanda le petit Nerti, alors que je l'aidais à enfiler les gants d'une tenue polaire extrême.

  • On peut dire que tu es toujours direct, m'amusais-je. Il faut poser cette question à ton père, mon enfant. Il existe certaines barrières morales inhérentes aux relations entre patients et guérisseurs.

  • Je veux qu'elle reste, fit simplement le petit alien. Maintenant, elle est redevenue notre mère.

  • Oui, moi aussi, je veux qu'elle reste ! lança le petit Zilner, en sautillant maladroitement pour enfiler sa combinaison. Notre père est beaucoup plus heureux avec elle, il rit bien plus qu'avant.

  • Cela se fera, cela arrivera mes enfants. Il faut juste du temps, dis-je en choisissant d'un air résigné une combinaison à ma taille sur une étagère.

     

J'enfilais à mon tour l'habit spatial, me contorsionnant en tous sens. Les enfants vinrent à mon secours pour m'aider à passer mes gants, et à vérifier l'étanchéité de cette tenue.

 

  • Il faut du temps pour quoi ? Ils s'aiment, non ? Pourquoi les belles choses doivent-elles prendre autant de temps pour se produire ? questionna Nerti avec quelque vigueur.

  • Je partage ton ressenti, exposais-je sans ambages. Il reste peu de traditions en notre province. Mais les règles séculaires qui dictent la conduite des guérisseurs imposent quelque délai. En particulier concernant une imparfaite qui devait être promue au rang de prêtresse. Il en est de même pour la constitution des familles. Sois patient mon cher petit et tu verras que de très belles choses adviendront.

     

Je soupirais quelque peu. Les enfants connaissaient le contrôle des naissances sévère qui régnait sur mon monde. Le nombre d'habitants devait demeurer inchangé, car les nôtres vivaient fort vieux. Chaque nouvelle génération de couples « autorisée » avait le droit d'avoir deux enfants au maximum, si elle était sélectionnée génétiquement. La sélection était très précise.

 

Amoni était très vieux, il avait consacré son temps à guérir, des siècles et des siècles durant, il avait sauvé des milliers d'êtres. Son excellence lui avait donc permis d'adopter Nerti et Zilner. Les anciens avaient fait preuve de compréhension, lorsque les enfants l'avaient choisi comme père, et qu'ils m'avaient également choisi, un peu comme un oncle. Ce faisant, Amoni et moi-même avions renoncé à notre droit de naissance. Il ne serait pas autorisé à avoir de petit Kolal, et de mon côté non plus, il ne m'était pas permis d'avoir de descendant.

 

Un pour un, telle était la loi.

 

Cependant, la venue de Zilmis en notre famille avait tout changé. Mon droit de naissance m'avait été rendu suite à notre union. Et si Amoni était autorisé à choisir sa moitié, les choses changeraient peut-être d'ici quelques années. Si la taille de notre colonie le permettait, notre famille pourrait s'agrandir d'un, voire deux enfants. Mon esprit se troubla à cette idée, et je ressentis une très grande joie. J'avais toujours eu l'espoir que Zilmis puisse avoir une réplique. La sélection génétique était longue et rigoureuse, mais Zilmis venait de la région des montagnes et moi, de celle des marais. Quant à Amoni et Minel, ils appartenaient également à deux peuples différents. Notre famille était plutôt rare. Les experts examineraient notre demande avec le plus grand intérêt.

 

Mon regard se troubla en regardant les enfants gambader dans leur tenue de jeunes explorateurs et j'essuyais une larme. Comme je m'étais attaché à ces deux petits, j'étais si heureux de les voir grandir ! Jusqu'à présent, les enfants n'avaient point exprimé le souhait que notre famille compte un nouveau petit alien. Cela dit, nul ne les avait interrogés en ce sens. Ils avaient survécu à un intense traumatisme et entretenaient une relation fusionnelle avec leur père. Je songeais avec juste raison, qu'il avaient leur mot à dire. Nous ne ferions rien qui puisse entraver leur bonheur.

 

Minel vint juste derrière moi, et je ressentis son aura énergétique avant de l'entrevoir. Elle m'adressa un regard d'une intelligence inouïe, comprenant en un éclair tout le trouble qui m'habitait. Elle posa gentiment sa main sur mon épaule, pour me manifester son soutien. Même à travers la combinaison épaisse, je ressentis son fluide exceptionnel. Malgré toutes les règles établissant une barrière absolue entre patients et guérisseurs, elle aspirait à se trouver auprès d'Amoni, si fort que c'en était douloureux. Ils avaient pris la décision de révéler leur amour dès notre retour. Cela impliquait un certain isolement. Minel serait sûrement longuement questionnée sur son état mental, sa guérison et sa capacité de jugement, mais elle était prête à affronter tout ceci.

 

Je songeais que nulle paroi de pierre ou de métal ne serait assez épaisse pour l'empêcher de rejoindre mon si sage ami. Elle rit de ma pensée, et nous sommes montés avec allégresse à bord de la nef.

Je protestais quelque peu lorsque mon pied se coinça au niveau d'un siège. Les combinaisons gênaient nos mouvements, mais Dorian me rassura sur leur efficacité.

 

  • Vous seriez gelé en un rien de temps et ne pourriez plus semer grand chose, se moqua-t-il.

  • Je voudrais bien vous y voir, moi, dans ce harnachement, répondis-je à un Dorian serein, juste enveloppé d'un voile énergétique discret.

  • Les nôtres sommes insensibles au froid et aux radiations, mais nous veillerons sur vous.

 

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