Les dissidents (3/4)

Publié le par Aurélia LEDOUX

Les dissidents (3/4)

Message du Guérisseur Lestrys (suite)

 

 

Je m'éveillais le lendemain, un peu déconcerté, mais habité d'une confiance sereine. Le premier Ouentsitu était à mon chevet et Stency refaisait mon bandage avec une douceur infinie. Il avait mémorisé les gestes du soigneur et les reproduisait à la perfection.

 

  • Soyez rassuré, fit le sage. J'ai vu là toute l'infamie de cette scène, ainsi que nombre de vos collègues qui pourront témoigner.

  • Je ne saurais assez vous remercier, exposais-je.

  • Vous vous êtes précipité, telle une femelle, une mère aimante, pour protéger son enfant. Cela a créé pas mal d'indignation et de remue ménage, assura Eratsu, en apportant des collations.

  • Cela a certainement beaucoup choqué, soupirais-je, en contemplant un Stency ému et inquiet.

  • Mais non, mais non, c'est une très bonne chose ! fit le vieux sage. C'est en s'élevant contre des barrières injustes et en osant les enjamber que celles-ci tombent. J'ai longuement attendu cet instant, celui de pouvoir rencontrer d'autres dissidents ! Nous avoua-t-il par la pensée.

 

 

Une connivence nouvelle nous unissait, et nous avions bon espoir. Durant trois jours entiers, je fus forcé de rester alité, Stency et Eratsu veillant sur moi avec dévotion, pour m'aider à manger et à me vêtir. La plaie était cuisante et enflée, mais Stency le ressentait très bien et refaisait aussitôt mon bandage. Il m'aidait à me rendre dans la salle de bains, et à demeurer aussi bien habillé que possible.

 

Les vertiges et la faiblesse qui m'habitaient cessèrent au bout de deux jours, et je fus alors en mesure de regarder la plaie qui avait bien diminué et de la soigner moi-même. Notre vitesse de cicatrisation est considérable et notre corps est naturellement programmé pour recréer aussitôt une partie manquante. La contrepartie, est une grande faiblesse à cette occasion.

 

Je pus retourner au laboratoire au bout de trois jours. Ouentsitu, Eratsu et Stency m'escortèrent. Nous avons alors aperçu sur une coursive voisine le premier Heximer, qui verdit de rage en me voyant déambuler sereinement. Il avait espéré me causer là bien plus de tort.

 

Mes amis m'apprirent que ce premier empli de rage avait perdu son rang, et allait devoir officier en cuisine un certain nombre de jours, pour pouvoir espérer reconquérir sa place. En général, les cuisines étaient occupées par d'immenses lézards, qui élaboraient les mets les plus délicats.

 

  • Il va devoir être poli avec les cuisiniers, et nettoyer beaucoup d'épluchures, se moqua Eratsu.

 

Chacun de nous rit de même et se dirigea vers les laboratoires.

 

Heximer n'aurait reçu nul châtiment s'il avait blessé Stency, mais comme j'avais été la victime, le superviseur l'avait relégué aux plus basses besognes. La violence était prohibée sur mon monde. Ceux qui en faisaient usage étaient considérés comme des « trouble-science », qui ne respectaient pas la vie, ni les travaux d'autrui. En engendrant une bataille rangée dans le laboratoire, Heximer avait détruit plusieurs fioles d'échantillons précieux de vie première que nous révérons.

 

Lorsque j'entrais au laboratoire, tous mes collègues vinrent me saluer avec chaleur, à l'exception de quelques pompeux généticiens, atteints de grognerie congénitale.

 

Ils m'apprirent que les échantillons de vie première avaient pu être épongés, et réintroduits dans de nouvelles cultures, et que cet incident n'avait pas perturbé leur multiplication. Plusieurs jeunes valets à l'esprit vif, me félicitèrent pour mon courage, expliquant que le départ d'Heximer allait rendre l'ambiance de travail bien plus agréable et positive.

 

Le soir venu, nous nous sommes tous retrouvés à la salle de jeux et de restauration, avec le premier Levinsworth. Celui-ci n'avait pas assisté à l'incident, mais il se l'était fait conter en détail. Très gêné d'avoir engendré autant de trouble, le petit Stency se faisait bien discret.

 

- N'éprouve donc nul embarras mon enfant. Si ton mentor a agi ainsi, c'est que tu en vaux bien la peine.

 

Stency et moi-même avons rosi subitement. Le mot mentor et le mot père sont très proches en notre langue. Levinsworth avait parlé avec une tendresse particulière. Oser suggérer que nous entretenions un lien familial était impensable. Cependant, je pris cela comme une marque de soutien très vive.

 

Une vingtaine de savants aliens de tous les horizons nous entouraient, la plaie de ma jambe avait pratiquement disparu. Notre vaisseau avait passé les tests de poussée lumière et de tonnage avec succès, et nous embarquerions dès le lendemain. Donc, tout était pour le mieux.

 

Le premier Heximer, lui, allait rester sur cet astéroïde, à s'occuper de l'entretien des cuisines, jusqu'à ce que son caractère devienne plus humble. Il n'y aurait donc plus rien à redouter.

 

Le soir venu, Stency m'observa avec mille questions se bousculant en son esprit d'enfant si vif.

 

  • Elil, pourquoi ne t'être pas défendu, quand le vil généticien a posé la carafe de métal transparent sur ta jambe ?

  • Il est défendu de frapper un génie, mon enfant. J'ai reçu le conditionnement. Je ne pouvais plus me défendre, ni faire le moindre geste. Lorsqu'un génie d'importance a choisi d'infliger une punition, il vaut mieux le laisser agir sur un adulte, que sur un petit alien innocent.

  • Tu aurais pu le repousser, le repousser par l'esprit ? suggéra Stency.

  • Cela est encore pire, il est défendu d'employer notre fluide contre l'un des nôtres, exposais-je. Nous devons l'utiliser uniquement pour protéger ou déplacer des objets.

 

Stency cligna des yeux et se concentra.

 

  • Tu aurais pu faire flotter la carafe, émit-il avec affection.

  • Oui, c'est vrai. Tu as bien raison, mon cher petit. Je n'y ai point songé. Il nous est interdit de penser en ces directions, lorsque le sujet est un supérieur.

  • Elil, je te remercie de m'avoir protégé, fit Stency, et de veiller sur moi. Eratsu est très bon avec moi aussi, avoir deux pères comme vous est au delà de tous mes rêves.

  • Je suis très touché que tu penses ainsi, mon enfant. Tu es très cher à mon cœur également. Eratsu et moi-même ne sommes que tes mentors, mais je te considère moi aussi comme un fils, avouais-je.

     

Alors Stency se dressa timidement et enserra mon cou de ses bras minuscules. C'était la première fois et je le serrais très fort près de mon cœur. Un lien intense avait jailli entre nous. Peu à peu, Stency allait être mieux considéré par mes collègues du laboratoire. Je formulais le vœu qu'il devienne un clone d'exception.

 

Je suis retourné en ma chambre pour y lire un moment, vivement ému, puis je m'endormis.

 

 

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