L'apprentissage des petits aliens (6/11)
Message du Professeur Zolmirel
Dans le but de les décourager, Amoni fit visiter sa demeure aux enfants. Cette tentative eut bien entendu l'effet inverse. Celle-ci était presque entièrement constituée de livres, qui trônaient un peu partout, pêle-mêle sur des étagères. Il s'y trouvait aussi de passionnants appareillages scientifiques, des microscopes très perfectionnés, avec une salle de duplication de plantes et de moisissures attenante à la grande serre.
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Ce lieu est bien en désordre, je le crains, et fort peu attrayant pour de si jeunes enfants, exposa Amoni. Il se trouve que je n'ai guère le temps de faire le ménage.
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Nous on le trouve très bien, émit le petit Zilner, en riant malgré les étagères garnies de poussière. C'est une maison mystérieuse.
Les enfants étaient si décidés que le conseil des sages dut se réunir pour méditer. Les experts en soins des jeunes enfants, les professeurs qui étudiaient les réactions émotionnelles depuis des années furent unanimes. Nerti et Zilner avaient choisi une nouvelle famille.
La vision cessa et je revins un court instant dans notre petit séjour accueillant. Je méditais ce que je venais de voir.
Évidemment, Nerti et Zilner m'avaient un peu choisi également. Même si je n'étais pas, comme leur père, responsable de leur bien être, ma place était importante. A cette époque, j'avais commencé à habiter avec Amoni, car nous nous connaissions depuis de nombreuses années. Il était un scientifique, comme moi, et nous étions fascinés par les mêmes domaines. Le jour, nous travaillions tous deux à des tâches multiples et passionnantes. A cette époque, je venais d'achever l'écriture de plusieurs ouvrages. Mon intérêt pour les plantes ne cessait de croître, je fus appelé pour créer des remèdes, et même en recréer, à partir d'anciens manuscrits, de frises archéologiques.
Autrement, des récits d'exploration stellaire accaparaient mon temps, il s'agissait de les parcourir, puis de deviner les coordonnées de chaque planète, afin de documenter notre base de données sur l'espace. Évidemment, ce travail était magnifiquement enrichissant. J'y découvrais là, l'évocation de mondes anciens que nos ancêtres avaient parcourus, dont ils avaient échantillonné les biotopes, les pollens et les paysages. Ces récits étaient émaillés de photos, de dessins et souvent, des visions s’offraient à mon regard quand je les lisais. A partir de ces récits, nous avions un point de vue détaillé du peuplement végétal de nombreux foyers de vie première. Cela nous permettait de mettre au point de futures expéditions avec l'aide d'Erazel.
Je reviens donc à ce jour, où Nerti et Zilner me virent pour la première fois. Amoni avait hérité une demeure d'un oncle immensément âgé, garnie d'ouvrages séculaires et aussi d'une importante colonie d'arachnides et d'insectes, en quantité respectable. Il y avait de nombreux insectes rares en ce lieu peu entretenu. Évidemment, comme j'aimais à les étudier, cela ne me dérangeait pas le moins du monde. Je m'employais à effectuer des travaux pour rendre ce lieu à peu près habitable, sans plus, car il était très vaste, et l'étude accaparait tout mon temps. Mais il n'était pas très accueillant. Les plafonds de la vieille tour se lézardaient, un grand nombre de volatiles avaient élu domicile au grenier et des plantes recouvraient la façade. Les parements vernissés de la toiture laissaient entrer l'eau par endroits. Celle-ci perlait dans de grands récipients, que nous vidions parfois quand nous y pensions.
Ce bruit de l'eau ponctuait mes activités quotidiennes et je n'y prêtais même plus garde.
Je fus saisi d'entendre le bruit de pieds minuscules dans l'entrée de la grande serre et je me levais, certain qu'une famille de lézards avait finalement décidé de s'y faufiler. Je me approchais donc et me trouvais face à un tout jeune petit être, suivi d'un deuxième encore plus malingre.
Je souris largement, ravi et empli de tendresse. Les enfants avaient le teint nacré et légèrement pâle de convalescents. Le plus grand des petits clones possédait un regard noir très brillant un peu espiègle.
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Chers petits, vous voici enfin, dis-je aux enfants surpris. Toi, tu dois être Nerti, et toi, Zilner bien sûr ! Soyez les bienvenus ! Je suis le botaniste Zolmirel.
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Comment sais-tu nos noms ? s'étonna Nerti avec candeur.
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Il y a quelqu'un qui ne cesse de parler de vous bien sûr, dis-je en riant. Et d'abord, pour commencer, nous allons préparer quelque chose de bon pour fêter cela. Alors dites-moi les enfants, quels sont vos gâteaux préférés ?
Les deux petits êtres se regardèrent, mais ne purent émettre nulle réponse. Ils étaient assez timides et plutôt craintifs. Je leur fis signe de s'installer à une petite table.
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Nous ne savons pas ce qu'est un gâteau, expliqua poliment Nerti avec gêne.
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Très embarrassant. Il va falloir remédier à cela dites-moi ? Ce n'est pas grave, en tant que botaniste, je suis pleinement compétent pour marier les saveurs et vous apprendre ce qu'est la bonne cuisine, dis-je en riant.
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C'est très vrai, souligna Amoni, c'est un expert.
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Oui, et votre présence est très bienvenue. Les enfants ont un palais très sûr. Voici un peu de sirop de fruits pour commencer, aussi quelques beignets, et une petite tarte aux fruits des bois, sans oublier ce délicieux cake aux aromates, expliquais-je en posant des mets sur la table.
Ce lieu était assez faiblement éclairé, mais la cuisine rayonnait d'un éclat orangé et la serre toute illuminée venait nous chauffer de ses rayons. Le sol de pierre brute comportait quelques brindilles mais était raisonnablement bien balayé. Hélas, les vieux murs fissurés révélaient le plâtre et les peintures fendillées de ce lieu. Des fresques ternies se devinaient sous les rideaux défraîchis et les meubles branlants.
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Vous habitez une superbe demeure, assura sincèrement le petit Zilner en fixant Amoni.
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Tu trouves vraiment ? Ce lieu a besoin de soins...
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C'est un lieu où la vie a passé. Des êtres y ont laissé leurs empreintes, émit-il gravement.
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Tu parles bien mon enfant. Il est agréable de voir autant d'esprit chez un être de ton âge, dis-je, favorablement impressionné.
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Votre monde est si... vivant, tout est gai ici. Il y a beaucoup d'animaux, de plantes. Là d'où je viens, tout était triste et froid. Il fallait toujours se dépêcher, il n'était nulle fantaisie.
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Je comprends, dis-je. Ici, nous prenons le temps d'étudier, de nous concentrer sur les bonnes choses, puis de les reproduire. J'apprécie beaucoup d'étudier la vie des marais, les champignons, la gastronomie et surtout les vaisseaux, les aventures spatiales font partie de notre vie.
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Alors vous êtes très courageux, émit craintivement le petit Zilner.
Je compris que le sujet de l'espace était encore trop éprouvant pour les enfants et me concentrais sur le fait de leur proposer de nouveaux mets à goûter. Il fallait avant tout leur faire oublier leur ancienne vie. Cela me navrait bien que des êtres si jeunes aient subi tant de mauvais traitements.
D'autres petites entrevues suivirent celle-ci, les enfants toujours ravis de venir chez nous. J'avais appréhendé chez eux des personnalités intéressantes, pleines de cet entrain si inébranlable qu'ont les plus jeunes. Nerti et Zilner avaient retrouvé toute leur gaieté, avec au cœur l'espoir qu'ils habiteraient peut-être bientôt chez nous.
Je m'en réjouissais pareillement. J'avais donné mon accord entier à Amoni, en lui expliquant cependant que je ne me sentais pas très à l'aise pour prendre soin d'êtres aussi jeunes et qu'il ne fallait pas trop m'en demander au départ.
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Vous êtes parfait, me dit-il simplement. Il n'est rien à changer, cela était un geste d'une grande bonté que de préparer autant de pâtisseries pour eux. Ils n'en ont jamais mangé avant.
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Pauvres petits. C'est terrible ! Je n'arrive toujours pas à supporter l'idée que des êtres vivants puissent risquer leur vie à bord de ces vaisseaux. Comment est-il possible de faire subir de tels tourments à ces jeunes êtres ? Les adultes, par couardise, leur font faire les tâches redoutables qu'il n'oseraient jamais accomplir eux-mêmes !
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Il est une alien qui les a veillés jusqu'à la fin. Elle s'est probablement sacrifiée pour les sauver. Ce vaisseau ne comprenait que peu d'armoires anti souffle. Celles-ci sont normalement réservées aux valets et aux castes dirigeantes, expliqua Amoni.
Je vis effectivement une armoire blindée dans les souvenirs de mon ami. A côté de cette armoire, les éclairages du vaisseau de secours révélaient l'éclat d'une main, une main gelée, appartenant à une grande créature endormie fort belle. C'était très triste et mon ami si sage s'essuya les yeux.
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Le savent-ils ? demandais-je.
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Ils en sont conscients, mais cela va s'effacer de leur esprit avec le temps. L'esprit fait disparaître les choses les plus pénibles inexorablement. La séparation qu'ils ont vécue a été un choc très éprouvant, exposa Amoni.
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Et maintenant ? demandais-je
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Il est évident que cette âme nous fera connaître sa présence d'une manière ou d'une autre, expliquent les sages. Si nous étions arrivés plus tôt ! Comme j'aimerai parfois pouvoir faire revivre ceux qui sont morts, philosopha Amoni.
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La mort est ainsi et nous n'y pouvons rien, mais nous pouvons offrir une vie heureuse à ces enfants privés de mère. Cette vie qui est leur en ce lieu, signifie nécessairement quelque chose. Sinon, pourquoi se seraient-ils échoués sur ce monde ? Ce sacrifice a sûrement été nécessaire et cette belle âme y a consenti. Ils la retrouveront d'une manière ou d'une autre. Je suis certain que leurs capacités sont très grandes. Ils viennent d'un autre peuple, et notre planète est d'une énergie supérieure. Ils vont avoir une vie bien plus douce que des millions de petits innocents. N'oublions pas qu'une part de leur esprit est toujours reliée à celle de leurs frères captifs. Il va en résulter forcément de grandes choses, philosophais-je.
Nous avons devisé longuement. Il demeurait un risque, bien sûr, le risque de rejet, celui des enfants adoptés. Mais nous étions si heureux des entrevues précédentes que notre joie tempérait nos craintes. Nous étions prêts à une éventualité. Celle que les enfants formuleraient certainement un jour. Ils voudraient retourner sur le lieu de l'accident, revoir l'astéroïde et rendre hommage à celle qui les avait protégés avec tant de courage. Bien sûr, nous accéderions à chacune de leurs demandes.
La vision de ce passé si ancien s'éteignit. Je sus que les enfants avaient pleinement revécu ce souvenir, celui de notre première rencontre.
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