La vie première (2/3)
Message du Professeur Zolmirel (suite)
Avec les enfants, une fois de plus, je m'affairais dans la soute, en enfilant un habit caoutchouteux avec peu de joie. Ils m'aidèrent de leur mieux, bien serviables malgré leur jeune âge. Chacun de nous a ri, en dépit de nos déboires avec ce type d'équipement. Je fixais avec effroi une sphère aride zébrée de traînées sombres et pourvue de hauts plateaux, on apercevait des milliers de cratères. Les enfants frémirent à ce spectacle et je les entourais pour les rassurer.
Ce lieu était lugubre à souhait, mais d'une beauté majestueuse. Par le vitrage du sas, nous pouvions voir à perte de vue le paysage. Un étagement de hauts massifs sculptés par les marées cosmiques et les impacts d’astéroïdes se révéla. La prescience d'Erazel nous serait d'un grand secours pour nous risquer en ce lieu. Elle posa notre navire sur un piton isolé, et nous en sommes tous descendus, à l'exception d'Orel, qui surveillait le vaisseau. Dorian nous accompagna, avec sa tranquillité habituelle.
Je posais mon pied sur cette lune sombre et entrecoupée de crevasses. Un paysage de nuit, peuplé de rocs acérés et tourmentés, apparut.
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Je me demande bien comment vous faites pour être si serein, exposais-je à Dorian, alors que mes genoux s'entrechoquaient. Si un jour une forêt paraît en ce lieu, j'en serais le plus surpris.
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Des jaillissements de lave pétrifiée, qui ont gardé cette forme effilée, fit observer Dorian posément. Il n'est nul danger en ce lieu, dit-il en prenant la main de Zilner. Nos combinaisons et les champs protecteurs, nous protègent parfaitement des radiations.
En effet, chacun de nous était entouré d'un champ légèrement lumineux. Autrement, nos corps auraient été fort incommodés de cette pluie de particules. Les prêtres devant nous avançaient à pas prudents, en descendant un étroit raidillon ponctué de blocs de pierre.
Nous sommes parvenus au bord d'un gouffre extrêmement profond. Malgré notre courage, chacun de nous éprouva une peur bleue. Erazel alluma plusieurs lampes à plasma sur son équipement et nous conseilla de faire de même. Puis, nous nous sommes encordés les uns aux autres, et avons plongé dans le vide. Mes yeux sensibles d'être nocturne voyaient à peine les parois rocheuses autour de nous. Cette chute dura assez longtemps, et nous fit malgré tout éprouver une sensation grisante. Les dispositifs antigravité de nos équipements amortirent agréablement notre descente.
Enfin, nous avons touché le fond de ce puits immense, de 1500 mètres environ. Le petit Zilner tremblait sur ses jambes et je l'aidais à avancer, tout aussi effrayé que lui. Bientôt, les lampes puissantes d'Erazel révélèrent un spectacle d'une sereine beauté, et toutes nos peurs passèrent aussitôt. Une forêt de concrétions cristallines blanc pur s'étendait devant nous. Il nous fut donné d'admirer une salle entière parée des plus belles chandelles, à la brillance infinie.
On peut se perdre facilement en un tel dédale, et Erazel, avec sa prescience habituelle, cherchait pour nous le passage le plus sûr. Elle nous fit emprunter de hauts couloirs de basalte sombre, bordés de draperies saumon, ocre et jaunâtres. À un instant, mon pied dérapa, et je perçus en contrebas, un intense rougeoiement. De la lave ! Il y avait une rivière de lave sous nos pieds.
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C'est exact, me fit Erazel par l'esprit. Nous sommes au-dessus d'une arche de basalte. Soyez assez aimable pour ne rien apprendre de tout ceci aux enfants. Ils semblent avoir retrouvé leur courage. Et nous sommes parfaitement en mesure de vous protéger de ce lieu, émit-elle sereinement.
C'était la vérité bien sûr, mais je n'en menais pas large. La gravité très faible nous permettait de nous déplacer vite et bien en ce lieu incertain. Il nous fallut emprunter des toboggans de pierre, nous faufiler en des passages étroits. Les enfants, bien plus lestes que nous, considéraient cela comme un jeu. Une heure sembla s'écouler, et je choisis de faire confiance à mes compagnons. Un spectacle superbe se révéla à nos yeux. Nous étions parvenus face à un lac d'un bleu éclatant. De grands rochers arrondis émergeaient régulièrement, ce qui nous permit de le franchir. Les enfants trouvèrent cela très amusant, bondissant sur chaque rocher avec une incroyable agilité. Au bout de ce lac, se dressait une paroi étagée, et Erazel commença à la grimper. Les roches étaient légèrement glissantes. Chacun de nous s'aida du champ antigravité de son scaphandre pour ne pas trébucher. Nous sommes finalement parvenus au sommet de la paroi. Un peu hésitant sur mes jambes, je frémis agréablement lorsque Dorian m'insuffla son fluide prodigieux. Nos regards se sont croisés en une connivence absolue.
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Merci mon ami, lui dis-je, vous agissez de manière toujours si opportune.
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Vous êtes bientôt au bout de vos peines, fit-il observer.
Nous avons continué à avancer, et alors, se révéla devant nous un bien fastueux spectacle. Une sorte de niche était abritée dans la falaise, avec un bel éclat doré et bleuté, dû à des milliers de formes de vie énergétiques en suspension.
Je perçus une pensée très pure, une sorte de vibration. Un chant sublime semblait jaillir comme de la pierre. Un bassin naturel au fond bleuté phosphorescent était visible. Chacun de nous s'agenouilla et attendit.
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Nous vous attendions, fit une pensée avenante. Nous vous remercions d'être venus. Vous pouvez les déposer nous nous chargerons d'eux jusqu'à leur éclosion. Les éminences ont fait un long chemin.
Dorian et Erazel, aidés des enfants déposèrent les étranges « noix » qu'ils portaient, sur le sol de la grotte. Je fis de même, et les prêtres bénirent les formes de vie étranges.
Un bon millier de questions fusèrent en mon esprit. Les formes de vie minuscules et lumineuses vinrent frôler doucement nos visages et nos mains. Malgré nos scaphandres, nous avons éprouvé alors une joie immense.
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Vous avez réussi, fit la douce pensée.
Les animalcules s'approchèrent des noix, certains ressemblaient à des scarabées, des méduses, ou à des sortes de papillons. Ils les emportèrent et les posèrent en des points précis de la grotte, dont les parois ruisselaient d'une eau très pure.
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Ils seront bien ici, exposa la présence. Vous vous demandez ce que sont les éminences. Il s'agit d'une forme de vie extrêmement pure, le foyer, le pilier de la création. Ces vies en dormance abritent à elles-seules toute la vie à venir de ce monde. Cela est un bien vaste programme. Les éminences vont grandir, jusqu'au plafond de cette grotte, et leur suc va se répandre dans l'eau, s'étendre à toutes les grottes de cette lune. Vous pouvez penser qu'il s'agit de stalagmites ordinaires, mais il n'en est rien. Vous devez savoir que toute chose est reliée. La vie première aspire à s'étendre toujours plus loin pour illuminer de nouveaux mondes. Merci à vous d'être venus de si loin ! Maintenant, vous pouvez vous retirer et vous reposer, nous prendrons soin d'eux.
Chacun de nous avait les yeux baignés de larmes. Nous étions bouleversés. Je crus apercevoir un court instant une toute jeune fille nimbée de lumière. Nous nous sommes relevés lentement, ramassant nos sacs à présent vides. Nous avons contemplé une dernière fois les éminences disposées avec art par les petites créatures énergétiques. Il restait de notre venue la trace de nos empreintes sur le sable mou de cette grotte. Erazel éleva les bras et fit agir son fluide. Aussitôt, le sable redevient parfaitement meuble, comme si nous n'étions jamais venus.
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Pourquoi as-tu effacé nos traces ? demanda le petit Zilner d'un ton candide.
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Cela est mieux ainsi, mon enfant. La vie a besoin d'un sable bien aéré pour s'épanouir, de plus les génies des cavernes aiment l'harmonie et la discrétion, émit-elle avec un rire. La vie première est timide, un peu craintive. Pour qu'elle s'épanouisse bien, il faut lui faire de la place, il faut que ce lieu soit le plus agréable possible pour elle. Elle est chez elle à présent.
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L'oiseau savait-il que nous pourrions peupler ce lieu de vie première ?
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Oui, bien certainement, fit Erazel. Il nous a confié les œufs de cette vie biominérale immense pour que nous en prenions soin. Les experts commencent tout juste à étudier ces formes de vie. Comme leur développement est très lent, cela prend un temps infini.
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Et toi, qu'en penses-tu ? demanda Zilner qui avait l'esprit aiguisé.
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Je pense que c'est une réserve, un réservoir de vie immense. Les grottes sont des lieux relativement invariants. Il est logique que la vie première s'y blottisse, et germe lentement. Je dirais humblement que les éminences sont bien au delà de ce que nous sommes. Ils sont la mémoire d'un monde, sa réserve de vie. Face à une extinction de masse, ils sont là pour protéger la vie. Ils ont en leur mémoire tout le codage futur d'une biosphère à venir.
Chacun de nous ne souffla mot, vivement impressionné par autant de sagesse.
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