A la croisée des mondes (4/5)
Message du Professeur Zolmirel (suite)
Nous avons suivi un passage s'ouvrant dans la falaise, puis commencé à escalader un escalier interminable. Au dessus, une nacelle nous permettrait de nous élever, environ 3000 mètres plus haut.
Chacun de nous en sortit avec soulagement, contemplant avec bonheur les sommets d'argent qui miroitaient sous le soleil. De rares fleurs secouées par le vent s'épanouissaient sur les versants emplis d'herbes folles. De jeunes lézards et des cervidés jouaient à se poursuivre sous l’œil attentif de leurs parents. Nous sommes passés près d'un animal gigantesque de 10 mètres de long, un lézard herbivore fort paisible. Il détailla notre petit groupe avec curiosité de ses yeux jaunes, puis retourna à sa sieste. De tels lézards passaient la plupart de leur temps à brouter. Les plus jeunes étaient même invités à venir par les habitants, qui les apprivoisaient afin de tondre la végétation autour des villages. Certains de ces lézards volaient. Plus petits, ils aimaient se nourrir de fruits. Ces animaux étaient intelligents et ne prélevaient des arbres que les fruits les plus hauts, inaccessibles aux nôtres.
En cette contrée quelque peu hostile, vivaient de nombreux animaux d'altitude, à plumes et à fourrure. Les fauves étaient rares, mais il nous fut donné de voir de loin une sorte de panthère blanche, qui prit la fuite à la vue des êtres de lumière.
Nous nous sommes installés au sommet d'une montagne pour nous restaurer, devisant allègrement en admirant les sommets de plus de 5000 mètres de haut tout autour de nous. A cette altitude, les arbres étaient plus petits. Amoni et moi étions comblés de constater que nos facultés antigravitationnelles étaient revenues. Nous nous sentions prêts désormais.
Nous avons achevé notre collation et sommes redescendus de la montagne. Devant nous, une sorte de défilé s'ouvrait dans la montagne. Très haut, des ouvertures avec des grottes habitées étaient visibles.
Nous nous sommes figés, apercevant une silhouette craintive. Un alien au teint saumon venait en notre direction. Il s'approcha lentement. Zilmis se précipita aussitôt pour l'étreindre.
-
Je vous présente Enarthel, nous exposa-t-il.
Je réalisais que l'alien était en tout point comme lui. Il s'agissait d'un autre androgyne possédant la voix jeune d'un adolescent. Je le saluai aussitôt avec joie.
-
Vous venez de l'extérieur... vous venez de loin, fit-il d'un ton rêveur en contemplant les deux êtres de lumière. Cela est donc possible...
-
Oui, il est possible de fuir, assurais-je avec gravité.
-
Pas par là, nous pressa-t-il. Venez donc, venez !
Et notre nouvel ami nous entraîna bien loin du défilé. Nous avons abouti à une sorte de voile irisé bleu turquoise, puis l'avons franchi. Alors, nous apparut une jolie demeure bois mouluré, accolée à une construction extraordinaire, en cristal coloré, qui s'ouvrait telle une fleur parfaite vers le ciel. Une famille apparut et nous souhaita la bienvenue. Une alien des montagnes aux yeux bleus presque blancs nous présenta sa fille, et son époux, un petit homme aux amples cheveux blancs.
-
Je suis le physicien Nostratti, j'étudie les épaves, nous lança-t-il d'un air allègre. Oui, je sais, je suis un humain, il n'y en a pas beaucoup ici, pas vrai ?
Chacun de nous le salua avec bonté, lui assurant qu'il en était très bien ainsi. Il y avait peu de couples mixtes, entre humains et aliens, pour la simple raison que ma planète comportait surtout des reptiles. Mais les humanoïdes de Mistra y étaient les bienvenus, car il s'agissait d'un monde ami. Hélas, les Galmols des montagnes semblaient ne point s'en soucier. Faisant montre d'ingérence et de provocations nombreuses, ils avaient réussi à chasser cette famille du village.
La mère Galmol avait du prendre soin seule de ses deux enfants, jusqu'au moment où elle avait rencontré un aimable physicien. Le nouveau venu, loin d'apaiser la fureur des habitants, semblait avoir renforcé leur hostilité. Ils avaient donc été contraints d'ériger une barrière en ce lieu. Cette famille très agréable nous hébergea tout naturellement pour la nuit.
-
Nous allons partir d'ici quelques jours, expliqua Gaya, le jeune androgyne à Zilmis avec un sourire. Les anciens ont entendu nos appels, ils ont trouvé un lieu de vie bien plus accueillant pour nous, très loin vers les plateaux. La maison va être déplacée.
-
J'en suis ravi, assura Zilmis. Je ne savais pas que vous aviez été réprouvés.
-
C'est à cause de moi, soupira Gaya. Si j'étais différent, les habitants ne seraient pas aussi furieux, et ma mère n'aurait pas eu autant d'ennuis.
-
Ce n'est pas la vérité, juste ce que l'on voudrait que tu croies. Si vous n'étiez point partis de ce village de fous, ta mère n'aurait pas rencontré un nouvel époux.
Apprenant par la suite cette conversation, chacun de nous consola Gaya de son mieux.
Plus que jamais, nous étions résolus à faire échouer les plans de ceux qui pensaient avoir à nous dicter notre avenir et notre conduite.
Nous sommes donc retournés le matin venu vers le vallon encaissé, plus décidés que jamais, les prières et les encouragements de nos amis résonnant encore en nous.
Fixant les falaises grises aux fenêtres minuscules, je songeais combien cet endroit était austère. Les cris et les braillements de rigueur accompagnèrent notre venue. Il nous fallut tout notre courage pour nous engager dans ce défilé. Nous sommes parvenus bientôt en une petite place de village, grise et poussiéreuse, des visages méfiants étaient collés aux fenêtres. Chacun de nous salua les aliens qu'il croisa, et ces derniers se gardèrent bien de nous répondre.
Nous avons franchi plusieurs passerelles de bois agréablement décorées, aux planches défranchies et sommes parvenus à une falaise au dessus d'un vide impressionnant. C'était là qu'habitait Zilmis. Un vaste balcon de pierre bordait l'immense demeure, de plus de 10 étages, creusée dans la falaise.
Trois aliens au visage fermé parurent sur le perron. L'oncle, le père et la mère de Zilmis. Je ne sus dire lequel semblait le plus en colère. Sa mère était la plus grande de tous, chose amusante en cette contrée où les femelles subissent l'oppression.
-
Á la maison, et plus vite que ça ! aboya-t-elle en guise de bonjour, à l'attention de Zilmis, qui ne bougea même pas.
-
Bonjour maman, je vois que tu me souhaite la bienvenue, répondit Zilmis avec bien plus de sérénité que je ne l'en aurai cru capable.
-
J'ai dit : à la cuisine, beugla sa mère, et tout de suite !
-
Je ne suis plus un enfant que tu intimides à force de cris. Il est fini ce temps où vous faisiez de moi votre esclave à tout faire, riposta Zilmis.
-
Comment oses-tu ? protesta son père. Tu n'es qu'un imparfait ! Et les imparfaits doivent œuvrer aux plus basses besognes, cela est écrit dans notre religion !
-
Laissez donc votre religion de côté, en voilà assez ! répondit Zilmis d'un ton hostile. Il s'agit de vous, de tout ce que vous m'avez fait subir durant toutes ces années.
-
Les imparfaits n'ont pas le droit de se marier, fulmina sa mère en s'approchant de nous, heurtée visiblement par notre proximité.
Elle poussa presque aussitôt un cri, comme se cognant à une barrière invisible, et massa ses mains endolories.
-
Quelle est donc cette magie ? siffla t-elle férocement. Et qui sont donc tous ces gens ?
-
Voici le botaniste Zolmirel, que je souhaite épouser.
-
Un vieil alien de plus de 8 siècles ! Cela est un sacrilège ! siffla-t-elle avec courroux.
-
Mais c'est un savant, et un grand scientifique, qui a écrit plusieurs ouvrages, ajouta Zilmis.
-
Et aussi un fin cuisinier, ajouta Orel avec malice.
-
Un très excellent compagnon, ajouta Dorian.
-
Ainsi qu'un grand ami, acheva Amoni.
Un peu décontenancée par autant d'affirmations concernant ma personne, la mère de Zilmis sembla réfléchir un court instant.
-
Enfin, c'est insensé, dites-moi que je suis en train de rêver !
-
Vous ne rêvez pas madame, répondit gracieusement Amoni, de son ton le plus éloquent. Mon ami ici présent, a choisi votre fils pour époux, même s'il est de nature différente. Chez nous, un tel enfant est considéré comme un être absolument parfait, un don du ciel. Zolmirel est venu recueillir votre consentement. Si vous refusez ce mariage, nous nous en passerons, voilà tout. Mais vous manquerez la grâce de connaître notre famille, nos enfants et d'assister à une belle fête. Ce serait donc bien dommage. Maintenant, nous allons nous en retourner et vous laisser réfléchir. Nous ne souhaitons vous obliger en rien.
Chacun de nous alors fit mine de partir. J'admirais intérieurement l'habileté merveilleuse de mon ami. Il ne se passa que dix secondes, avant que l'une des tantes de Zilmis ne nous rappelle. Elle se précipita à notre suite.
-
Je vous en prie, ne partez pas ! Elle est complètement obsédée par ces traditions compassées, et le regard du voisinage. Voilà qui est bien sot. Venez donc en ma demeure, venez, je me ferai une joie de vous accueillir ! nous lança t-elle en nous invitant à la suivre.
Chacun de nous la suivit et entra dans une fort jolie grotte aux murs sombres agréablement rehaussés de tapisseries multicolores et d’éclairages dorés.
-
Voilà qui est bien absurde, fit elle. Je suis la tante Zerta, de mon cher petit, lança t-elle avec chaleur. Tu m'as beaucoup manqué, et maintenant si grand avec cela, et revenant avec un noble compagnon ! soupira t-elle en l'embrassant.
Elle se précipita vers moi, m'embrassant de même, et je n'osais croire à une telle grâce. Chacun de nous murmura des bénédictions, troublé et heureux de cet instant.
-
Un savant dans la famille, quel bonheur ! lança t-elle. Me ferez-vous la joie de nous conter votre rencontre ? J'ai été très inquiète de ton départ, exposa Zerta. Heureusement, quelqu'un que je connais bien avait un œil sur toi, et cela était bien.
L'image d'Erazel ponctua ses propos et j'en demeurai abasourdi. L'acceptation d'Erazel concernant la soumission féminine de ces contrées devait être proche du degré de tolérance d'un torpilleur cosmique. Il aurait d'ailleurs été impensable de songer à contraindre la vénérable ancienne de quelque manière que ce soit. Je ris rien qu'à l'idée d'y songer. Erazel aimait son indépendance et ne se privait pas de le faire savoir. Lorsqu'elle était en visite sur les rares mondes alliés demeurant un peu frileux à l'idée de laisser les femelles libres d'organiser leur vie, gare à ceux qui n'étaient point d'accord avec elle. En particulier avec le fait que son époux, un alien tranquille continue d'écrire ses livres, alors qu'elle se chargeait d'explorer les cieux.
Zerta semblait une alien affable, son époux était aussi plaisant qu'elle, et je réalisais qu'il s'agissait de deux aliens fort intelligents et ravis de converser autant que nous. Ils ne se plaisaient point en cette région hostile, disaient-ils, ils se heurtaient souvent à l'incompréhension des habitants, car eux étaient guérisseurs et se plaisaient à recueillir des animaux blessés, parfois incongrus.
Je surpris plusieurs variétés de serpents occupés à faire leur sieste, mais aussi, un jeune fauve à la patte blessée, et un lézard volant à l'aile endommagée.
-
Nous aimerions bien partir d'ici, expliqua Zerta. Ils surveillent tout ce que nous faisons, et j'ai presque l'impression qu'ils sont jaloux de notre joie de vivre. J'ai été très attristée de voir que ta famille avait pris votre vaisseau. Cela est bien mesquin de leur part. Ils ne comprennent pas à quel point l'amour compte plus que tout. On dirait au final que votre bonheur leur fait de l'ombre. Mais ce sont eux qui seront punis puisqu'ils refusent d'assister à votre fête. Nous, nous viendrons.
-
Et comment que nous viendrons ! répondit son époux. Toutes mes félicitations ! Un peu de joie dans cette famille, cela fait du bien. Nous avons eu de la peine quand tu es parti, mais nous nous réjouissions intérieurement ! Tu as échappé à ce lieu où les cœurs sont devenus aussi froids que la pierre, et où l'ancienne religion a tari l'espoir des plus jeunes. Tu n'as rien manqué. Ici, il ne se passe pas grand chose. Nous vivons au rythme des saisons, la montagne qui nous cache et nous abrite est une alliée précieuse, mais nous avons aussi besoin de lumière. Il faudra du temps, mais je pense que tes parents changeront d'avis quand ils vous verront tous deux aussi unis et joyeux.
-
Merci pour vos bonnes paroles, répondis-je avec émotion. Nous sommes heureux de songer que nous nous rejoignons parfaitement.
-
Et pour sûr ! reprit Zerta, avec l'assurance typique du peuple des montagnes. Nous sommes un couple harmonieux et parfaitement complémentaire. Nous avons toujours pensé que les écrits religieux des anciens sages avaient été détournés et travestis par des êtres de pouvoir vils et corrompus, afin de faire asseoir leur autorité. Il vous faut partir à présent, avant que ne viennent les gardes et les prêtres. Je crois que le chef du village doit aussi être furieux. Cela dit, je ne l'ai jamais vu rire. Nous allons vous faire sortir par derrière.
Nous avons remercié les deux aliens, puis avons abouti au sommet de la falaise. De là, j'eus un bref aperçu d'un alien acariâtre singulièrement bougon, qui houspillait ses troupes en gesticulant de colère. Zilmis et moi-même nous sommes écartés précipitamment en hurlant de rire. Quelques instants plus tard, nous étions de retour en contrebas de la falaise.
Vous pouvez reproduire ce texte et en donner copie aux conditions suivantes :
-
qu'il ne soit pas coupé
-
qu'il n'y ait aucune modification de contenu
-
que vous fassiez référence à notre blog : http://www.unepetitelumierepourchacun.com