Le jour le plus attendu (5/6)
Message du Professeur Zolmirel (suite)
Deux jours plus tard, un événement très attendu allait avoir lieu. Notre cérémonie de l'Union allait se dérouler, dans la vaste clairière des célébrations. Je me levais comme tous les matins, heureux de contempler l'aube dorée. Mais bientôt, une oppression gagna mon estomac.
Amoni et Minel étaient installés au salon. Minel tenait dans les siennes les mains de mon ami. Ensuite, ils s'étreignirent et une phosphorescence impressionnante les entoura.
Je revins en cuisine, nullement désireux de les troubler. Mais ce fut Amoni qui me rejoignit bientôt. Mon si sage ami était vêtu d'une ample tunique en soierie pourpre et bordeaux, brodée de blanc. Sa divine compagne arborait une tenue bleu ciel rehaussée de jaune. Je demeurais muet de ravissement, encore en habit de nuit en cet instant.
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Il faut vous apprêter, exposa Amoni d'un ton euphorique. Vous devez être irréprochable ! C'est le Jour tant attendu !
Je me rendis dans la salle de bains et enfilais un peu plus tard une tunique vermillon et saumon, agrémentée de motifs de feuilles et de fleurs.
Ensuite, je m'installais au salon, et ma mère et mes sœurs m'entourèrent. Elles s’occupèrent de mes mains de petit botaniste amateur de champignons. Les ongles, qui sont pour nous des griffes nacrées, en étaient très abîmés. Les nôtres ont trois doigts et un pouce, tout comme vous. Nos doigts sont courts et les griffes sont très utiles pour creuser le sol. Elle les coupèrent avec difficultés et les égalisèrent, puis étalèrent des baumes, notamment des onguents à l'odeur plaisante. Mon visage fut enduit de crème et suivant la tradition, elles me bénirent en récitant des prières. Mon père apparut et me félicita pour mon élégance. Quoique un peu dérouté par ces soins, je les appréciais beaucoup au final.
Il prit mes mains dans les siennes et eut un rire ravi en avisant la transparence de mes ongles.
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Quelle merveille ! Te voilà devenu expert en télédétection ! s'amusa-t-il en songeant aux aliens qui entraient des commandes sur des consoles tout le jour durant.
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Oui, peut-être. C'est certes là l'occasion de moins creuser, mais la forêt me manquerait !
Je complimentais mon père sur son allure. Ce jour là, il portait une tunique vermillon, tout comme mon grand père Oralecto, le vénérable de la famille.
Ma mère avait choisit une ample tunique blanche, avec des broderies rose pâle et je la trouvais parfaite ainsi. Je souris en constatant qu'elle regardait mon père avec insistance. Tout l'espoir du monde m'était permis quant à la réunion de mes deux parents !
Je songeais avec effroi aux nombreux invités, prévenus par télépathie qui s'étaient déplacés. Peu habitué à voir autant de monde à la fois, j'éprouvais quelque inquiétude. Mais chacun fut radieux, et bienveillant lorsque je m'avançais dans la clairière.
Je n'ai plus trop de souvenirs de la suite, tant l'émoi de voir autant de visages heureux fut intense. Il y avait les enfants, bien sûr. Nerti et Zilner me félicitèrent avec toute la grâce de leur jeune âge. Un peu intimidé par le monde qui avait gagné notre jardin, Zilner tenait la main de cette mère qu'il avait pu retrouver par delà les espaces et le temps.
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Sois le plus heureux que tu puisses, me lança-t-il. Et encore au delà si tu peux, comme ces soleils qui n'en finissent pas de luire !
Cette formule était loin des bénédictions classiques, mais venait du cœur.
J'embrassais les enfants et me dirigeais vers Esvar, dont la tunique jaune soleil m'apparaissait comme pour confirmer cette allusion.
Chacun gagna le jardin, et monta dans notre vaisseau, emportant de nombreux plats qui embaumèrent la cabine de notre navire. J'y fus mené en grande pompe. Esvar prit les commandes et lorsque le vaisseau décolla, chacun applaudit. Peu habitué à recevoir autant d'honneurs, je fondis en larmes.
Le vaisseau se posa au centre de la clairière, peu avant l'heure parfaite, l'heure de midi. Il fallait que le soleil atteigne le point culminant de sa course.
Une estrade avait été dressée par les prêtres, avec des sièges pour l'assemblée. Je fus mené devant la table de cérémonie, où figurait une représentation évanescente d'Apochi, l'esprit sage, et de différents êtres angéliques, entourés de prières.
On me fit asseoir, tant j'étais ému, et un assistant du prêtre me servit un cordial. Juste derrière moi, se tenait la famille d'Amoni, les enfants, et également nos charmants voisins.
Bientôt, une musique grandiose résonna, et chacun se leva. Une chorale de petits aliens s'approcha, avec le professeur Zablinsk, suivie de musiciens Ilstirr. Puis, une délégation d'êtres de lumière apparut.
Mon père et mon grand père m'escortèrent juste devant le prêtre. Ma mère et sa tante tenaient chacun les mains d'un Zilmis des plus rayonnants. Il semblait luire de bonheur comme une jeune étoile. Je n'avais d'yeux que pour les siens, inondés de magnificence. Son éclat saumon était rehaussé par sa tunique bleu vert. Nous avions choisi chacun de nous parer des couleurs de l'autre sans le savoir.
Je souris largement lorsque sa tante lui passa un pendentif entouré de dentelles florales. Mon père m'enfila un bijou semblable, paré d'une pierre saumon splendide. Mes larmes coulèrent et mon grand père les essuya. Enfin, je pus serrer la main de Zilmis dans la mienne. Une énergie puissante nous relia instantanément.
Chacun murmura des prières et de nombreuses bénédictions.
Le prêtre nous fixa à tour de rôle, disant à peu près ceci en nous bénissant.
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Que la grâce issue des milliers de mondes d'amour se déverse en ta vie.
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Que ta descendance soit prospère et heureuse.
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Que la pluie de science qui s'écoule de ton esprit brillant irradie dans tout l'univers connu, et même au delà.
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Que les mondes et les univers que tu recèles en toi s’élèvent tous vers l'infinie lumière de ta destinée.
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Que ton corps brille de mille feux en rejoignant le firmament doré de l'union céleste.
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Que vos deux vies soient irradiées puissamment par cet amour, et soient divines et parfaites !!!
Le prêtre saisit nos deux mains dans les siennes et les serra très fort. Puis, il étala un liquide à l'odeur exquise sur mon front et celui de Zilmis. Ensuite, il enfila autour de mon cou une fine soierie garnie de fleurs et de motifs végétaux. Zilmis eut droit à une soierie tout aussi splendide décorée de vaisseaux et de planètes variées, l'emblème des ingénieurs en astronefs. Sa tante fondit en larmes, mes parents ne valaient guère mieux.
Je réalisais que subtilement, ils s'étaient rapprochés l'un de l'autre. Un Dorian ravi rayonnait dans son magnifique manteau bleu roi décoré de rubans jaune vif. Orel était vêtu de bleu ciel et son manteau était constellé d'étoiles dorées. Avisant mes parents, Dorian me fit un clin d’œil.
Tremblants et larmoyants, ils venaient de se donner discrètement la main, en évitant avec soin de se regarder.
Mon bonheur, à cet instant, devint presque douloureux tant il était intense. Chacun de nous applaudit notre union, et une musique allègre envahit la clairière, alors que nous nous sommes étreints.
Nous étions unis, c'était enfin arrivé ! Chacun des invités nous félicita et nous offrit un grand nombre de présents. Je reçus plusieurs encyclopédies rares sur les champignons, écrites par des savants de mondes lointains. On m'offrit également des cactus fleuris, qui sont chez nous des plantes remarquables. Zilmis reçut lui des ouvrages sur différents moteurs pour lesquels il éprouvait la plus grande curiosité, et un certain nombre d'outils nouveaux bienvenus pour découper le métal avec précision.
Mais le plus beau cadeau était de voir tous ceux que j'aimais souriants, comblés, et ravis de notre union. La musique enfla et chacun se mit à danser en une joyeuse farandole menée par Nerti. Ensuite, tout le monde alla se restaurer. Amoni était un fin cuisinier les jours ordinaires, mais là, Zilmis et lui s'étaient surpassés.
J'étais un peu chagrin que ni son père, ni sa mère, ne soient venus assister à la cérémonie, encore moins ses nombreux oncles et tantes. Ma mère Nelly redoubla d'attention envers lui. Seuls son oncle et sa tante, des aliens des montagnes à l'esprit ouvert envers les androgynes, étaient venus assister à la fête.
Dans ma région, en effet, il naissait beaucoup d'androgynes, et ils étaient très appréciés en raison de leur qualité de prescients et leurs talents très variés. Beaucoup d'anciens étaient d'ailleurs des androgynes, et ils prenaient soin de tout notre monde.
Les androgynes étaient plus rares dans la région des montagnes, où sévissait un patriarcat ancien inflexible. Ils étaient considérés comme inférieurs, et rabaissés en permanence. Zilmis avait dû ainsi effectuer les plus basses besognes durant toute son enfance.
Beaucoup parmi les invités louèrent le talent de cuisinier de Zilmis. Pour eux, chacun des plats élaborés ce jour là par mon ami constituait une nouveauté.
Nous avons ri longuement durant ce festin, et, à la nuit tombée, nous sommes retournés en notre jolie demeure, toute illuminée. Les prêtres, aidés d'Erazel, replièrent l'estrade en un tournemain, et chacun quitta la clairière. A la nuit tombée, le vent augmenta de vigueur, et les premiers fauves, troublés par cette agitation inhabituelle, nous fixèrent de leurs yeux luisants sans oser s'approcher.
Zilner était monté dans le vaisseau depuis longtemps. Mais Nerti voulut s'approcher d'un très gros chat sauvage pour mieux le détailler, Erazel le retint par le col de son habit de fête.
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Ne vas pas par là, enfin, exposa-t-elle. Ce chat n'est pas apprivoisé.
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Je voulais juste lui donner un peu de gâteau, exposa Nerti un peu attristé.
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C'est une bonne idée mon enfant, mais ce type de prédateur n'est pas attiré par les plats à base de fruits. En revanche un petit alien imprudent ferait un mets de choix.
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Les nôtres ne sont pas très bons à manger, émit Nerti en montant dans le vaisseau. Il paraît que nous sommes très durs et fibreux.
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Oui, c'est vrai pour les adultes, répondit Erazel avec un rire.
Nerti n'osa plus formuler la moindre objection, un Zilner assez apeuré se serrait tout près de son père. Minel lui tendit un peu du gâteau restant.
Cette journée avait été riche en émotions. Il fut décidé qu'Esvar et sa famille resteraient avec nous.
Pour leur faire bon accueil, nous avions commencé d'aménager une aile, dans l'extension de notre demeure. C'était un lieu troublant et je m'y aventurais peu.
Ce soir là, ce furent Orel et Dorian qui se chargèrent de leur préparer des plats légers d'une saveur incomparable.
Le dîner se poursuivit longuement et nos conversations furent des plus riches. Il était en vérité très tard. Alors, nos invités se retirèrent.
Mes parents, l'oncle et la tante de Zilmis, Oralecto et mes sœurs logeraient avec toute leur famille dans un petit temple situé non loin de là.
Amoni emporta un Nerti endormi à l'étage, et je me chargeais du petit Zilner.
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Pourquoi la maman de Zilmis n'est-elle pas venue bénir son fils ? demanda Zilner d'un ton innocent.
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Nous l'en avons priée, mais elle a préféré ignorer cet heureux jour, exposais-je avec tact.
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Pourquoi donc ? s'étonna le petit alien en me fixant de ses grands yeux noirs brillants.
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Pour beaucoup de choses. Nous ne suivons pas ses traditions, alors, elle préfère ignorer les nôtres. Ici, Zilmis est considéré comme un égal, mais en sa région, c'est un proscrit, un être indigne.
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Mais pourquoi donc ? s'étonna un Zilner incrédule.
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Avant, il y a très longtemps, dans nos montagnes, vivaient des tribus d'aliens durs au cœur sec. Ils ont répandu des traditions religieuses, avec des écrits sévères et inflexibles. Les aliens des montagnes ont repris ces traditions. Ils les appliquent sans comprendre d'où cela vient. Ils croient que ce sont les écrits de grands érudits de leur lignée, au cœur noble. Mais c'est faux, ces écrits ont été répandus par des êtres cruels et dominateurs, qui souhaitaient spolier cette région, pour des raisons minières. Nos anciens les ont ôtés de là, mais les écrits et tous leurs préjugés restent.
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Je ne comprends pas, fit le petit alien.
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Les parents de Zilmis ont peur de son pouvoir, alors, ils préfèrent le nier. Plutôt que de considérer qu'il s'agit d'un prescient, ils préfèrent croire leurs livres le ravalant au rang d'inférieur incapable. Cela est plus rassurant pour eux.
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Je trouve cela triste, ils devraient être fiers de leur fils, exposa Zilner.
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Certains parents sont tellement englués dans leurs traditions désuètes, qu'ils préfèrent sacrifier la relation et l'amour que leur portent leurs enfants, plutôt que de tout renier.
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Alors, cela veut dire que ce sont de mauvaises traditions faites pour séparer les êtres, conclut Zilner.
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Oui, tu as tout à fait raison, mon cher petit. Mais il te faut songer à la tante et à l'oncle de Zilmis. Eux ont su voir au delà, en se réjouissant de son bonheur. Donc, nous avons gagné l'affection d'une partie de sa famille malgré tout. Ils ont fait preuve d'un grand courage en venant jusqu'ici.
J'embrassais Zilner et me retirais. Amoni me serra très fort dans ses bras, de même qu'Orel et Dorian.
Empli d'une intense énergie bénéfique, je rejoignis Zilmis. Notre nuit fut des plus brillantes et des plus heureuses. Sa pensée rejoignit pleinement la mienne.
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