Les planètes amies (2/5)
Message du Professeur Zolmirel
Une partie de moi-même était terrifiée par ce milieu de neige et de glace, si peu naturel pour les nôtres. La glace, pour un alien représente la mort, l'arrêt de toutes nos fonctions vitales. Zilmis et moi même avons étalés sur nos visages une lotion grasse, afin de nous protéger. Nous avons enfilé des bottes de neige, puis des gants très confortables. J'aurais été bien plus rassuré de me trouver dans un scaphandre. Orel nous fit signe de sortir par une sorte de fenêtre qui coulissa sur les flancs du vaisseau. Des bourrasques de givre s'engouffrèrent aussitôt, et chacun éleva le chauffage de ses habits.
Chacun de nous portait un épais manteau de neige, en duvet d'algues glaciaires et en fourrure d'une sorte de grand herbivore paisible, proches des bœufs musqués, mais sans cornes. De tels animaux perdent leur toison tous les ans, et ce sont les Kolals qui ont assez de cran pour se rendre dans leurs tanières afin de la récupérer.
Je tentais de concentrer tout mon courage, à cet instant, car le paysage alentours me terrifiait. Il n'y avait rien à perte de vue qu'un vaste champ de glace, hérissé de montagnes alentours. Menaçant, le ciel était de couleur grise et de lourds nuages s'y accumulaient.
Nous nous sommes approchés du rebord de l'ouverture, comme les êtres de lumière nous y ont invités par l'esprit, en nous tenant la main. Ensuite, peu à peu, une force invisible nous a soulevés en l'air en nous faisant descendre à une vitesse raisonnable.
Nous avons atterri dans la neige et Amoni a aussitôt activé son déflecteur. Le vent glacé, qui me coupait presque le souffle et qui s'infiltrait dans mes os, a peu à peu cessé d'être perceptible. Notre vue nous était rendue et nous pouvions nous relever pour avancer, malgré le blizzard qui sévissait.
Je serrais très fort la main de Zilmis dans la mienne, bien plus serein que moi, malgré le péril des – 40 degrés ambiants.
Nos habits nous protégeaient bien, de même que nos bottes. Évidemment, en ce lieu hostile, rien ne poussait, mais cela ne m'empêcha pas de repasser en mon esprit différentes formes d'algues arctiques qui pourraient y voir le jour. Pour les nôtres, l'aridité et l'absence de végétation, est quelque chose de profondément impensable.
Nous avons avancé dans le blizzard, les intempéries refermant derrière nous l'horizon, et masquant peu à peu l'éclat du beau vaisseau lumière, tout blanc et doré. Bien sûr, un alien avisé se serait inquiété de pareil péril. Nulle peur de ce type ne vint nous effleurer. Les sens des nôtres étaient à présent parfaitement aptes à déceler un chemin invisible.
Très subtil, Amoni avait découvert une ancienne voie magnétique, que je ressentais peu à peu, à chacun de mes pas. Notre route s'est incurvée vers la gauche, en un arc de cercle. Puis, peu à peu, nous avons ralenti. Notre progression se figea. Nous étions parvenus en un ensemble rocailleux couronné de congères. Amoni et Zilmis examinaient chaque pierre avec soin. Je cherchais des hiéroglyphes, mais nulle inscription n'était visible. Quelque peu fatigué, je me laissais tomber sur un rocher.
Ce dernier s'enfonça alors sous mon poids. Un crissement de pierre retentit.
Avec majesté, un ensemble de murs jaillirent du sol, formant les soubassements d'un petit temple. Ensuite, de la base des murs, des arceaux élégants s'élevèrent jusqu'à former une toiture complète.
Une lampe séculaire s'éclaira alors, nous faisant cligner des yeux.
Un autel couronné de hiéroglyphes venait de pousser sous nos yeux.
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Vraiment, félicitations ! lança Amoni avec joie en me regardant. Ce que vous êtes habile !
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Ce n'était pas délibéré, exposais-je humblement.
Fous de joie, mes compagnons se penchèrent sur les hiéroglyphes. C'était Amoni l'expert absolu en ce domaine. Tout au plus, ne puis-je déchiffrer que le nom de quelques arbres. Mon ami nous fit partager sa découverte.
« Ce lieu était un lieu fertile autrefois, il y poussait des arbres, des fleurs et il existait également des marécages accueillants pour nombre d'oiseaux. En cette époque, les maisons des habitants étaient faites de roseaux, et édifiées sur pilotis. Ensuite, les habitants bâtirent des demeures de pierre pour se protéger de la colère des eaux. Mais plusieurs demeures s'enfoncèrent.
Alors, les hommes de ce temps, qui venaient des Pléiades renoncèrent à habiter cette planète, considérant qu'il ne s'agissait pas du souhait premier de son esprit-mère. Néanmoins, avant de partir, ils laissèrent des indications et des connaissances, pour que plus tard, l'union des mondes éclairés puisse avoir lieu.
Lorsque l'enfant des sages, l'enfant au cœur pur marchera sur le droit chemin, alors, tout deviendra possible. »
Nous étions quelque peu perplexes de cette inscription. Chacun de nous réfléchissait, mais je pressentais que tout ceci n'était qu'une image. Nous avons choisi de nous asseoir afin de méditer.
Peu à peu, je sentis des présences ondoyantes, légères, et une douce chaleur monta en moi, je percevais le frôlement plaisant de mains invisibles près des miennes, comme pour me souhaiter la bienvenue.
Peu à peu, je sortis de mon corps et ce que je vis me laissa muet de stupeur. Je traversais aisément le mur du temple, contemplant le ciel illuminé de milliers d'étoiles.
Un chant superbe et infini montait des profondeurs, une silhouette féminine des plus raffinées s'éleva et une voix adorable chanta. Je m'agenouillais et versais des larmes de gratitude. Le sol devant moi était splendide. Brillant comme du cristal, il scintillait de mille éclats irisés. Le blizzard avait cessé, et même les montagnes alentours semblaient plus accueillantes, malgré leurs sommets effilés.
Je me relevais et avançais vers un éclat éblouissant qui fascinait mon regard. Bientôt, je perçus un son fantastique. Une cascade grondait sous mes pieds. Je m'approchais toujours et parvins au delà du rebord de notre monde, précisément l'endroit où l'on ne doit pas se trouver. Les eaux libérées coulaient avec force sous la glace, se précipitant en une vaste caldeira sans fond, dont le cœur scintillant m'attirait comme un aimant. Une immense silhouette féminine me regardait, et ce regard me fit monter les larmes aux yeux. Me parvint tout à coup une force, une émotion sublime. C'était comme de recevoir de plein fouet, de ressentir l'amour d'une mère, et même au delà.
Elle possédait de longs cheveux qui l'entouraient, telle une rivière et son visage, infiniment aimant, était aussi redoutable, vu sous un autre angle. Elle nous aimait, et nous protégeait, notre berceau était bien convoité. Les anciens se chargeaient régulièrement de dérouter des vaisseaux pirates ou miniers, vers des zones vides de l'espace, que nous nommions les « mers ». En ces mers, n'existaient que quelques lunes transorbitales à la rigueur ou de très rares astéroïdes.
L'esprit-mère de ma planète me fixait et je le contemplais de même. C'était une conversation télépathique, essentiellement. Ma pensée pleinement offerte, je compris qu'elle savait tout de moi, et appréciait ma transparence. Il en est toujours ainsi pour la plupart des nôtres, exposais-je, la politesse télépathique était très répandue sur mon monde.
« Il n'en a pas toujours été ainsi, exposa la dame redoutable. Autrefois, les tiens étaient obsédés par la science, celle du voyage spatial et aussi de la conquête de nouveaux territoires miniers. Un schisme terrible a eu lieu sur votre planète d'origine et seuls les savants au cœur pur ont pu franchir la grande barrière interdite, puis renaître. Ils ont été gravement irradiés et leur structure alchimique, l'ADN, a été modifiée en profondeur, effaçant d'eux leurs dernières ombres de fierté. Ils ont compris et admis, que la connaissance devait passer par le cœur, en premier, pour se déployer pleinement dans la matière en apportant le bien pour tous, l'abondance. Il en est bien ainsi, car ce cercle est parfait. Vous donnez en retour tout ce que vous recevez, mes chers enfants. C'est ainsi que vous avez pu accoster sur mes rivages, voici des milliers d'années. C'est aussi pour cela que je vous chéris et vous protège. »
Face à de telles paroles, je me mis à pleurer à chaudes larmes.
La dame s'assied, de l'autre côté du gouffre infini, elle était moins impressionnante ainsi, mais quand même très grande.
« D'autres n'ont pas eu cette chance, me dit-elle. Et nous aidons bien sûr les enfants de nos enfants pour cette raison. Nous voyons qu'ils ont évolué, et qu'ils le peuvent encore. En conversant avec mes frères et sœurs, nous avons décidé de leur tendre la main. Et bien sûr, cela peut commencer par vous. Votre espèce est observée, chacun de vos pas est suivi avec amour par vos pères et mères célestes. Ces enfants aussi sont très particuliers. Ils doivent avancer maintenant. »
Et la dame remarquable se tut et s'effaça lentement. J'étais un peu attristé et je me demandais ce qui allait suivre. Mes yeux et mes sens perçants sentaient une petite forme qui approchait dans la brume soulevée par les cascades tièdes environnantes.
Je voulais m'approcher, mais le gouffre était là sous mes pieds. Je fixais la silhouette tremblotante et je reconnus un minuscule alien fort jeune. Le petit être semblait aussi effrayé que moi. Il recula soudain, comme semblant calculer une trajectoire. Il prit son élan, et bondit subitement, à folle allure, rebondissant avec une incroyable virtuosité sur les voiles de brumes alentours.
Je réprimais un cri et je m'avançais instinctivement, folle témérité, car en ce vortex géant mes capacités antigravitationnelles étaient au plus bas. La dame mystérieuse réapparut et souffla. Son souffle chaud aux senteurs salines et florales m'emporta très haut en l'air. Puis son rire résonna comme une mélodie, et elle disparut.
Je tendis les bras vers le petit alien en poussant un long cri d'impuissance. J'allais retomber dans ce gouffre lumineux, mais je n'en éprouvais nulle inquiétude. Mon inquiétude était surtout dirigée vers cet enfant. Il incurva sa course, saisit ma main au moment où je retombais et m'entraîna dans son sillage.
Nous avons dérapé sur le rebord opposé de la paroi, en roulant dans la neige. Le petit alien éclata de rire et se releva en essuyant son visage. Il portait un adorable petit manteau blanc et je reconnus aussitôt le petit Nerti. Mon cœur se serra, alors, je le berçais près de moi pour le réchauffer.
Cependant, il disparut, et je sortis de ce songe étrange à demi alarmé. Il se passait quelque chose. Je me dressais aussitôt sur mes jambes, croisant le regard d'un Amoni terrifié qui me vit ouvrir la porte du temple en toute hâte.
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Attendez, me lança-t-il en saisissant son déflecteur. Vous n'y pensez tout de même pas !
Je ne l'écoutais aucunement et bondis dans la neige, le blizzard giflant mon visage, le froid terrible m'engourdissant en peu de temps. Mais je continuais de courir, malgré mes articulations qui protestaient avec force. Amoni courut à ma suite avec effroi.
Peu à peu, l'air ambiant devient plus tiède, et le vent moins mordant. Un éclat rosé jaillit de l'horizon et des voiles splendides parèrent le ciel. L'aurore boréale révélait toutes ses draperies d'une beauté insondable.
Un gouffre était visible, loin devant moi, au delà d'une zone entièrement glacée. Je m'élançais et effectuais alors la plus formidable glissade qui soit. J'avisais bientôt une petite forme tremblotante dans la neige. Je me laissais tomber sur le côté pour interrompre ma glissade et avisais le petit Nerti, à demi gelé.
Le malheureux pouvait à peine ouvrir les yeux. Je retirais alors mon habit chauffant et lui enfilais aussitôt. Le froid mettrait quelque temps à me figer pour de bon, mais Nerti lui, était bien plus fragile. Amoni ne tarda pas à nous rejoindre et retira à son tour son manteau pour m'en envelopper, malgré mes protestations. Étant de taille très dissemblable, le manteau descendit jusqu'à mes pieds, ce qui fit rire le petit Nerti.
Amoni souleva son fils et l'emporta bien vite, me confiant le soin d'ouvrir la marche à l'aide du déflecteur. Nous avons avancé comme nous pouvions dans la neige. Amoni faiblissait de seconde en seconde, mais il demeurait vaillant malgré tout.
Les assauts du vent redoublèrent et je trébuchais, m'étalant contre une congère. Heureusement, à cet endroit, la neige était molle. Un petit éclat lumineux jaillit dans le lointain. Bientôt, un petit vaisseau rose vif se posa en toute hâte, et Zilmis, accompagné d'Erazel aux commandes, nous aida à y prendre place.
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Comment est-il ? demanda l'ancienne, dont le visage était devenu blême.
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Il s'en remettra, répondit Amoni en s'effondrant sur un siège.
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Très bien, alors, filons vite d'ici ! lança l'ancienne.
Le petit vaisseau s'éleva et regagna le petit temple avec de grandes difficultés. Erazel le posa à l'abri d'un roc, en risquant de le faire déraper, et dut le stabiliser par l'esprit.
Je m'affairais à étaler des remèdes sur les engelures du petit Nerti, à demi inconscient, qui fut allongé sur une table chauffante. Entretemps, Amoni était entré en stase lui aussi. Tous deux semblaient bien aller, même s'ils avaient perdu beaucoup d'énergie.
Erazel me prêta main forte, tandis que Zilmis s'inquiétait de la préparation du repas du soir. J'étais stupéfait de la capacité de mes amis à s'adapter à ce lieu. Bientôt, notre vaisseau fut complètement recouvert de neige et nul ne s'en inquiéta. Erazel diminua simplement la puissance du chauffage, afin d'économiser le générateur.
Zilmis avait trouvé ce qui ressemblait à de la farine et confectionna quelques beignets pour nous tous. Il jeta un œil vers Nerti et je vis alors que ses mains tremblaient. Il se mit à sangloter, aussitôt, je le serrais près de moi pour le rassurer.
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Je ne comprends pas, m'avoua-t-il.
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Moi non plus, exposais-je.
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