Les complexes (2/3)

Publié le par Aurélia LEDOUX

Les complexes (2/3)

Message du Professeur Zolmirel (suite)

 

 

 

Nous étions attablés au jardin, occupés à boire une infusion. Une petite valise abritait les bocaux que nous avions patiemment élaborés ce jour là. Il s'agissait de remèdes aidant à la cicatrisation, et permettant aussi de ressouder les os plus rapidement, chez de jeunes enfants, principalement.

 

Je sentis aussitôt une pensée hostile et insidieuse, et me dressais.

Minel l'avait sentie également, elle posa sa main sur mon épaule pour m'apaiser. Nous étions seuls tous les deux, et une dizaine de Galmols de montagnes farouches apparurent subitement, surgissant du fond du jardin.

 

Tout à fait abasourdi, j'étais malgré tout fasciné par leur teint saumon, plus ou moins cuivré, plus ou moins rosé, en fonction de leur âge. Les plus jeunes possédaient un teint plus clair, presque blanc. Leurs yeux, bleu ciel, ou bleu azur, ressortaient de manière intense.

 

  • Bonjour, dis-je avec stupeur.

 

Le plus grand et colérique s'avança aussitôt.

 

  • Cela fait bien des lunes que nous guettons cet instant, et tout ce que vous trouvez à dire est « bonjour », comme l'un des ces humanoïdes incapables ? grommela-t-il.

  • Ravi de vous voir de même, répondis-je posément.

  • Alektimani sit, répondit également Minel sans s'émouvoir.

  • Qui est donc cette créature ? siffla le vieil alien belliqueux.

  • Je suis le botaniste Zolmirel et voici Minel, experte en propulsion de vaisseaux, et en remèdes, exposais-je.

  • Une femelle experte en vaisseaux ? Voilà qui est absurde ! Nous savons très bien qui vous êtes... Où est Zilmis ? aboya-t-il.

  • Il n'est pas ici, répondis-je d'un ton de glace. Que lui-voulez-vous donc ? Avez-vous donc quelque besogne en cuisine à lui confier ? Des travaux de vaisselle peut-être ?

 

J'ironisais quelque peu, par dépit, et aussi pour manifester plus d'assurance que j'en possédais. Une sourde révolte m'habitait en songeant à la montagne de vaisselle que Zilmis avait dû nettoyer autrefois chaque jour. Mais je n'en menais pas large.

 

  • Ne te moque pas de nous ! rugit son père. Les androgynes doivent agir en cuisine avec les femelles ! siffla-t-il face à Minel. Telle est la tradition.

 

Elle se dressa de toute sa hauteur, et un courant énergétique cinglant me fit frissonner intensément. Elle me serrait toujours près d'elle.

 

  • Vous, pas venir ici, pas les bienvenus, si mauvaises pensées, répliqua-t-elle avec assurance. Ici femelles libres, alors vous retourner laver votre vaisselle vous-même ! répondit-elle vertement. Vous retourner école avec petits enfants, si vous incapables laver et ranger votre intérieur !

 

Je réprimais un rire, car le père de Zilmis semblait fortement allergique à l'entretien d'une cuisine.

 

Il cria un ordre, et les autres Galmols se précipitèrent vers nous. Ils avisèrent notre précieuse collection de bocaux empilés dans la valise. Je la refermais et la fit léviter à l'intérieur, juste au cas où. Emplis de fureur, ils escaladèrent l'escalier en se ruant vers nous. Il y eut subitement un bruit sourd. Ils avaient heurté un mur invisible, et retombèrent en tas les uns sur les autres.

 

Minel et moi-même avions agi de concert. Nous avons eu un rire subit, ce qui intimida nos assaillants.

 

Emplis d'une crainte superstitieuse, ils se relevèrent en grommelant.

 

  • Nous n'avons pas approuvé cette union ! protesta la mère de Zilmis avec aigreur. Zilmis est notre enfant. Rendez-le nous !

  • Zilmis est libre, répondis-je calmement. Il ne souhaite pas revenir chez vous. Ici, les androgynes sont aimés et respectés. On ne les oblige pas à effectuer des tâches ingrates. Ils peuvent suivre la profession de leur choix. Zilmis est ingénieur, et expert en réfection de vaisseaux stellaires. L'avez-vous oublié ?

  • Nous ne l'avons pas autorisés à suivre cette voie ! lança son père vainement. Il s'est enfui !

  • Plus on emprisonne un être, plus il tentera de fuir, philosophais-je.

  • Voici une pensée bien hérétique, répliqua-t-il. Les femelles et les androgynes sont cantonnés aux tâches ménagères, point ne leur est permis de voyager dans l'espace. C'est la tradition, un point c'est tout !

  • Voici une tradition qui ne fait pas le bonheur des êtres et qui est bonne à être désintégrée avec un torpilleur plasmique ! répliquais-je avec indignation. Vous devriez être fiers du talent de votre enfant ! Au lieu de cela, vous songez à lui faire vivre une existence recluse et soumise.

  • Retournez en votre montagne, répondit Minel fermement. Zilmis est chez lui ici, et il est libre. Vous devriez accepter son choix.

 

Quatre Galmols qui avaient commencé à se diriger vers notre vaisseau flambant neuf s'immobilisèrent. Ils frémirent de peur en avisant le regard implacable de la grande alien.

 

Les parents de Zilmis voulurent de nouveau se précipiter vers nous, mais Minel étendit la main.

 

Un fluide implacable repoussa la dizaine d'aliens vers les limites boueuses de notre potager. Ils furent projetés à six mètres de distance et retombèrent en piaillant de colère les uns sur les autres.

 

Je fixais Minel avec une admiration éperdue.

 

  • Je serais toujours avec vous, dit-elle avec bonté. Ne les craignez pas.

 

Plutôt refroidis par cette démonstration éblouissante, les parents de Zilmis se relevèrent en tremblant de peur. Leurs habits défraîchis étaient couverts de boue de la tête aux pieds. Ils ressemblaient à des cultivateurs d'algues de marais qui venaient de faire une bonne récolte, et nous avons essayé de ne pas trop rire.

 

Ce ne fut pas le cas de nos plus proches voisins, qui s'avancèrent ostensiblement vers la petite troupe en s'esclaffant.

 

Tentant de marcher dignement, la famille de Zilmis s'en fut en silence. Une quinzaine de nos amis les regardèrent s'en aller, félicitant Minel pour son action.

 

  • C'est tout ce qu'ils méritent ! protesta un vieil alien affirmé. Quelles traditions compassées ! Voici une contrée bien primitive.

  • Aliens mettre du temps pour se libérer traditions désuètes, répondit Minel. Un peu triste, j'aurais espéré eux venir en amis et nous pouvoir converser.

  • Ce sera peut-être pour une autre fois, fit une voix malicieuse. Vous leur avez donné une bonne leçon. S'ils veulent enlever Zilmis ou l'un d'entre vous par la force, ils devront y réfléchir à deux fois maintenant.

 

Erazel se tenait face à nous, et un bon sourire habitait son visage d'alien vénérable. Elle nous embrassa, et chacun de nous remercia nos amis pour leur soutien.

 

  • Je serais venue plus tôt si cela avait été nécessaire, fit-elle en riant. Mais avec une alien de cette trempe, je me fais peu de soucis concernant votre sécurité ! lança-t-elle d'un air ravi. Félicitations ! C'était très divertissant ! Vous maniez l'antigravité avec une virtuosité effarante !

  • Moi protéger ami, exposa Minel en rosissant. Eux pensées viles, obstinées.

  • L'obstination est un mal persistant qui sévit dans cette contrée des montagnes. Leurs anciens voient bien que les jeunes délaissent ces contrées obscures pour la région des plaines, où ils sont plus heureux. Eux préfèrent s'enliser dans leurs traditions plutôt que de changer... Il ne reste plus que 20% de femelles, tant les conditions de vie sont rudes, philosopha Erazel.

  • Voici qui explique leur inquiétude concernant l'ouvrage en cuisine...

  • Les mâles vont devoir apprendre tôt ou tard à cuisiner et nettoyer, s'amusa Erazel. Ils vont aussi devoir apprendre à s'occuper des enfants. Cela n'a rien d'offensant, bien au contraire.

 

Chacun de nous entra au salon pour se remettre de ses émotions.

 

  • Je ne comprends pas ce monde, où l'existence de chaque catégorie est cloisonnée, soupirais-je. Zilmis a bien fait de fuir des parents aussi autoritaires ! Heureusement que son oncle et sa tante sont des aliens plus avenants.

  • Minel a raison, fit Erazel. Il faut juste du temps pour que les vieilles mentalités se tarissent. C'est le fruit d'observances religieuses déformées allègrement par les mâles qui craignent l'intelligence des femelles et des inversés. Quant aux androgynes, c'est encore pire, ils sont considérés comme des êtres impurs, ce qui est totalement faux, bien entendu. En notre province, il y a parfois la moitié de la population qui est androgyne, et bien sûr, ils craignent cela, cette fusion du masculin et du féminin. Pourtant, c'est inévitable. Beaucoup d'animaux ont déjà muté de la sorte. Il est normal que notre peuple puisse devenir ainsi, tout comme le sont les êtres de lumière pour la plupart.

 

Chacun de nous médita ces sages paroles, buvant l'infusion que notre amie fit apparaître aussitôt.

 

Erazel resta avec nous tout l'après-midi, discourant de choses et d'autres, et nous faisant rire à perdre haleine. L'incident finit par sortir de mon esprit. J'imaginais avec jubilation le père de Zilmis obligé d’œuvrer au nettoyage d'un tas d'habits particulièrement boueux.

 

Bien sûr, Zilmis et moi-même avions un écart d'âge plutôt élevé, notre union pouvait choquer. Mais je peinais à pardonner à sa famille l'existence misérable qu'ils lui avaient fait mener autrefois. Sa famille n'avait aucun souci de son bonheur. Tout ce qu'ils souhaitaient, c'est d'avoir un domestique qu'ils pourraient diriger comme bon leur semble.

 

L'action éclatante de Minel les avait éjectés de manière impitoyable, leur faisant sûrement regretter cette incursion. Sans oublier le soutien indéfectible de nos amis, qui s'étaient montrés juste à propos. Ils auraient pu se manifester avant, mais ils avaient jugé meilleur que la famille de Zilmis puisse constater l'éclatant pouvoir de Minel. De mon côté, j'aurais pu me défaire sans peine de quatre individus, mais une dizaine d'aliens, cela faisait tout de même beaucoup. Le risque était de les éjecter trop fort, et qu'ils se fassent mal. C'était une chose que nous ne souhaitions aucunement. Un sol boueux était donc tout indiqué en ces circonstances.

 

Vous pouvez reproduire ce texte et en donner copie aux conditions suivantes : 

 

 

 

 

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