La chute des mondes (2/4)

Publié le par Aurélia LEDOUX

La chute des mondes (2/4)

Message du Guérisseur Lestrys

 

 

Lorsque vint le moment de nous sustenter, Stency posa impeccablement le vaisseau dans une grotte. Je lui servis à boire et lui tendis une sorte de purée tiède succulente, que j'avais cuisinée avec des lentilles d'eau. Les deux petits gris semblaient aller un peu mieux. Ils ne pouvaient pas encore marcher, mais ils parvenaient à se dresser.

 

Le plus âgé fixait son poignet, dont une partie s'était désagrégée. A ma propre stupeur, je constatais qu'il en manquait quelques morceaux. Le malheureux fixa avec effroi son corps mutilé, fort heureusement, il ne souffrait pas.

 

  • Cela va revenir, le rassurais-je. Cela va repousser, comme il en a été pour Lokhaïl. Les génies des cavernes sont en train d'examiner votre cœur, votre attitude passée et présente. Ils savent qu'il y a du bon en vous.

  • Vous êtes bien présomptueux, fit une voix.

 

Je me retournais, et avisais un alien assez grand au teint blafard. Il était quelque peu voûté et ses yeux bleu pâle ne voyaient plus depuis longtemps, semble-t-il. Mais je pressentais que tout cela n'était qu'apparence.

 

Les enfants s'animèrent face au nouveau venu, et je compris aussitôt qui il était.

 

  • Vous êtes Oktos le vénérable ! lançais-je.

  • Certes oui, émit le sage d'un ton bien plus cordial. Vous êtes fort instruit mon jeune ami, exposa le grand alien élancé en s'approchant des enfants pour les étreindre. Est-ce donc vous qui avez ainsi secouru ceux de notre peuple ? fit-il en avisant un bandage.

  • Oui, répondis-je. Je suis guérisseur.

  • Ils ne sont pourtant pas de votre race, s'étonna l'ancêtre.

  • Être guérisseur, veut dire que l'on soigne toutes les formes de vie, assurais-je.

  • Intéressant. Voici une conception bien hérétique. Je pensais que les aliens de Kolménide n'étaient que des « suivants » pour vous, émit le sage en prenant place sur un rocher.

  • Cela fait partie des anciennes croyances de mon peuple, avouais-je. J'ai dû apprendre à voir au delà. Nous avons soigné beaucoup des vôtres. Nous éprouvons de la curiosité pour les aliens de Kolménide.

  • De la curiosité ?!! De la curiosité !!! lança le vénérable avec une sorte de férocité contenue. Vous avez vu je suppose, ce qu'il reste de notre glorieuse cité !

  • Cela n'est pas de notre fait, déplorais-je. Si cela peut vous rassurer, j'ai subi un sort identique au vôtre. Nous avons longuement erré dans ces galeries et il nous a fallu bien du temps pour trouver une issue.

  • Une issue ? Il n'y a pas d'issue, répondit le sage. Je me suis perdu en ce lieu, soupira-t-il. Ces vieux manuscrits ne mènent nulle part, fit-il en rangeant des feuillets dans son sac.

  • Bien sûr que si, exposais-je. Vous êtes épuisé, prenez donc quelque repos et je vous montrerais la route.

 

Son regard las sembla se troubler et vaciller. Je posais une main amicale sur son épaule et il parut abasourdi.

 

  • Voici des manières bien étranges, exposa-t-il. Vous ne ressemblez pas du tout à nos amis Denakhs.

  • Cela fait bien du temps que je vis avec les habitants de l'intérieur. Ils nous ont appris la joie et l'amitié. Ils sont bien plus affables que les nôtres, avouais-je. Autrefois, mes supérieurs m'avaient enseigné que les vôtres sont une espèce perfide, qui accomplit des actes génétiques sans se soucier des conséquences sur la vie qu'elle étudie.

  • Voici les conséquences, coupa l'ancêtre en montrant son bras qui s'effritait, rongé par une luminescence très vive.

  • Votre corps se transforme simplement. Cela est le signe que vous êtes aimés et acceptés. Vous êtes vous aussi les enfants du souffle éternel de la Source. Je voulais croire qu'ils se trompaient, car les miens avaient travaillé avec plusieurs scientifiques gris fort vertueux.

  • Vous avez raison, émit le sage avec lassitude. Il est cependant bien peu de vertu parmi les nôtres, bien peu de fruits honorables des desseins de la Mère originelle. Hélas, mon courage de cheminer s'éteint, et il me faut là arrêter mon voyage, exposa-t-il.

 

Cette déclaration déclencha un concert de protestations. Les enfants se mirent à gémir de manière si implorante que je pris la main du vénérable dans la mienne.

 

C'était un geste très audacieux et bien peu protocolaire, mais je n'en avais cure à présent.

  • Soyez fort, lui dis-je. Pour vos enfants.

 

Pour seule réponse, le sage montra le poignet incomplet de l'un des petits clones et ouvrit sa tunique. Son corps blafard était habité d'une lueur très vive, juste à l'endroit du cœur. Elle faisait comme une étoile et semblait aller en s'agrandissant.

  • Cela est bon signe, exposais-je. Cela est excellent, vous allez renaître, comme tous ceux de votre peuple qui ont déjà été amenés dans la dimension suivante !

  • Vous êtes bien opiniâtre de croire ainsi, guérisseur Lestrys, répliqua-t-il. J'aspire au repos ! Je n'ai que trop lutté en ma vie d'alors ! Il est ardu de cheminer parmi les siens lorsque l'on est incompris.

  • Je vous comprends, exposais-je. Reprenez espoir ! Vous allez vous reposer, puis rencontrer les habitants de l'Intérieur du monde et vos frères aliens, qui comme vous ont choisi de suivre un autre chemin que celui de l'aridité du cœur. Ils vous attendent !

     

Le sage me fixa avec désarroi et consentit à prendre un peu de lentilles d'eau, puis il s'endormit.

 

  • C'est la première fois que grand-père dort, fit remarquer l’aîné des deux petits.

  • C'est parfaitement normal. Il est épuisé, fis-je observer. Il faut qu'il en soit ainsi, pour que sa vie renaisse d'une autre manière.

  • Tu es sûr que tu pourras le soigner ? demanda par l'esprit le petit être.

  • Pas moi, mais les puissances endormies de ce lieu, c'est certain, exposais-je.

 

Je m'affairais à étaler un baume guérisseur sur le poignet de l'enfant, puis m'approchais du vieil alien. Il me fut très difficile de le soulever par l'esprit pour l'amener à bord du vaisseau, non pas en raison de son poids, mais d'autre chose, me sembla-t-il.

 

  • Je ne comprends pas, assura Stency. Ce vieil alien est pourtant bien maigre.

  • Parfois, les idées des êtres pèsent plus lourd que leur être physique, fis-je observer.

 

Je nettoyais son visage couvert de poussière à l'aide d'un linge fin et examinais ses jambes et ses pieds. Le vénérable portait une plaie importante au genou, qui avait bien coagulé. En revanche, son flanc laissait échapper, une sorte de résine brune étrange. Je n'avais absolument jamais vu une telle plaie !

 

Je pris un bocal pour retirer tout l'abcès, et voulus refermer la plaie. Mais je sentis que cela n'était pas approprié.

Une plaie identique suintait de sa nuque, et Stency découvrit un autre bocal providentiel, apparu là sans raison, qui lui permit de recueillir une sorte de résine, noire cette fois.

 

  • Je n'ai jamais vu une telle substance. S'agit-il de ses idées ? demanda Stency avec candeur.

  • Je ne sais pas du tout, augurais-je. Cela ressemble à ce qui lui fait du mal.

 

Nous avons passé un temps très important à masser le ventre de cet ancêtre, extirpant de lui une immense quantité de fluides corrompus. Pour une raison inexplicable, les bocaux remplis que nous posions au sol se vidaient mystérieusement, et les linges tachés retrouvaient toute leur blancheur.

 

Il en était de même pour nos mains, fort heureusement. J'étais abasourdi, et me demandais comment un corps aussi sec pouvait abriter une telle quantité de liquides. Tout cela n'était pas un travail bien agréable, car les liquides répandaient une odeur de marécage peu entretenu.

 

Fort heureusement, une douce brise florale dissipa ces senteurs et malgré notre fatigue, nous avons retrouvé tout notre entrain.

 

Quelque peu inquiet, je m'approchais des autres blessés, inspectant leur nuque et leurs flancs, mais ne découvris aucun suintement. Il en était heureux, car le fait de soigner l'ancêtre nous avait pris sans doute plusieurs heures. Les clones endormis semblaient plutôt se désagréger. Le poignet de l'aîné des petits, que je commençais à estimer, avait régressé jusqu'à l'os, et on voyait à présent une lueur éblouissante, ainsi qu'une nouvelle peau argentée superbe, qui se reconstituait.

 

Je la montrais à Stency et il se mit à resplendir de joie.

 

Nous avons décidé de reprendre notre route, un peu soulagés de cette avancée. Notre mission avait réussi au delà du possible, puisque nous amenions à nous un ancien chercheur d'âge vénérable. Tout cela était très rare, mais bien sûr, j'étais résolu de ne point en souffler mot à l'ancêtre, tant que sa guérison ne serait pas pleinement optimale.

 

Stency fit décoller le vaisseau avec aisance, et ce dernier bondit dans un tunnel. Peu à peu, des masses d'air tourbillonnantes se firent sentir. Nous nous sommes retournés et avons aperçu avec effroi, une coulée de lave qui se rapprochait au loin.

 

Stency a accéléré, et la lave, fort heureusement, a cessé sa course, filant dans un tunnel en contrebas. Nous étions plus que soulagés.

 

Nous avons progressé dans de grandes galeries claires, inondées de jaune pâle. Aucune lampe à plasma n'était visible. La lumière semblait jaillir des murs eux mêmes, de manière inexplicable.

 

Vous pouvez reproduire ce texte et en donner copie aux conditions suivantes : 

 

 

 

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