Le choix des époux (4/4)
Message du Guérisseur Lestrys (suite)
Je gagnais le vaste vaisseau et arrivais à hauteur des appartements de Levinsworth sans trop d'embarras. Je sonnais et m'annonçais. Une voix surprise m'invita à entrer. Je m'exécutais et fermais la porte. Caché derrière moi, le petit Stency n'osait faire un pas.
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Ah, c'est vous cher ami, demanda notre maître d'une voix posée incroyablement sereine. Je suis heureux de cette visite impromptue. Comment avancent les travaux du laboratoire ?
J'eus un peu de mal à répondre, car Levinsworth arborait une tenue de voyage agréable, composée de multiples châles bleu azur que sa bien aimée lui avait offert, et d'une tunique brodée rose pâle.
Fait surprenant, son teint était passé d'un gris brunâtre à celui d'un marbre gris neigeux du plus bel éclat. Les rides de son visage s'étaient estompées, son regard était plus vif et il semblait même s'être redressé. Je lui exposais que j'étais ravi de le voir en si bonne santé.
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Elle est si brillante, m'exposa-t-il avec quelque facétie. Je ne vois plus du tout la vie comme avant. Nous passons les moments les plus exceptionnels. C'est une astronome hors pair ! Qu'en est-il de vos travaux ?
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Ils avancent bien, maître. Nous avons réussi à corréler plusieurs hypothèses sur la cristallisation des roches basaltiques et aussi sur le quartz. A ce propos, j'ai une requête exceptionnelle à formuler.
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Je t'écoute, fit le vénérable en m'invitant à m'asseoir.
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J'ai quelqu'un à vous présenter, dis-je en m'écartant. Voici Stency.
L'ancien poussa un glapissement d'effroi face au petit clone épouvanté. Fou de peur, Stency cacha son visage dans ses mains. Je serrais sa petite main pour le rassurer et lui contais en détail ce que j'avais pu constater.
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Un nouveau né ! s'exclama-t-il. Ils sont dérangés au service d'étage ?!! Qui donc songerait à faire besogner un enfant si jeune.
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Cet enfant a failli dégringoler dans un escalier. Il était couvert de plaies, je... je ne sais que faire, avouais-je. S'il venait à travailler chez nous, ce serait bien mieux pour lui. Vous avez promis de m'accorder une faveur, lui rappelais-je.
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C'est un clone de ménage, fit observer l'ancien. Il faudra qu'il suive une formation spéciale pour entrer au service scientifique. Mais avant, il a besoin de repos. Faites le asseoir, de grâce ! lança Levinsworth précipitamment, car Stency était très faible.
Je me levais et offris mon siège à Stency, avant d'en prendre un autre.
L'ancien fouilla dans une armoire et revint avec un cordial qu'il lui tendit. Si je m'attendais à cela ! Stency but le breuvage lentement, puis reposa la coupe ciselée. Il parut un peu plus alerte.
Alors, Levinsworth fixa ses prunelles si brillantes de petit clone un long moment.
Très attentif à ne pas ciller, Stency le fixa de même avec candeur.
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C'est bien, conclut Levinsworth. Vous avez gagné. Cet enfant est honnête et travailleur, un très bon petit. Je tiendrais parole. Il passera les premiers tests d'ici trois jours. Il faudra veiller à cacher Stency et à rester discrets. Je doute que quiconque se lance à sa poursuite d'ici là. Ensuite, il sera légitimé et donc bien entendu, plus personne ne pourra rien faire pour venir le rechercher. Les aliens de ménage les plus intelligents entrent dans les laboratoires. Une fois qu'ils sont affectés à un service plus élevé, ils y restent, conclut-il posément.
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Soyez vivement remercié noble maître ! lançais-je aussitôt en m'inclinant.
Stency voulut s'incliner de même et trébucha. Je le reposais sur le fauteuil.
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Ce ne sera pas facile, expliqua l'ancien. Je vais devoir m'expliquer avec le service de la maintenance des couloirs, qui est plutôt pointilleux. Il va falloir rédiger quelques documents pour arranger tout cela. Et ce petit sera sous votre responsabilité, je doute fort que les généticiens les plus vifs l'acceptent bien au début. Je leur parlerai. Il devra aussi prouver sa valeur. Les aliens qui désertent les règles sont fort malvenus en notre niveau, n'oubliez pas, me dit-il.
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Je l'entends bien, exposais-je.
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J'ai perçu des pensées voilées et furieuses, que je prenne épouse à un âge si grand. Il est bien des bruits de couloirs, bien de la jalousie chez certains cœurs. L'enfant causera des dissensions, il est nombre de chercheurs qui seront peu joyeux de le voir réussir, et vous également.
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Mais il n'y a aucun lien de filiation entre nous à ma connaissance, exposais-je avec vigueur.
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C'est très bien, chercheur Lestrys, fit l'ancien en imitant un ton officiel pompeux. Emmenez donc ce petit se reposer. Et qu'il soit prêt d'ici trois jours. Un important nombre de connaissances scientifiques seront déversées en son esprit. Il devra prouver qu'il est fait pour cela.
On entendit un léger trottinement, puis la porte s'ouvrit. Elamide apparut, elle aussi était radieuse. Elle me salua avec chaleur et parut ravie de voir Stency. Je réalisais combien elle était heureuse lorsqu'elle adressa un long regard aimant à Levinsworth. Elle comprit notre plan en peu d'instants.
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C'est une excellente chose, le complimenta-t-elle. Je trouve injuste le système des castes. Cet adorable enfant fera un excellent petit laborantin.
Elle voulut serrer Stency près d'elle, mais il poussa un cri et se précipita vers moi.
- Bien sûr, il est encore en état de choc, suis-je maladroite, s'excusa-t-elle. Je vous souhaite bonne chance et espère que notre voyage sera fructueux. Le voyage d'études vers la Terre est une opportunité unique. Nous avons aménagé plusieurs cités souterraines confortables près d'eaux chaudes et douillettes.
J'ai pris congé peu après, le petit Stency marchant près de moi d'un pas plus assuré. L'heure du soir s'avançait et le clair obscur de notre astéroïde étirait de fins sillons jaune d'or au loin, sur les pointes acérées des cratères d'altitude. Nous avons remonté la passerelle, puis sommes revenus en nos quartiers. Stency marchait en baissant les yeux, attentif à ne pas me perdre malgré sa fatigue. Je fus rassuré de voir qu'il ne suscitait presque aucun regard. Il avait appris à se faire discret en ce milieu si sévère.
Les choses allaient changer pour lui. Le soir venu, je lui fis de la place dans mon antichambre, surtout emplie d'ouvrages, et l'installais bien au chaud près d'un panneau rayonnant. Eratsu émit quelques objections, car il était de coutume pour les clones d'aller dormir à la chaufferie, près des réacteurs à énergie, ou près des bains.
Je n'osais songer à la quantité de couloirs que le pauvre Stency devrait parcourir pour aller jusque là. De toute évidence, il était destiné à devenir un clone d'exception.
Eratsu finit par convenir qu'il était très faible et que le repos lui était nécessaire, tout en craignant pour ma sécurité.
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Vous voulez qu'il soit un clone d'exception, qu'il fasse partie des nôtres, demanda-t-il.
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Oui mon ami, cela est mieux. Je pense que l'intelligence des clones est très largement sous estimée.
Eratsu eut un sourire énigmatique et ne formula plus la moindre objection, il nous souhaita une bonne nuit et sortit.
J'expliquais à Stency ce qu'étaient les clones d'exception, des petits êtres habiles considérés presque aussi bien que les jeunes valets qui officient dans les laboratoires. De tels clones logeaient au niveau des scientifiques et bénéficiaient de livres, de nombreux instruments d'étude et de tout ce qu'ils désiraient. Ils étaient en général placés sous la protection d'un ou deux chercheurs.
Les grands yeux noirs de mon petit protégé brillèrent de gratitude. Je lui versais un fortifiant, qu'il but en peu de temps. Il était incapable de parler pour l'instant, mais je percevais ses émotions d'enfant, divines et fragiles, telles des rêves impossibles à atteindre pour lui.
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Crois toujours en tes rêves mon cher petit. Ils se réaliseront, et moi je serais là pour t'aider.
Je sortis de la pièce en lui souhaitant une bonne nuit, et laissais le petit clone se reposer. Je passais dans ma chambre, ou je mêlais divers remèdes pour hâter la guérison de ses plaies.
Puis, je me mis à somnoler, emporté en un rêve joyeux, où des dizaines de petits clones alertes et libres bondissaient au cœur de notre base si austère, et si triste. Plusieurs grands majordomes furieux leur donnaient la chasse, et les petits êtres insaisissables riaient de bonheur.
J'ai été très heureux de dicter ce récit, chers amis de la surface. Soyez remerciés de votre intérêt pour notre civilisation. Il est réciproque, croyez le bien. Je vous dis à très bientôt et vous salue avec beaucoup d'affection.
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