Les dissidents (2/4)

Publié le par Aurélia LEDOUX

Les dissidents (2/4)

Message du Guérisseur Lestrys (suite)

 

 

La première partie de ce message est consultable ici :

Les dissidents (1/4)

 

Et voici la suite juste ici :

 

Tout ceci visait à nous apaiser, car nous étions un peu inquiets. Nous avons gagné les appartements de Levinsworth, notre supérieur, afin de lui annoncer la bonne nouvelle.

 

Notre maître était redevenu moins énergétique, son union prochaine avec Elamide, une alien au caractère affirmé et joyeux était de bonne augure. Elamide était capitaine de vaisseau, et il embarquerait prochainement avec elle, et avec nous tous, pour la Terre.

 

Très ému de ce grand voyage qui s'annonçait, Stency aperçut les rampes de chargement, où des vivres, des plantes en pot et une quantité infinie de livres et de matériel de recherches était chargée à bord par des robots et d'immenses lézards. Nous avons pénétré à bord du vaisseau, et constaté une activité frénétique. Des techniciens renforçaient des poutrelles, soudaient des rails immenses, des équipes de petits mécaniciens stellaires brossaient les coursives et inspectaient les tuyaux, ainsi que les blindages du vaisseau avec du matériel de sondage. Plusieurs petits chariots de transport de fret allaient et venaient sur un convoyeur magnétique immense qui avait été posé là pour l'occasion. Le mobilier et les objets personnels de chacun des plus hauts dignitaires était acheminé à bord avec un soin particulier. Enfin, les aliens les plus humbles commençaient à embarquer, avec leurs maigres bagages, pour les phases de test.

 

Stency observa avec amusement les caisses de fret flotter toutes seules en un ordre parfait, sur les rampes magnétiques.

 

Nous sommes entrés dans les appartements de Levinsworth, qui servit à Stency de ses meilleures friandises pour le féliciter. Il me remit un rouleau avec nombre de signatures importantes et des autorisations officielles de sa main.

 

Très heureux, nous sommes retournés à nos quartiers, puis nous sommes rendus dans les appartements du superviseur. Celui-ci lut et relut le rouleau avec quelque incrédulité, et enfin, y apposa son signe personnel avec une nouvelle autorisation.

 

  • Prenez bien garde de veiller sur cet enfant, seigneur Lestrys, exposa-t-il. Il est bien des autorités moins indulgentes que moi, qui se formaliseront de telles pratiques. Après un valet aux particularités capillaires prononcées, vous imposez là un clone immature aux équipes de recherches. J'entends que ces nouveaux éléments ne perturbent en rien vos activités.

  • Il n'en sera rien monseigneur, répondis-je. Vous avez dû constater vous-même l'excellence des travaux d'Eratsu, assurais-je.

  • Cela est bien vrai, et je m'en réjouis, répondit le superviseur, qui était de pensée honnête. Si l'enfant est affaibli certains jours, il devra se reposer. Nous déterminerons les périodes de travail les mieux adaptées pour son jeune âge. Revenez me voir au moindre incident.

  • Il en sera fait ainsi, et je vous exprime ma gratitude, assurais-je, fort réjoui de sa bienveillance.

 

Nous sommes retournés en nos appartements, très heureux de pareils événements. Stency devait paraître au laboratoire dès le lendemain. Nous étions un jour de repos, ce qui me permit de passer du temps en sa compagnie.

 

Ce jour de repos était exceptionnel, et lié au voyage. Chacun de nous dut amener sur des tables à lévitation tout ce qu'il souhaitait emporter pour le voyage. De mon côté, j'étais un chercheur itinérant, il était donc nécessaire de vider entièrement mes appartements. Je ne possédais pas grand chose, à part mes livres, mes travaux, et des souvenirs personnels, en particulier des portraits, ainsi que des cadeaux de mes proches. Eratsu avait lui aussi une jolie collection de portraits.

 

À cette occasion, je l'interrogeais sur sa famille.

 

  • J'ai été élevé par deux parents, avoua-t-il. Cela est rare sur notre monde. Ils ont été très bons et affectueux avec moi. Malgré ma différence, ils m'ont soutenu et m'ont donné la meilleure éducation possible. Ils sont tous deux de très brillants chercheurs. Hélas, ils se sont opposés au système des castes, eux aussi. Étant enfant, j'étais tondu plusieurs fois par semaine pour ma protection. Ils auraient dû signaler mon cas avant mes un an. Cela s'est découvert, et ils ont été déportés loin dans l'espace, pour y besogner durement. J'étais alors étudiant, cela a été terrible. Mon châtiment a été de laisser pousser ces filaments, pour que chacun puisse rire de moi...

  • Vous êtes très bien ainsi, lui assurais-je. Je suis certain que ces filaments ont une importance.

 

Eratsu réprima un gémissement, ce qui était bien rare, car il était plutôt de nature secrète, et introvertie. Il essuya ses yeux, et je saisis sa main pour le rassurer. A présent, nous étions trois, nous étions presque une famille sans le savoir.

 

Par le vitrage, l'astéroïde resplendissait à l'heure faste du jour déclinant. Les ombres glaciales s'étiraient au ras des cratères, révélant un monde de nuit aride et majestueux. Nous l'avons contemplé longuement en prenant une petite collation. Nous passions de plus en plus de temps ensemble, et des liens très forts nous unissaient.

 

  • Avez-vous déjà été vous promener à la surface de l'astéroïde ? demanda Stency par la pensée en un flot d'images hésitantes.

  • Une fois, mon enfant, exposais-je. Nous avons été vérifier le fond de plusieurs cratères, pour y déterrer un peu de vie. D'ordinaire, des sondes téléguidées creusent à cet endroit. Il est dangereux d'y envoyer des chercheurs.

  • Peut-être, mais cela doit être bien plus amusant, assura Stency.

 

Il se dressa subitement, et fit alors une glissade, sur le sol de notre antichambre, à présent vide de tout mobilier.

 

Nous l'avons imité alors, nous amusant à glisser à notre tour, et riant soudain comme des fous. Une joie immense nous animait, et nous avons passé là une bien belle journée.

 

Le lendemain, Levinsworth nous rejoignit. Il avait décidé de retourner au laboratoire et entendait entrer avec Stency pour le présenter à toute l'équipe. C'était là un geste bien magnanime de sa part, et je ne saurais assez le remercier pour cela.

 

A notre niveau, il existait huit chercheurs sur le cristal, et huit autres dans le laboratoire voisin sur la vie première. Chaque chercheur en chef était un premier, en général secondé par des assistants, les clones, qui préparaient les échantillons, effectuaient les prises de vue et nettoyaient. Les valets, quant à eux prenaient des notes et documentaient tout ce que nous trouvions, effectuant des corrélations très poussées sur des consoles bibliothécaires, avec d'autres travaux, d'autres images. Chacun de nous rédigeait un journal quotidien, avec des pistes de nouvelles explorations. Tous ces travaux tenaient sur de minuscules cellules holographiques, à mémorisation instantanée.

 

Levinsworth entra dans le laboratoire et salua chacun des chercheurs.

 

  • Nous avons un nouveau venu, nous annonça-t-il. Il se nomme Stency, et c'est un petit clone encore très jeune. Je compte sur vous tous pour lui faire le meilleur accueil possible.

 

Plusieurs chercheurs parurent attendris, mais des grognements s'élevèrent.

 

  • D'où sort ce clone ? protesta sèchement un génie ombrageux. Il n'a rien à faire chez nous, et d'ailleurs, nous n'avons pas besoin de petit avorton qui risque de nous faire tomber !

  • Cela est un problème bien réel, et Stency veillera à rester en dehors de la zone de recherches. Cependant, veuillez le considérer avec plus de noblesse et de bienveillance, chercheur Harifa. Les clones sont très intelligents et très subtils. Ce petit a passé avec brillance les tests de connaissances et d'aptitudes cognitives. Il vous servira bien. Je vous demande d'être encore un peu patients, le temps que sa croissance reprenne.

 

Il s'ensuivit bien d'autres propos singulièrement déplaisants, qui me plongèrent, je dois l'avouer, en une fureur noire. Stency était très petit, il est vrai, et les travaux en laboratoire recelaient du danger, pour lui, et pour nous.

 

Pour son premier jour, il fut assis essentiellement, et affecté à la prise de vue et au numérotage des échantillons, qu'il dut ensuite classer. Ensuite, il s'occupa de ranger et de dépoussiérer l'annexe, emplie de cartons divers et de nombreux feuillets. Pour lui permettre d'accéder aux étagères, il monta sur une sorte de plate forme flottante.

 

Très fier de lui, Stency montra la salle à présent parfaitement propre et rangée. La majorité des chercheurs le félicitèrent en lui lançant des encouragements.

 

Le deuxième jour, Stency dut polir et nettoyer des parements, et des tables servant à l’échantillonnage, avant de les vernir. C'était un travail assez fatigant, mais bien moins pénible que le nettoyage des sols. Il s'en acquitta fort bien et cette fois, des murmures ravis jaillirent.

 

Il fut accepté, tant bien que mal, tant sa vaillance et son courage étaient grands. Pour ne pas gêner les chercheurs qui allaient et venaient dans le laboratoire, Stency fut affecté aux serres voisines. Je le voyais moins, mais cela était préférable pour l'instant. Les bacs de maturation de jeunes plants étaient à sa hauteur, et il pouvait facilement les espacer.

 

Il s'écoula quelques jours paisibles, où il prenait confiance en sa nouvelle vie. Nous étions tout heureux de le voir réussir et sortir de cette crainte qui le paralysait au départ.

 

Un incident détestable eut lieu, alors que Stency apportait la plante en pot qui lui avait été demandée par un chercheur sur un chariot. Un généticien des plus ombrageux trébucha contre une roue du chariot et partit en arrière, heurtant rudement un siège métallique. Il se releva en hurlant de colère, et saisit une règle de métal, avec l'intention de frapper Stency.

 

  • Immonde petit vermisseau ! Tu l'as fait exprès ! hurla-t-il comme un dément.

 

Je bondis et m'interposais aussitôt, prêt à recevoir des coups à la place de Stency. Mon regard empli de fureur fixa celui du chercheur tyrannique aux prunelles implacables. Nous nous sommes affrontés du regard, ma main cherchant sans y parvenir un objet pour me défendre.

 

  • Il n'est là nulle intention de vous meurtrir, croyez-le bien. Cet enfant est sans arrière-pensée, malgré le peu d'estime que vous lui vouez, il continue de vous servir ! protestais-je avec indignation.

  • Nous le verrons bien, chercheur Lestrys, je n'aime pas les esprits rebelles, prononça le perfide génie avec un rictus haineux.

 

Il saisit alors une fiole en verre occupée à chauffer depuis pas mal de temps et la posa sur ma cuisse. Je poussais un cri et m’effondrais.

 

Les autres chercheurs indignés s'interposèrent à leur tour, et un flot de protestations jaillirent. Les nombreux cris de colère qui retentirent trahissaient à quel point nous étions las d'autant de lois injustes.

 

  • Cela est-il possible ? s'emporta le génie colérique, qui se nommait Heximer. C'est une véritable mutinerie ! Vous serez signalés, tous ! hurla-t-il.

 

Il saisit des fioles de verre, avec l'intention de nous les lancer au visage, mais un autre premier le repoussa contre le mur. Attirées par le tumulte, des équipes de sécurité accoururent. Chacun fut emmené chez le superviseur pour interrogatoire. De mon côté, je fus escorté au centre de soins par Eratsu et un garde. Stency nous suivait en sanglotant.

 

Une silhouette d'âge vénérable nous rattrapa avec efforts.

 

  • Laissez-nous, ordonna le premier vénérable au garde, je me charge d'eux.

 

Alors, il aida Eratsu à m'installer sur une table flottante, où je me roulais en boule. La douleur cuisante m’empêchait de penser, et je la repoussais de mon mieux.

 

  • Vas-tu mourir ? demanda désespérément le petit Stency.

  • Non, non, il ne mourra pas mon enfant, répondit Eratsu. Aide-nous et ouvre donc cette porte, lui enjoignit-il.

 

J'étais tétanisé. Le vénérable premier qui nous accompagnait était d'âge incertain, ce qui veut dire qu'il était peu pris au sérieux par mes collègues en raison de son grand âge. Mais il disposait encore de bien du prestige. Il se nommait approximativement Ouentsitu.

 

Nous sommes entrés au centre de soins, et là, le biologiste en chef écarquilla les yeux, en voyant un premier me soulever lui même avec Eratsu. Il s'agissait d'un honneur suprême.

 

  • Nous allons prendre grand soin de votre jeune ami, déclara-t-il avec déférence au premier.

 

Mon visage était crispé par la douleur. Sous la chaleur, mon pantalon avait fondu, et je n'osais songer au moment pénible qui m'attendait. Le biologiste plaça un dispositif d'inhibition nerveuse en bas de mon ventre. La douleur s'estompa bientôt. Ensuite, il versa de l'eau sur le tissu pour le décoller, avec des gestes lents.

 

Eratsu m'ôta mon pantalon et ma jambe apparut. La peau en était presque blanche, avec un léger réseau veineux, et une horrible plaie rose violacée suintante.

 

Chacun de nous poussa un cri d'effroi. Le biologiste retira quelques fibres de tissu, et exposa ma plaie sous un faisceau prophylactique. Alors, je fus saisi de spasmes. Je me contractais et régurgitais une glu cicatricielle orangée sur la plaie.

 

  • C'est très bien, m’encouragea le biologiste. Encore un petit effort, dit-il en lissant la glu avec une spatule.

Je me concentrais en fixant la plaie, mais je ne pus faire mieux, il y en avait trop peu.

 

Stency s'approcha alors, et remédia à la situation avec Eratsu. Je contemplais le fluide guérisseur dont ils me faisaient cadeau, rose pâle pour Stency et bleu clair pour Eratsu.

 

  • Vous avez là des amis très précieux ! assura le guérisseur abasourdi. Cette plaie est très grave. Leur fluide n'est pas de la même nature, mais il protégera votre plaie, le temps que le muscle et la peau se reconstituent.

 

La glu cicatricielle, d'un aspect bien peu engageant, qui ressemblait à de la viande hachée saignante, sécha bien vite et forma une croûte régulière blanc pâle, aux reflets irisés pourpres et bleus. Le soigneur contrôla l'étanchéité et appliqua un agent prophylactique, puis une matière très grasse, pour protéger la plaie.

 

  • Pas d'eau ni quoi que ce soit d'autre, dit-il. Vous appliquerez cette lotion pour purifier, et rajouterez de l'onguent matin, midi et soir. Si la croûte se fendille, il faudra revenir me voir. Vos amis vous ont évité de recourir à une greffe, exposa-t-il. J'ai rarement vu un tel dévouement...

 

Mes yeux exprimèrent une profonde gratitude à Stency et Eratsu. Je ne pus souffler mot, et ils le comprirent très bien. Ils m'escortèrent jusqu'à mes appartements. Le guérisseur avait conservé mon pantalon, pour qu'il puisse être réparé et me soit rendu.

 

Pour m'éviter d'être vu sans pantalon, car je ne portais qu'un short, Stency nous fit passer par des couloirs de maintenance connus de lui seul. De forme ovale, ils étaient parcourus de milliers de fils et de tuyaux multicolores. Eratsu, très grand, dut se courber un peu pour ne pas en toucher le plafond.

 

Enfin, nous sommes sortis par une porte étroite située derrière une grosse armoire de câblage.

 

Ils m'aidèrent à entrer et à m'étendre en mes appartements. Ensuite, je sombrais en un profond sommeil en peu de temps.

 

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