La fusion (1/3)
Message du Professeur Zolmirel
Me revoici ! J'en reviens à nous, à notre nouveau voyage dans l'espace, pour découvrir une belle de nuit de plus, une, si particulière, qui aspirait à recevoir la vie première.
Notre voyage se déroulait le plus sereinement du monde, à bord du nouveau vaisseau géant, élaboré sur mon monde.
Ce dernier avait atteint sa vitesse de croisière dorénavant, et voguait à une allure considérable, bien au delà des meilleures projections des experts.
Pour permettre son déplacement dans l'espace en toute sécurité, le vaisseau était bien évidemment entouré d'un « champ », c'est à dire, d'une série de barrières et de déflecteurs, propre à repousser tous les petits corpuscules rocheux et les rayons dangereux que nous aurions pu rencontrer.
Enfin, afin de garantir une parfaite propulsion, et d'aller au delà de la grande barrière du temps, il avait été propulsé au delà de la matérialité, sur la strate dimensionnelle suivante.
Je m'éveillais ce matin là, parfaitement reposé, et plein d'entrain. Nous étions excités comme des enfants, à l'idée de pouvoir voyager si loin hors de notre cocon douillet. Nerti ne tenait guère en place, et il partit avec son père effectuer ce matin là une séance d'escalade. Il s'agissait d'une activité utile et amusante, permettant de récolter des fruits au sommet des plus grands arbres.
Zilmis et moi-même les avons accompagnés, très heureux de pouvoir confectionner plusieurs plats en regardant les acrobaties d'un Nerti plus intrépide que jamais. Un peu ensommeillé, Zilner somnolait dans les bras de sa mère.
Je fixais Minel avec attention, elle semblait aller aussi bien que faire se peut. Elle observa nos gestes pour couper les fruits et les émincer, puis, elle déposa le petit Zilner dans un fauteuil et vint nous aider. Zilmis lui tendit un couteau à demi émoussé, pour qu'elle ne se blesse pas. Ses gestes étaient hésitants, mais sa persévérance nous impressionna. Elle montra fièrement le fruit grossièrement taillé en tranches à Zilmis qui s'empressa de le disposer au milieu d'un gâteau.
Chacun de nous la complimenta sur ses efforts. Puis, Minel se leva pour servir une boisson tiède à base d'algues et de feuilles à tout le monde. Nous pouvions constater qu'à présent elle savait préparer des breuvages à la perfection. Nous nous trouvions dans la grande serre du vaisseau, au milieu des végétaux géants. Parmi eux, croissaient des arbustes, des cactus et des champignons géants, en plus de fougères et de formations biominérales. Chaque végétal était entouré d'une sorte de champ protecteur coloré, afin de le préserver lors des phases de rétrocession, ou d'accélération. Ces plantes savaient qu'elles allaient devoir repeupler des astres stériles, et les experts les avaient développées à cette fin, en projetant sur elles les pensées les plus pures. Très bientôt, il leur faudrait quitter la serre accueillante du navire et les installer en de nouvelles terres, de nouveaux sols, où elles devraient croître par elles mêmes.
Les phases de refertilisation comportaient des sujets fort jeunes à l'état de graine ou de plantules, puis des sujets plus âgés, indispensables pour assurer la présence de graines nombreuses dans le sous-sol.
Nous savions exactement quel sol, quel milieu énergétique convenait à quelle plante. Nous étions habiles à orienter leur feuillage de la manière la plus parfaite, pour qu'elles puissent prospérer.
J'attendais avec impatience le moment où notre beau vaisseau argenté pourrait accoster. Zilner s'éveilla et vint auprès de moi. Je le réconfortais de mon mieux. Il était heureux de ce voyage, même si une nouvelle immersion dans l'espace le confrontait à sa peur ancestrale. Minel sentit aussitôt son désarroi et lui murmura de douces paroles en sa langue.
Je rejoignis Amoni et le questionnais à ce propos.
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Comprenez-vous ses paroles ? demandais-je avec curiosité.
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Non, pas encore, exposa Amoni. Je comprends surtout sa pensée, ses gestes. Elle est un mystère pour moi.
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Il doit être frustrant de ne point comprendre l'être aimé, soupirais-je.
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Oui, au début. Mais elle m'a fait découvrir tant de choses ! Des choses qui vont bien au delà de ce qui peut jaillir des livres, assura-t-il joyeusement. Étant jeune alien, j'étais attiré surtout par de brillantes chercheuses, mais je n'ai pu prendre épouse en cette période, exposa Amoni avec hésitations. Mon fluide m'a causé beaucoup de tourment.
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Vraiment ?
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Oui, reprit Amoni avec plus d'assurance. Mon énergie était trop élevée pour une Kolal ordinaire, très incommodante. Cela leur causait une vive impression de brûlure. Malgré beaucoup d'efforts, cela ne s'est pas arrangé. Je n'ai pu rester avec certaines compagnes que durant de courtes périodes. C'était très douloureux de vivre de telles séparations. Puis, j'ai découvert ce pourquoi j'étais fait : pour guérir les autres. Et ma vie a ensuite été bien plus heureuse. Je pouvais enfin offrir cette énergie immense.
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Je comprends mieux, assurais-je simplement pour l'apaiser.
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Il semble que son fluide soit au-delà de tout ce qui existe, émit Amoni d'un air enchanté en contemplant Minel, qui projetait une énergie bleutée vers le petit Zilner. Et elle semble tout comprendre, tout deviner à l'avance. Son intelligence est bien plus élevée que tout ce que j'ai pu rencontrer, elle semble appréhender les choses bien autrement et les comprendre à la perfection, de l'intérieur.
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Voici là une manifestation bien claire de son immense cœur, ajouta une voix malicieuse.
Erazel s'approcha de nous et nous sourit largement.
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Je sais combien les Kolals sont avides d'étudier et de feuilleter des livres, dit-elle en riant. Il est bien certain que votre peuple est très attaché à cette notion d'intégrité morale et de haute intelligence. Il compte parmi les experts les plus talentueux en ingénierie de poussée stellaire, en calculs de courbure de l'espace-temps et bien d'autres choses. Mais Minel a appréhendé parfaitement l'intelligence du vivant, elle sait ce dont chaque être a besoin, et ce dont vous avez besoin, conclut-elle en fixant Amoni.
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Et qui est ? s'enquit un Amoni intrigué.
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Oh, cela se passe de mots, ajouta l'ancienne en riant.
Une Minel radieuse contemplait discrètement la haute silhouette élancée d'Amoni d'un air songeur.
Sur ces paroles, Erazel eut un long rire, elle alla retrouver le petit Zilner maintenant bien réveillé, qui s'amusait à poursuivre son frère. Les rires des enfants résonnèrent, et je fus heureux de voir que toute notion de peur avait déserté le visage de Zilner.
Je méditais ces paroles de notre si sage ancienne. Le fluide désordonné d'Amoni s'échappa, laissant planer dans son sillage des iridescences mauves et rosées. Minel le contempla d'un œil intense, et je surpris au bout de ses longues mains fines, des fleurs d'énergie blanc pur.
Les transports énergétiques qui affectaient les Kolals pouvaient être incommodants, et je compris alors qu'Amoni devait souffrir de fièvres énergétiques intenses. Ses aveux concernant son fluide m'avaient laissé en proie à une vive compassion. Minel et Amoni partageaient les mêmes sentiments. Hélas, mon si sage ami ne pouvait dans l'immédiat choisir de s'unir avec Minel. Les anciens du centre de soins avaient estimé que sa guérison n'était pas pleinement optimale.
Amoni partageait leur point de vue. Tant que la conscience de Minel n'était pas pleinement revenue se poser en elle, il n'avait aucunement le droit de l'approcher. Les règles qui permettaient aux guérisseurs d'interagir avec leurs patients étaient dictées par une grande notion d'éthique. Il aurait été très inconvenant qu'un guérisseur courtise une patiente. Tout au plus avait-il le droit de converser avec elle et de lui manifester de l'affection.
En revanche, j'avais lu quelque part que les patients étaient parfaitement autorisés à avouer leurs sentiments aux guérisseurs, et même à les épouser. C'était donc, je suppose, la raison pour laquelle Minel avait pu demeurer avec Amoni. Les experts du centre de soin avaient autorisé une relation émotionnelle entre eux.
Nous avons quitté la grande serre, pour rejoindre un lieu qui attirait vivement Zilmis. Il s'agissait bien sûr des cuisines.
Amoni marchait près des enfants de sa démarche souple si élégante.
En proie à quelques réflexions, je surpris alors une flamme d'avidité intense dans les prunelles de Minel. Je réprimais un sourire. Les aliens Denakhs avaient en apparence des manières courtoises, mais souvent assez froides. Tout cela était bien différent avec leurs époux.
Nous avons croisé plusieurs aliens Denakhs de haute taille, qui saluèrent notre groupe avec bienveillance. Ils adressèrent à Minel un regard des plus admiratifs, mais elle se contenta d'un murmure poli pour les saluer.
J'étais interloqué qu'elle manifeste si peu d'intérêt pour les siens.
Avec sa subtilité habituelle, elle sentit mon regard et se tourna vers moi. Elle vint à mes côtés, saisissant ma main dans la sienne. Elle me lança un long regard désemparé en montrant Amoni.
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Wakcha imen stutla, soupira-t-elle. (Il semble loin et inaccessible)
Je surpris sa pensée et pus la comprendre pleinement, à ma propre stupeur. La conversation qui s'ensuivit fut essentiellement télépathique, ce qui était fort heureux.
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Il n'en est nullement ainsi, assurais-je par l'esprit. Amoni vous aime tendrement, mais il ne doit rien laisser paraître tant que nous sommes en public et que votre rapprochement n'a pas été approuvé.
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Pourquoi doit-il en être ainsi ? s'enquit une Minel attristée.
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Parce que vous êtes une patiente, et Amoni un guérisseur. Il lui est défendu d'interférer avec vos choix, vos aspirations. Il ne doit point vous influencer.
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Dans le choix d'un époux ? s'étonna Minel. Mais je ne vois que lui !
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Cela semble évident, dis-je en riant.
Elle était plutôt de nature directe, et ma pensée de petit alien timide marqua un temps d'arrêt pour se replier un court instant.
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Amoni est trop honnête pour chercher à orienter vos choix, ou vous convaincre de le choisir. Il veut uniquement votre bonheur. Son éthique de guérisseur est très élevée. Un guérisseur n'a pas le droit de manifester des émotions envers une patiente. Il souhaite être certain que votre conscience est pleinement présente.
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Oui, grâce à lui, grâce à vous tous, assura-t-elle, ses yeux clairs débordants de larmes de gratitude. Je suis tellement émue d'avoir un échange de pensée avec vous !
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Je le suis aussi, assurais-je, et il serait très bénéfique que vous puissiez converser pleinement de la sorte avec Amoni.
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Je m'y efforce, mais sa pensée se dérobe à la mienne. Peut-être parce que les enjeux sont bien plus élevés ? Il y a cette énergie terrible entre nous.
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Cette énergie est une grâce, assurais-je. Ne la craignez surtout pas.
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Vous avez dit qu'un guérisseur ne devait en aucun cas manifester des émotions envers une patiente. L'inverse aussi est-il vrai ? s'enquit-elle.
Je baissais les yeux en rosissant. Je n'avais aucun droit de l'influencer à mon niveau. Mais elle était si éprise d'Amoni. Il était évident qu'ils devaient être heureux à présent.
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Je vois que vous avez compris, exposais-je.
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Il peut exister certaines barrières, n'est ce pas ? s'enquit-elle avec une infinie bonté.
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Cela également, vous l'avez compris. Il est vrai que vos deux espèces sont proches en apparence, mais que vos métabolismes, votre circulation énergétique diffèrent beaucoup.
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Cela a-t-il été tenté ? s'enquit Minel avec un fol espoir. Existe-t-il des unions entre des Denakhs et des Kolals ? Que se passe-t-il s'ils se rapprochent énergétiquement, physiquement et spirituellement ?
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Je ne sais aucunement, avouais-je. Mais l'amour sait trouver son chemin pour unir deux cœurs aimants. Il existe des couples tels que le vôtre. Je pense qu'avec certaines précautions, vos fluides vitaux et énergétiques devraient s'accorder pleinement. Je suis certain que vous trouverez vous-mêmes la réponse à ces questions. Continuez à persévérer sans relâche et vous trouverez le moyen.
Minel versa une larme fugace et relâcha ma main. J'eus l'impression de descendre d'un élévateur avec une marche trop élevée. Cet échange psychique hors normes avait duré à peine quelques secondes.
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