Les villes souterraines (4/4)
Message du Guérisseur Lestrys (suite et fin)
Notre jeune ami voulait tout savoir de nous. Je le laissais parler de son monde, alors que je soignais son front blessé, et son poignet qu'il me tendit obligeamment. Incapable de savoir ce qui lui serait profitable, j'étalais un peu de résine de sclérose épidermique avec quelque espoir. Les plaies renoncèrent à suinter et le niveau énergétique du jeune clone se stabilisa.
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Merci, dit-il. Vous êtes très bons de nous avoir secourus et de protéger mon frère.
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Comment tout a-t-il donc commencé ? demandais-je.
Le jeune clone me fixa de ses grands yeux noirs, et pour la première fois, je perçus une petite lueur vacillante en leur centre. Je ressentais aussi toute sa peine et Stency l'entoura d'un manteau moelleux.
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Nous étions en dessous, « ceux du dessous », comme nous nommaient alors les Terriens... hésita-t-il avec effroi.
Une vision jaillit.
Une grande coursive dont les parois sont formées de tôles jaunes verdâtres, soigneusement ajustées par des rivets, est visible. On voit de très longs couloirs métalliques, ceux d'une base souterraine. Il suinte ici une humidité constante. Certaines galeries doivent être pompées en permanence. Les savants de la Terre stationnés à ce niveau ont été surpris, car il y avait de la vie. Une vie composée d'algues, de minéraux, et de structures purement énergétiques.
- Nous étions à 2000 mètres de profondeur, en une glorieuse cité. Nos générateurs, composés de corium recyclé depuis la surface, fonctionnaient nuit et jour. Un certain nombre de savants parmi les miens, s'opposa par la suite à recycler le combustible nucléaire résiduel des humains. Cela était nocif pour nous, pour la vie. Tout ce combustible fut évacué, et rendu aux intelligences militaires, sous forme de fûts. Ils furent bien obligés de les reprendre et de vider nombre de lieux de stockage tout près de nos lieux de vie.
Nous avions menacé, de même qu'ils l'avaient fait, de placer de tels contenants en des lieux peuplés par l'armée, pour leur apprendre les bonnes manières. Ils voulaient nous chasser, ils ne voulaient plus de nous sur ce monde.
Puis, d'autres hommes sont venus, d'autres chefs de la Terre, hommes et femmes, pour remplacer les belliqueux. Ceux là avaient des manières plus gracieuses, plus courtoises. Nos plus habiles diplomates se sont plu à échanger avec eux par la pensée et les mots. Ils étaient bien mieux disposés, bien plus à même de nous aider, et d'aider leur monde également. Ils avaient vu que nous n'étions en fait que des savants. Nous étudions la vie et cherchons à la perfectionner afin de repeupler des astéroïdes de nouvelles plantes, de nouveaux animaux. Nos expériences sur l'homme visent seulement à approfondir nos connaissances, à créer aussi l'espèce la plus parfaite.
Hélas, nombre de chercheurs Terriens ont voulu créer des déviants, puis des petits serviteurs esclaves : nous. Certains de nos plus infâmes génies ont collaboré par avidité, d'autres se sont opposés à de tels forfaits.
Les Terriens voulaient une main d’œuvre docile, qui travaillerait pendant qu'eux se prélasseraient. Une partie des Terriens, la plus riche, voulait aussi une technologie de régénération cellulaire à partir de cellules souches. Ils voulaient prolonger leur vie humaine, une vie qu'ils considéraient fragile, faible, mais pour eux une vie de plaisirs, grâce aux esclaves. Enfin, une autre partie de l'humanité, la plus cupide, voulait asservir la population ignorante et innocente, au moyen d'expériences médicales abominables.
Les hommes et les femmes sages, qui avaient conversé avec nos représentants, avaient décidé de s'unir contre tant de choses redoutables. En apparence, nous devions faire ce que l'on nous demandait, en apparence seulement.
Des armées de petits serviteurs ont ainsi été créées, mais beaucoup de ces êtres ont été enlevés par des vaisseaux lumière. Il n'en restait que fort peu pour s'occuper de la cité.
Il se mit à sangloter et je m'efforçais de le rassurer alors par gestes, tout comme Stency.
- Les hommes du dessus avaient repéré des ondes sismiques. Ils savaient que notre cité risquait de sombrer. Nous avons tenté de nous rapprocher de leurs lieux d'habitation, espérant du secours. Hélas, ils ne voulaient pas de nous dans leurs bases. Ils ont condamné les accès à leurs niveaux. Après, ils n'ont pas eu le choix, toute la cité s'est disloquée et a été précipitée dans un gouffre. Alors, ils ont recueilli certains des nôtres et nous ont aidé à respirer. Mais leur médecine était impuissante à nous sauver. Beaucoup des nôtres ont péri à cause de cette radiance mystérieuse. Nos dirigeants les plus renommés ont pu fuir à bord de leurs vaisseaux. Nous, nous sommes restés. Elkanti, notre maître irascible, pensait savoir qu'il existait une autre issue, loin en profondeur, au pied de la grande falaise.
Il disait que certains des nôtres s'étaient enfuis par là, et qu'ils avaient disparu pour de bon. Mais parfois, leurs pensées revenaient à son esprit, et il ne comprenait pas. Il a été très affecté de la chute de la cité, et de la disparition de toutes nos réserves de métal. Notre vénérable, le grand Oktos, savait lui bien davantage de choses. Nous pensons qu'il n'est pas très loin. Oktos était un bon maître, il nous a donné un peu d'espoir.
Le petit clone cligna des yeux et fixa mon visage au teint bronzé et aux yeux bleu azur.
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Vous ne ressemblez pas du tout aux aliens Denakhs, me dit-il avec surprise.
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Oh oui, j'en suis navré. Mon ami Eratsu est un bien meilleur spécimen. Il a conservé son teint nacré originel et ses yeux sont presque comme les vôtres. Il se produit certaines transformations lorsque l'on franchit les portes d'entre les mondes.
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Ne soyez pas navré, fit l'enfant. Ce bleu est surprenant, mais intéressant. Il est heureux que les vôtres puissiez arborer autant de coloris. Vous êtes très bon de chercher à me guérir, malgré ce que je représente. Une telle déformation de la vie doit être bien attristante pour un chercheur tel que vous.
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Je vois avant tout un enfant qui a besoin de soins. Nous devons soigner toutes les créatures sans nous poser de questions, assurais-je.
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Avez-vous étudié les formes de vie biomécaniques ? s'enquit le jeune alien.
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Stency connaît très bien les robots, expliquais-je. Il sait prendre soin d'eux. Mais tu sembles être constitué de bien davantage.
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Vraiment ? s'étonna l'enfant.
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Oui, tu es tout comme ton frère composé de lumière, assurais-je en montrant son poignet où une tache lumineuse grandissait. On dirait que ceux qui t'ont fait n'avaient pas prévu cela...
L'enfant était terrifié, car la lumière qui l'habitait possédait le même éclat que celle qui avait oblitéré son maître si austère. Je tentais de lui expliquer que loin de le meurtrir, cette énergie allait le régénérer en transmutant son corps.
Chacun de nous se mit à prier. J'étais tout à fait comblé que la grâce se soit posée sur ce petit clone qui avait du tant souffrir. Nous avons souhaité bonne nuit au petit alien farouche, qui ne nous avait pas encore révélé son nom, sans doute par crainte, puis nous sommes endormis.
Notre voyage serait bien long, mais promettait d'être riche en rebondissements.
Je vous remercie beaucoup de votre intérêt grandissant pour notre monde. Ce voyage est aussi le vôtre vers une autre réalité. Nous sommes avec vous en ces temps déterminants de cohésion, et d'amour. Soyez bénis, chers amis de la Terre bleue !
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