La rescapée (1/2)
En ce jour radieux, je suis heureux de vous conter un nouveau message.
Me voici pour vous relater la suite de notre périple.
Nous étions à dire vrai complètement bouleversés de notre séjour avec les êtres de Lumière. Orel et Dorian nous avaient montré la grande magie qui était à l’œuvre depuis longtemps dans les tréfonds de notre monde. Non seulement la circulation énergétique dans le sous-sol de notre planète s'était accélérée, mais des phénomènes de convergence s'étaient produits.
L'ouverture de nouvelles portes à l'intérieur du champ éthérique de notre planète, nous permettait désormais de recevoir la visite de nos proches bien plus aisément.
Mon ami Amoni était ainsi fou de joie d'avoir la visite d'Esvar, son frère. Il était demeuré chez nous quelque temps, ravi de notre nouveau lieu de vie si accueillant.
Il me faut avouer qu'après ces événements, nous avons choisi de prendre un peu de repos. J'étais pour ma part très heureux de me rendre en forêt pour y découvrir les lieux où poussent les meilleurs champignons. Mon flair ne me trompant pas, je revins avec une belle récolte et apportais le tout en cuisine, où Amoni et Zilmis étaient lancés dans une brillante conversation gastronomique.
Les choses semblaient avoir repris leurs cours ordinaire. A ceci près que parfois, Amoni restait longtemps figé face à la fenêtre.
Je savais quel était son souci et je l'accompagnais de mes prières silencieuses en songeant à cette nouvelle alien si attachante que j'avais espéré accueillir en notre demeure.
Un matin comme les autres, j'étais à peine revenu de ma récolte, qu'un Amoni surexcité se précipita vers notre vaisseau hâtivement rapiécé.
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Nous avons été autorisés à entrer ! me lança-t-il au bord des larmes. Venez vite !
Je m'empressais de mettre ce que j'avais trouvé au frais, puis le rejoignis à grandes enjambées. Zilmis, Orel et Dorian étaient déjà à bord du vaisseau.
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Le processus a réussi, lança joyeusement Orel.
Amoni se mit à pleurer à chaudes larmes, et Zilmis le consola.
Je m'empressais de lancer le décollage du vaisseau. Orel et Dorian auraient pu s'en charger, mais ils avaient à cœur de me transmettre leur savoir en matière de pilotage. J'avais exprimé ce souhait, aussi, Dorian corrigea-t-il l'assiette du vaisseau de sa main sûre, alors qu'une bourrasque le faisait dévier. J'émis une onde antigravitationnelle modérée, et il sourit.
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Vous vous en sortez très bien, ami, fit-il en relâchant les commandes. Bientôt, nous pourrons vous laisser piloter en pleine tempête ! assura-t-il avec un rire.
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Ne l'écoutez pas, s'amusa Orel. Sinon, il est capable de vous défier à cette manœuvre !
Notre vaisseau prit de l'altitude, sa proue régulièrement fouettée par le vent qui le faisait trembler. Je compensais en projetant des ondes antigravitationnelles suivant le vecteur approprié. J'étais un peu impatient que les déflecteurs en cours de mise au point par Zilmis soient installés, car ce vaisseau était à dire vrai assez difficile à piloter.
Comme il s'agissait d'un transport ancien, il fallait fabriquer tous les accessoires sur mesure, et cela était assez long. Il nous avait été nécessaire de sortir le vaisseau par tous les temps, en y disposant des capteurs, pour modéliser chaque équipement à partir des chiffrages de vecteurs de poussée récoltés.
Un ciel grisâtre habité de grands nuages agités se profilait. Je formulais une prière en repensant à la paisible alien que nous avions accueillie pour un temps. Amoni avait eu toutes les peines du monde à faire admettre sa guérison par le conseil des prêtres. Chez nous, en effet, les êtres dont l'esprit ne s'est pas accroché à la naissance, qui ne parlent pas, sont abrités en des temples, où ils participent à des cérémonies. Ils sont ensuite soignés, après un temps plus ou moins long.
Mes vociférations indignées avaient sans doute accéléré les choses. Sans parler bien sûr du fait qu'un autre alien « imparfait » avait été accueilli sur notre monde, contentant ainsi les prêtres au plus haut point à propos des cérémonies.
J'accélérais, plaquant chacun de nous contre son siège. Le centre de soins fut bientôt visible, abrité près d'un éperon rocheux, au sommet d'une montagne. Nous avons posé notre vaisseau rapiécé et tordu, sur l'esplanade garnie d'appareils flambants neufs, brillants comme des miroirs.
Le Kolal paisible en charge de l'accueil des visiteurs, agrandit les yeux mais ne fit nulle remarque, se contentant de poser sur nous un regard compréhensif.
Amoni s'avança avec une vigueur inaccoutumée pour lui faire face, et les deux êtres se fixèrent de leurs yeux noirs étincelants. Une conversation télépathique brève mais intense s'engagea entre eux. Puis, le grand alien se tourna vers nous et nous invita à le suivre en une onde télépathique aimable.
Il s'immobilisa près d'une grande baie vitrée. La grande alien était là, marchant pieds nus dans le jardin, alors que l'orage grondait au loin et qu'il commençait à pleuvoir. Je la détaillais de loin et constatais avec effroi qu'un épais bandage était présent sur sa nuque.
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Nous vous attendons, fis-je à un Amoni bouleversé.
Ce jour là, Amoni avait revêtu sa plus belle tunique, bordeaux brodée de motifs mauve. Je le vis s'avancer vers la grande alien et réprimais mes larmes. Il la fixa. Hélas, le regard de cette aimable apparition était vide, tellement vide, qu'elle semblait perdue en une très profonde songerie intérieure. Alors, il s'effondra à ses genoux, complètement désemparé.
Nous nous sommes précipités auprès de lui, malgré la pluie. Zilmis a tendu son manteau pour couvrir le visage d'Amoni, tandis que j'entourais la belle apparition du mien. Lentement, nous sommes revenus à l'intérieur.
Un petit alien énergique, un Ilstirr cette fois, nous aperçut et marcha d'un pas vif en notre direction.
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Mais qui êtes-vous donc ? Et pourquoi madame est-elle mouillée ? J'avais demandé qu'on ne la laisse pas sortir sous la pluie, soupira-t-il. Mais elle n'arrête pas de s'échapper.
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Nous sommes sa famille, répondis-je avec plus d'aplomb que je n'aurai cru en pareil instant.
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Très bien, fit le savant Ilstirr avec plus de bonté. Je suis l'expert en soins céphaliques, Remelok. Veuillez entrer. Voici de quoi vous sécher, fit il en nous tendant des serviettes.
Nous sommes entrés en un petit bureau. La grande alien tourna son regard vers Amoni, et sa main frôla la sienne, puis elle effleura son visage du sien très légèrement, comme on aurait frôlé le pétale d'une fleur à peine éclose. Je vis à son teint qu'Amoni était devenu écarlate et que son visage exprimait cette fois un bonheur des plus immenses.
Cette scène n'avait duré que quelques secondes, et chacun de nous, subitement illuminé d'une joie profonde, s'essuya les yeux. Nous ressentions pleinement le bonheur de notre ami. La belle alien, malgré son regard évanescent, semblait heureuse de nous revoir. Amoni s'assied et elle voulut prendre place tout près de lui.
Occupé à sortir des boissons d'un petit buffet et à les disposer sur un plateau, Remelok revint vers nous.
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Je suis heureux de vous voir, fit-il. Il va y avoir un très gros orage, remarqua-t-il sur le ton de la conversation. Les experts sont en train d'apprêter les récepteurs de foudre. Servez-vous donc, lança-t-il d'un ton fort joyeux.
Il vous faut savoir que les récepteurs de foudre sont des instruments permettant de recharger rapidement à peu près n'importe quoi. Ils servent lorsque les générateurs magnétiques de certains vaisseaux manquent de puissance, également quand nous avons des « batteries » affaiblies ou des installations qui ont besoin d'une grande quantité d'énergie pour démarrer.
Tout cet équipement est envoyé dans de grands hangars de mise en attente. Ces hangars sont reliés à des récepteurs de foudre, qui peuvent ainsi remettre en route un grand nombre de choses aisément. Cela va très vite et épargne beaucoup de travail. L'éclair salvateur parcourt toutes ces installations, avant de finir sa course dans la terre. Il faut bien sûr un grand nombre de dispositifs pour que cela soit fait en toute sécurité, car la force d'un éclair est considérable.
Je songeais à la joie des aliens qui travaillaient dans les centres de production d'énergie, près des chantiers spatiaux. Bien sûr, nous disposions de toute l'énergie nécessaire sur mon monde, mais certains vaisseaux antiques, ont parfois besoin d'un bon éclair pour redevenir opérationnels en très peu de temps.
L'orage approcha, et bientôt, des sons étranges comme des notes graves tintèrent au fond du couloir.
Pour vous, cela ressemblerait un peu aux sons graves d'un gong.
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Cela est lié aux impacts de foudre, expliqua notre hôte en toute tranquillité. Ne soyez donc pas inquiet, ce bâtiment est entièrement blindé, et par précautions, votre vaisseau a été remisé à l'intérieur. Nous avons vu qu'il était d'un modèle un peu... particulier, ajouta-t-il avec diplomatie.
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Il n'est pas encore tout à fait terminé, exposa Zilmis.
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Oui, bien sûr, fit le savant avec allégresse. Mais vous avez déjà accompli beaucoup de travail ! Il en est de même pour votre amie. Je vois combien elle est chère à votre cœur à tous, exposa-t-il. Elle dispose à présent d'une capacité cognitive originelle, celle qui lui permettra de faire votre connaissance. Vous devez être patients. Il est très dur aux imparfaits de formuler des sons. C'est votre intérêt, votre curiosité, qui vont l'encourager à s'exprimer.
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Que lui avez-vous donc fait ? demanda Amoni avec effroi. Avant, elle chantait.
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Le verbiage est absent pour l'instant. Ses fibres nerveuses doivent se reconstruire, se retisser dans le bon sens, exposa le savant. Lorsqu'un être naît, il dispose de neurocircuits lui permettant de tisser toute la trame du langage. Si ces circuits, ceux de l'apprentissage de la conversation, ne sont pas utilisés, ils disparaissent, laissant place à une personnalité plus « animale », pourrions-nous dire. L'être voit, entend et comprend ce qui l'entoure, mais il est capable de bien moins d'analyse, de bien moins d'expression. Il se replie sur lui-même et devient craintif en société. Nous avons modifié le cerveau de votre amie, pour lui apprendre de nouveau à converser. Pour l'instant, sa mémoire consciente est absente, mais elle se souvient de vous par son inconscient. Elle devra rester avec nous environ une semaine, afin que nous puissions surveiller la bonne restructuration de son cerveau.
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Vraiment ? demanda Amoni, très chagriné.
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Oui, cela est important, exposa l'alien avec compassion, en lui tendant un plat garni de petits cakes moelleux. Si vous voulez son bien, vous devez nous laisser faire. Nous disposons de tous les appareils de sondage permettant de surveiller la bonne restructuration de son cerveau. Et il faut aussi que sa plaie guérisse.
Amoni semblait bouleversé. Je crus qu'il allait se dresser pour protester, mais il n'en fit rien, malgré sa révolte intense. A dire vrai, lorsque l'on est plongé dans l'étude comme nous, et que notre journée regorge d'activités passionnantes, une semaine passe très vite.
Nous avons raccompagné la belle apparition jusqu'à sa chambre. Amoni l'aida à s'allonger, mais elle ne voulait pas lâcher sa main. J'avais déjà remarqué cela et j'en éprouvais un émoi intense. A dire vrai, ses yeux bleus clairs semblaient dire bien plus que tout ce qui ne pouvait sortir par sa gorge. Chacun de nous était bouleversé de ces adieux aussi poignants. Nous avons embrassé notre amie, et Dorian la serra près de lui en murmurant de paisibles paroles. Il effleura ses joues avec des gestes aériens, et la grande alien sourit largement.
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Que lui avez-vous donc fait ? interrogea Amoni d'une voix chevrotante.
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Je l'ai apaisée. C'était plutôt nécessaire. N'oubliez pas que c'est encore une enfant dans sa tête. Cette alien tient tellement à vous, qu'elle est incapable de vous laisser partir. Elle envisage même de s'enfuir et de traverser l'orage et la jungle pour vous rejoindre ! s'amusa Dorian.
Amoni devint de nouveau écarlate, et parut très content de lui.
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Je vais revenir demain, s'empressa-t-il d'ajouter. Elle ne doit pas encore être tout à fait habituée aux guérisseurs qui officient en ce lieu, voilà tout.
Chacun de nous sourit, en ajoutant que c'était une excellente idée, et qu'il devait bien en être ainsi. Bien sûr, je n'étais pas dupe sur les tendres sentiments qu'Amoni vouait à la douce apparition, mais il aurait été très malhabile de lui faire remarquer. Mon ami possédait une telle intégrité, qu'il était incapable de songer à une proximité émotionnelle avec une patiente. Le fait d'imaginer profiter d'une telle situation était tout simplement hors de propos.
Nous sommes ressortis du complexe à une heure avancée, à dire vrai, il faisait presque nuit. Je surpris un petit groupe de généticiens, dont deux aliens de Kolménide, et un savant Tarethos au teint vert forêt et aux très beaux yeux vermillon. Les experts de la planète Arètha étaient très estimés et les bienvenus sur mon monde, où toutes les nouvelles connaissances ayant trait à la guérison étaient partagées.
Chacun de nous dévisagea l'expert avec une sorte de vénération religieuse. Nous savions que de tels généticiens étaient très rares. Nous étions confondus de songer à l'âge de ce chercheur, que nous sentions immense. Nous éprouvions envers lui une immense gratitude, car il avait sans nul doute œuvré à tirer notre amie de sa torpeur.
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