Les passages vers le monde intérieur (2/4)

Publié le par Aurélia LEDOUX

Les passages vers le monde intérieur (2/4)

Message du Guérisseur Lestrys (suite)

 

 

Stency reprit les commandes de notre esquif, le sage Oktos permettant à notre vaisseau de sortir de la zone dangereuse en un long arc de cercle, l'amenant tout au bout du défilé. Un passage plus étroit apparut, formé de zig zag et d'énormes rocs empilés les uns sur les autres. Puis, un jet de vapeur fusa, et nous avons aussitôt ressentit une paisible fraîcheur.

 

Nous étions arrivés au pays des brumes et des eaux intérieures. Notre vaisseau parvint au dessus d'un paysage très particulier. Il s'agissait d'un vaste rivage au ciel éclairé comme un jour de pluie. D'énormes galets de pierre grise, de plusieurs mètres de large, créaient un décor magnifique. Au delà, une eau bleu grise formait des vagues assez vives.

 

Nous avons survolé une plage de rochers, puis avons réduit les lumières de notre petit vaisseau.

 

  • Pourquoi mettre fin à cet éclairage ? demanda Oktos.

  • Nous sommes dans la région des ombres et des brumes. Nous ne sommes pas seuls, et pas les bienvenus, expliquais-je.

 

J'invitais Stency à poser le vaisseau dans un espace dissimulé entre deux hautes éminences de pierre blanche.

 

Je sentis la pensée aimée de Célia se joindre à la mienne un court instant et tout son amour me redonna aussitôt un grand courage. Elle m'invitait à fouiller dans mon sac, ce que je fis aussitôt.

 

J'en tirais un dispositif en forme de toupie de couleur rose, reposant sur une monture en cristal, qui m'était parfaitement inconnu, et ne se trouvait pas là la veille.

 

Je l'activais comme elle m'y enjoignis et le fixais au sommet de la verrière de notre petit vaisseau.

 

Celle-ci était apparue le matin même, notre vaisseau semblait se transformer au fil de notre voyage, suivant les obstacles que nous aurions à franchir.

 

  • Quel est donc cet objet ? demanda Oktos.

     

Je l'invitais à ne faire aucun bruit, juste à temps, car deux silhouettes se firent jour parmi la brume. Deux lézards approchaient, munis de sortes de senseurs, et d'un armement assez lourd. Ils marchaient sur leurs pattes arrière et leurs yeux jaunes éclatants trahissaient une grande intelligence. Pas très grands, ils faisaient environ 1m50, et nous aurions pu facilement en venir à bout pour les immobiliser. Mais nous n'étions point portés sur le combat, et il nous parut plus simple d'agir de la sorte.

 

Très curieux, je fixais du regard les deux reptiles. Ils portaient chacun un sac empli de matériel, une ceinture et l'un d'entre eux tenait une lance à énergie. Leurs écailles très belles étaient vert d'eau pour le premier, et se nuançaient de blanc au niveau du ventre. Leur peau faisait penser à cet endroit à celle d'un crocodile, tandis que sur leur dos, elle imitait celle d'un lézard vert. Le deuxième lézard était d'un beau jaune citron nuancé de blanc et de beige. Leurs têtes possédaient un museau assez court et de grandes dents. Méfiants, ils tournaient leurs regards en tous sens, et flairaient l'air, certains de sentir quelque chose qu'ils ne pouvaient voir.

 

Heureusement, ni le vaisseau, ni même nous, ne laissions planer dans l'air la moindre odeur. Ils s'approchèrent de notre vaisseau et je fermais les yeux, cachant le visage de mon petit Stency en le berçant près de moi. Très avisés, les enfants n'émirent pas le moindre murmure.

 

Les lézards tournèrent en tous sens et approchèrent très près du mystérieux champ protecteur répulsif, sans le détecter. Finalement, ils s'en furent.

 

Chacun de nous soupira, heureux d'avoir franchi cette étape.

 

Mais le message était clair.

 

  • Ils vont revenir, annonçais-je inutilement. Avec du matériel plus précis.

  • Nous pourrions décoller et nous cacher ailleurs, proposa vivement Oktos.

  • Impossible, ils nous verraient. Même si le vaisseau est invisible, les réacteurs risquent de provoquer des tourbillons dans la brume. Il nous faut attendre qu'il y ait plus de brouillard.

 

Oktos fixa les senseurs environnementaux du petit navire, affichant le relief visible au loin.

 

  • Nous ne pouvons aller plus loin, la plage s'arrête, et cette immense grotte ne comporte nul passage émergé, malgré sa taille, émit-il par l'esprit. Quelle est donc votre idée ?

  • Il nous faut entrer dans la cité des lézards méfiants. Et laisser le vaisseau ici, il ne pourra passer les portes, de toutes manières. Nous emporterons le dispositif invisible avec nous.

  • Avez-vous perdu l'esprit mon jeune ami ? Jusqu'à présent, je vous ai fait confiance, mais cela est bien risqué d'aller chez les Lacertans. Nous ne sommes point les bienvenus, émit Oktos.

  • Nous ne ferons que passer, assurais-je. Notre présence ici est nécessaire, je le sens. Je vous prie de me faire confiance, il n'arrivera rien aux enfants.

     

Oktos poussa un soupir, mais finit par accepter mon idée. Il n'existait de toutes manières qu'un seul passage. Chacun réunit ses maigres effets et les provisions. J'avais une charge double, étant plus grand que mes compagnons. C'était aussi moi qui devais porter le petit clone encore inconscient.

 

Nous sommes sortis du vaisseau, emportant avec nous le précieux dispositif de Célia. Il ne fait pas vraiment nuit en cette contrée, mais à un moment donné, la luminosité s'inverse. Ceci nous permettant de nous faufiler entre les nappes de brouillard, grâce à une sorte de pénombre crépusculaire.

 

Je vis que les jambes des enfants tremblaient. Alors, je serrais dans les miennes les mains de Stency et du cadet des petits clones pour les rassurer.

 

  • Il ne nous arrivera aucun mal, exposais-je. Soyez confiants, nous sommes là pour veiller sur vous.

     

Nous nous sommes alors éloignés du petit vaisseau, et Stency, se retournant, le vit disparaître peu à peu.

 

  • Où s'en est-il allé ? demanda-t-il.

  • Il a disparu, pour que nous ne soyons pas détectés, assurais-je. N'oubliez pas que nous ne sommes pas seuls et que des être très brillants et invisibles nous accompagnent.

 

Cela renforça notre conviction, et nous nous sommes approchés avec plus de détermination de la cité des lézards méfiants.

 

J'avisais une série d'arcades moulurées, élégamment sculptées dans la falaise. Des lézards en armure tenaient fièrement leurs lances de part et d'autre. Il n'y avait pas foule en cet instant, et chacun de nous franchit les portes de la cité. L'intérieur luisait d'un éclat doré chaleureux. Je passais le premier, suivi de près par les trois enfants, puis par Oktos, qui fermait la marche.

 

Hélas, une alarme résonna suite à notre arrivée. Les senseurs des habitants avaient détecté notre intrusion. Nous sommes parvenus à une très belle salle toute en marbre, qui figurait un lieu de réjouissances, avec une table garnie de mets, et de boissons. Des lézards affairés disposaient des chaises et de nombreux plats, surtout constitués de viande. Il y avait également des spécialités à base d'algues, de lentilles d'eau et de légumes.

 

Un grand nombre de lézards soldats pressés se faufilèrent entre les serviteurs, apportant de nombreuses pâtisseries, des hors d’œuvres et des petits beignets. Il y eut quelques protestations, puis le calme revint. Nous sommes entrés dans un deuxième salon, aussi splendide que le premier. Carrée, la pièce possédait un sol fastueux noir et or, mêlé de carreaux blancs. Là également, une vaste table avait été dressée, et l'on disposait des plats, essentiellement des gâteaux et des coupes de fruits.

 

Nous sommes sortis, puis avons gagné un petit escalier de service ascendant. Là, nous avons abouti à une coursive pratiquement déserte, avec un balcon ajouré vitré, donnant sur l'extérieur. Ce dispositif pouvait être obturé à volonté, en particulier quand la mer se démontait. La pierre parfaitement taillée, de couleur gris pâle, luisait de propreté.

 

  • C'est un très bel endroit, affirmais-je, ne pouvant m'en empêcher.

 

Notre avancée dura longuement, tant ce palais semblait immense et ancien. Taillé à même la roche, il témoignait d'un savoir faire exceptionnel. Nous sommes passés devant des pièces de proportions fastueuses, décorées de draperies multicolores, de tapisseries et de mobilier élégant. L'endroit qui s'en rapprocherait le plus sur Terre, serait un mélange entre l'art inca et romain, agrémenté de technologie.

 

En effet, des fils nombreux couraient au plafond et des dispositifs de télédétection étaient implantés un peu partout. Je remarquais aussi de nombreux androïdes, occupés à frotter le sol, cimenter des parois et restaurer même des œuvres d'art, sous le contrôle de lézards pointilleux.

 

Un grande quantité d’œuvres d'art en or étaient visibles, des statues, des dorures, mais aussi du mobilier, recouvert de dorures, et même des sièges entiers en or massif !

 

Tout ceci était indéniablement d'une très grande beauté, mais l'or ne possède pour nous que peu de valeur. Nous lui préférons le cuivre.

 

Mon regard s'éclaira, car un peu plus loin, en effet, venaient des statues de cuivre et de titanium brillant. Ce sont les matériaux les plus prisés pour la construction des vaisseaux stellaires.

 

Nos pas ralentirent, les enfants tout aussi impressionnés que moi, car on pouvait voir en ce lieu la représentation de nombreux animaux, de différents peuples stellaires, ainsi que des nôtres.

 

On aurait pu croire que nous nous trouvions en un musée, tant la collection d’œuvres d'art était impressionnante.

 

Un peu plus loin nous avons découvert une salle de minéralogie, garnie de fossiles, puis enfin une bibliothèque gigantesque, claire et lumineuse, où de nombreux lézards discutaient. Leur langue, quoique assez rocailleuse, possédait certains sifflements qui rappelaient plusieurs dialectes stellaires que j'avais déjà entendus.

 

Nous avons suivi une autre coursive, aboutissant à un escalier très escarpé. Cette fois, le décor changea, et nous nous sommes retrouvés au milieu de fastueux jardins. Là, des petits troupeaux d'animaux, un mélange entre des moutons et des vaches, broutaient, ils semblaient très imposants, mais inoffensifs.

 

Encore plus loin, des bassins suspendus, habilement régulés abritaient des cultures d'algues. Une pompe géante autoportée pouvait se déplier en contrebas, pour ajuster la quantité d'eau de mer nécessaire.

 

Chacun de nous leva les yeux, observant très haut au dessus de nous, des centaines d'étages lumineux, avec les lieux de résidence de tous les habitants.

 

  • Vous êtes encore là, fit une voix amusée.

     

Chacun de nous se retourna, fixant un vieux lézard au regard vert intense, pareil à l'herbe printanière. Sa peau écailleuse était du même vert intense et son ventre tout blanc. Il semblait avoir un peu de mal à rester droit, aussi, prit-il place sur un banc.

 

  • D'où vous vient cette curiosité pour notre cité, voyageurs ? Oh, rassurez-vous, je ne vais point vous trahir, je me demande juste pourquoi vous êtes ici.

 

Sa voix douce était mélodieuse, et je compris qu'il s'agissait d'une femelle.

Voyant que nous étions trop intimidés pour converser, elle se dirigea vers un édifice circulaire à l'écart, avec un petit salon d'été garni de sièges.

 

Elle déplia plusieurs volets, masquant l'intérieur du petit pavillon.

 

  • Ici vous pouvez parler, dit-elle. Je me nomme Sirtalin. Soyez les bienvenus.

 

Je fixais son regard vert et n'y décelais nulle ruse. Je tendis le faisceau d'invisibilité à Oktos et apparus peu à peu.

 

  • Ooh ! Remarquable, fit notre hôtesse avec un doux contentement. J'ai été très attristée lorsque les crétins arrogants qui nous gouvernent ont choisi de chasser la délégation Denakh de notre monde.

  • Je me nomme Lestrys, je vous remercie pour votre accueil, exposais-je. Notre cité a été très attristée autrefois, il est vrai, de ne plus entretenir de relations avec les vôtres.

  • Ici, bien des choses ont changé, expliqua Sirtalin en me servant un breuvage à l'odeur florale. Il s'est produit une sorte de schisme entre les habitants. Beaucoup souhaitaient connaître la culture des végétaux et leur usage, pour tisser des habits à partir de lin, ou des sacs. Beaucoup désiraient ne plus consommer de viande crue, mais expérimenter les spécialités « de la surface », comme ils disent. Nous avons connu des révoltes. Certains habitants en avaient assez de se cacher, et souhaitaient changer de mode de vie, découvrir la cuisine terrienne, et redécorer nos intérieurs.

  • Je me souviens que certaines de vos cités comportaient uniquement des grottes, effectivement, exposais-je à Sirtalin.

  • C'est bien le cas, assura-t-elle. Tout n'est que pierre et que roc, à qui ne voit point au delà. Vous êtes entrés au niveau subtil de cette cité, voyageurs. C'est pourquoi, nul ne vous fera de mal ici, émit-elle en riant. J'ai aidé nombre de mes frères à gagner les cités de la terre intérieure. Beaucoup des nôtres souhaitent expérimenter une vie paisible. Ils sont las de la chicanerie, de l'esprit guerrier qui sied en nos niveaux inférieurs.

 

Je souris largement, admirant les superbes balcons de pierre blanche aux formes circulaires par le vitrage.

 

 

Ressentant autant de bonté que moi chez notre hôtesse, Oktos replia le voile qui dissimulait les enfants et lui même. Sirtalin put ainsi découvrir tout notre petit groupe.

 

Serri vint aussitôt à mes côtés d'un air craintif, tandis que je berçais près de moi le petit clone meurtri.

 

  • Quel adorable petit ! lança Sirtalin. Vous avez pris grand soin de cet enfant jusqu'alors. Pour venir jusqu'ici, il vous a fallu franchir la grande caverne des tréfonds obscurs.

  • Nous avions espoir de contourner ce lieu, nous suivions alors un troupeau d'animaux. Mais les passeurs ont dû refermer le portail subtil et nous sommes parvenus jusqu'à cette mer intérieure.

  • Oui, en effet, il existe beaucoup de mers intérieures de ce type, car elles tempèrent la chaleur des régions internes du globe terrestre. Aucun animal menaçant ne peut entrer dans cette zone. Et votre vaisseau, en passant à travers nos barrières invisibles, a affolé les ingénieurs et les services de sécurité. J'en suis navrée. Les nôtres sont encore très méfiants, même si une ouverture se profile. Le principal écueil est l'instinct de prédation, surtout envers les êtres vulnérables, fit-elle en fixant les enfants avec bonté. Mes proches et moi-même ne mangeons que des végétaux, mais hélas, beaucoup d'habitants subissent un sevrage difficile. Cette étape est indispensable, avant de recevoir des visiteurs humains ou aliens. Les humains qui fréquentent ces lieux sont nos amis et nous les protégeons. Ils doivent porter des dispositifs qui inhibent les hormones humaines et qui empêchent les nôtres non encore sevrés de les pourchasser.

 

Sirtalin versa à boire aux enfants et à Oktos et émit un son mélodieux. Un jeune homme vêtu d'une ample tunique blanche brodée de bleu fit son entrée. Il était roux et possédait un teint de porcelaine avec des yeux bleu pâle.

 

  • Bonjour, se présenta-t-il. Je suis Henri.

  • Très heureux Henri, c'est une agréable surprise de vous rencontrer, dis-je en tendant gauchement ma main.

 

Il la serra et serra aussi les petites mains des enfants qui trouvèrent cela très amusant. Je me présentais en nommant tous mes compagnons, et Henri parut ravi de telles manières.

 

  • Cela fait assez longtemps que je me trouve ici, exposa-t-il sans ambages. J'aimerais beaucoup vous accompagner, là où vous allez. J'aimerais tellement vivre dans une cité de lumière !

 

Je fixais Henri et haussais les sourcils, il était assez joufflu et pour tout dire assez replet pour un Terrien.

 

  • L'accélération vibratoire est très dangereuse pour les vôtres, exposais-je en toute transparence. Je puis vous mener jusqu'aux rivages intérieurs, mais vous prenez de grands risques en faisant un tel voyage. Vous pourriez ne pas survivre.

  • Je suis prêt, assura Henri.

  • Réfléchissez bien, jeune homme, émit Oktos. Ici vous êtes en sécurité.

  • Si nous réussissons à entrer dans une cité de lumière, je ne puis vous garantir que vous pourrez y séjourner, ajoutais-je, face au regard bleu intense du nouveau venu. En ce cas, il vous faudra peut-être gagner un autre lieu, plus adapté à vos fréquences vibratoires.

  • C'est d'accord, dit-il simplement.

 

Il en fut alors décidé en peu de temps, et Sirtalin nous invita à gagner des chambres accueillantes, afin de nous reposer quelques heures. Les enfants ne cessaient de dévisager avec curiosité le jeune Henri. Il devait leur sembler particulièrement étrange, car je pense qu'ils n'avaient jamais vu de Terriens. Chacun s'allongea dans la pénombre et dormit sereinement. Je tentais de veiller un peu, mais le sommeil m'emporta bientôt.

 

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