L'action de la radiance blanche (2/3)
Message du Professeur Zolmirel (suite)
Le soir venu, je m'en retournais, libre et heureux, ma pensée vagabondant joyeusement à la vue des arbres que je saluais en pensée, fiers géants au tronc blanc, frêles arbrisseaux aux branches légères qui sinuaient dans le vent du marais, bordés de roseaux roses et mauves du plus bel éclat, et habités d'une faune variée. Je surpris deux serpents d'eau turquoises occupés à manger les algues qui tapissaient le lit des cours d'eau. Mon petit véhicule sortit du couvert majestueux de la grande forêt, jaillissant près des champs, une région entourée de bocages, où des cabris gambadaient dans l'herbe en longs bonds gracieux.
Le soir venu, j'étais de retour, et le sage Amoni m'annonça par l'esprit qu'il y avait une surprise. Je posais notre petit transport dans la remise, qui s'ouvrit docilement à mon approche.
Amoni était figé sur la terrasse et m'attendait d'un air inhabituellement grave et ému. Je fixais le ciel chargé de nuages gris crème et m'interrogeais. Je saisis mon sac et allais rejoindre mon ami.
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Nous avons une invitée peu ordinaire, m'annonça-t-il avec un sourire un peu anxieux.
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Fort bien, et qui est-elle ? demandais-je d'un air intrigué.
Amoni ne répondit pas et me mena sur la terrasse. Là, une dame alien de grande taille, au teint de neige et aux yeux bleu pur était occupée à déguster une infusion.
Je croisais son regard effrayé et compris qu'il s'agissait de l'imparfaite que j'avais déjà eu la chance d'approcher. Vraiment, j'étais stupéfait que cette alien soit si âgée. C'était un prodige que de pouvoir faire sa connaissance, car les imparfaits, dont l'esprit ne s'est pas pleinement posé en eux, sont considérés avec une sorte de mysticisme religieux sur mon monde. Ils ont de grandes connaissances et perçoivent des courants de haute pensée, des manifestations de la nature que nous ne faisons qu'entrevoir.
La dame alien émit des gémissements inquiets en me voyant approcher. Je tentais de la rassurer par des pensées aimables et elle se figea. Je compris qu'elle ne me voyait pas entièrement, car j'étais caché par la table. Une fois qu'elle put entrevoir entièrement ma silhouette de petit alien, elle émit un murmure appréciateur, elle semblait se souvenir de moi.
Le sage Amoni serra ma main d'un côté, et de l'autre côté, il prit lentement dans la sienne la main magnifique de cette invitée si charmante. Je surpris un rosissement subit sur les joues de mon ami.
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Le centre de soins m'a confié cette alien, afin que je puisse lui inculquer le sens de la parole. M'aiderez-vous, ami ? demanda-t-il, comme en une prière silencieuse.
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Eh bien, hésitais-je, je ne suis qu'un humble botaniste, et guère habile à soigner l'esprit des évanescents. Êtes-vous certain que cette alien sera heureuse ici ? Est-elle paisible ? demandais-je avec effroi en songeant aux enfants.
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Cette alien est une dame des plus paisibles, elle est absolument inoffensive, m'assura Amoni. Elle apprécie beaucoup les enfants, et je crois que cela est bien réciproque. Elle a juste besoin de converser. Dans le centre de guérison, elle n'avait pour compagnie que les oiseaux.
La grande alien devina notre échange tendu et se mit à hoqueter d'effroi. Elle peinait à s'exprimer par le verbiage, mais je devinais qu'elle savait se faire comprendre. Je pris place à notre petite table et l'alien me fixa en poussant un sifflement craintif.
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Je me présente, lui dis-je pour la rassurer. Je suis le professeur Zolmirel.
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Oki, luiayut, émit la grande alien avec étonnement.
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Cela fait trop de mots pour elle, expliqua Amoni. Zolmirel, fit-il en me désignant.
La grande alien émit un son agréable, un mélange entre un gazouillement d'oiseau, et un cri joyeux d'enfant.
Tout à fait charmé par cette visiteuse impromptue, je rosis de bonheur. Mon ami Zilmis apparut par la porte de la maison.
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Vous feriez bien de rentrer tous si vous ne voulez pas être trempés, fit-il en riant. Le dîner est servi, nous lança-t-il.
Chacun de nous rentra, à l'exception de la grande alien, qui semblait aimer la pluie. Amoni saisit sa grande main fine pour l'inviter à venir nous rejoindre. Il alla chercher une serviette et essuya son doux visage, retirant au passage des brindilles de ses épaules.
La grande alien poussa un joyeux rire d'enfant. Je constatais qu'Amoni était devenu écarlate, un prodige absolu pour un être de son espèce au teint si pâle.
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Je pense que la venue de cette visiteuse est une chose des plus excellentes, émit Zilmis avec un regard complice à mon intention.
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Je suis tout à fait de cet avis, et je comprend mieux les raisons des guérisseurs suprêmes. Ils ont eu là une très bonne idée, exposais-je d'une voix radieuse.
Fort heureusement, Amoni n'entendit pas notre conversation, sinon, il aurait pu s'en offenser, voire, se mettre en colère. Habitué de l'étude qu'il était, et passionné par son activité de guérisseur, il aurait été très déplacé de parler d'un lien émotionnel avec une patiente. Les guérisseurs devaient avant toute chose agir de manière désintéressée, mais il existait d'heureuses exceptions. Je devinais que notre nouvelle invitée ne pourrait pas trouver de guérisseur plus dévoué que mon si habile ami.
Notre repas ce soir là se révéla excellent. Orel et Dorian étaient absents pour plusieurs jours, car ils avaient prévu de se rendre sur un vaisseau lumière qui orbitait autour de notre monde. J'étais fasciné de la facilité déconcertante avec laquelle Zilmis avait réussi à nouer une relation avec la belle apparition. Il n'en était pas de même avec moi, car j'étais bien sûr plus âgé, et aussi plus habitué à étudier, plus absorbé par mes livres, à dire vrai.
La venue de cette nouvelle alien, cela dit, m'enchanta. Elle était déconcertante de candeur, d'ingénuité, et aussi, emplie de gaieté. Elle approchait avec une désinvolture spontanée certains oiseaux, en leur chantant des mots doux dans sa langue. Elle jouait avec les papillons et les petits lézards. Lorsque je la vis prendre sur sa main une chenille que j'étais occupé à dessiner au jardin, je devins abasourdi. La chenille rampa d'un air serein sur sa main en toute confiance. La grande alien la posa sur une fleur et revint vers moi. Elle fixa mes dessins de coléoptères et d'arachnides et poussa des cris d'émerveillement absolus.
Elle ramassa une feuille d'arbre et me la tendit.
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Feuille, dis-je.
La grande alien tenta de répéter ce mot en ma langue, mais n'y parvint pas. Elle montra le dessin d'une grande araignée tisseuse, qui se servait de sa toile pour capturer la rosée, et désigna les gouttes d'eau.
Et ainsi, le temps s'incurva étrangement. L'alien ne parvenait pas à dire les sons, mais m'écoutait avec la plus grande attention. De toute évidence, elle mémorisait chaque mot avec le plus grand soin. Je me doutais que les potions que le sage Amoni lui faisait prendre y étaient pour quelque chose. Au bout de trois jours, Amoni apprêta son petit transport. Il devait revenir au centre de soins. La belle alien ayant fait des progrès remarquable allait y être soignée.
Zilmis et moi même étions assez chagrins, c'était une opération délicate, qui visait à modifier certains schémas de son esprit. Il s'agissait de soins énergétiques et aussi d'une thérapie visant à injecter une substance saline en son cerveau, pour le faire régresser à cette époque cruciale, celle précisément où tous les enfants apprennent à communiquer. Les plis de son cerveau allaient disparaître, le rendant aussi mou, aussi réceptif qu'un cerveau de jeune enfant. Les guérisseurs allaient réorchestrer tous ses souvenirs d'une autre manière, et modifier également ses cordes vocales.
Je frémis d'effroi, notre nouvelle amie serait endormie, tandis qu'une injection aurait lieu dans son cou pour modifier les tissus cérébraux. La trépanation était peu pratiquée sur mon monde, et il était toujours fait ainsi par les plus grands soigneurs. Il existait tant de zones délicates au niveau du cou, que cela était un véritable exploit. Évidemment, les prêtres considéraient une telle opération comme un véritable sacrilège. Certains d'entre eux étaient très mécontents que cette créature d'exception ait pu leur échapper et se voie offrir une nouvelle vie. Je devinais qu'un autre alien « imparfait » avait entretemps pris la place de notre amie pour les cérémonies.
Le fait d'apprendre à communiquer allait sans doute priver notre invitée d'une partie de sa sensibilité originelle, mais était indispensable pour lui faire dire au moins son nom, et avoir une vie épanouie.
Zilmis et moi même étions seuls, pour la première fois en notre jolie demeure. Chacun de nous a émis des prières envers cette alien si attachante qui ne cessait de nous surprendre. Je repassais en mon esprit les merveilleux moments que nous avions échangé au jardin. Certes, elle mangeait d'une manière étrange qui rappelait un peu certains écureuils, elle chantonnait d'un air absent dans le jardin en poursuivant les insectes, elle était un peu étrange, mais elle commençait à faire partie de notre famille. Le soir venu, un Amoni effondré revint, il pleurait à chaudes larmes, et semblait inconsolable.
J'étais un peu inquiet et heureux en même temps, car d'ordinaire, Amoni est toujours très posé. Les soigneurs lui avaient annoncé que l'opération serait plus longue que prévue, en raison de certaines lésions neurologiques du cervelet. Je devinais qu'il allait falloir reconstituer certaines fibres nerveuses fort délicates, et que peut-être, notre amie allait peiner à se mouvoir par la suite, du moins au début. Je songeais combien elle était douce, discrète et d'une compagnie agréable.
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Ne vous en faites pas, ami, elle a la volonté de guérir, et cela est essentiel. Songez que cette alien était prisonnière de la glace voici peu de temps, ce que vous avez accompli est immense. Le fait de faire hâter sa guérison également. Votre parole face au grand conseil a sans doute été décisive.
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Je n'ai fait que reprendre vos arguments, soupira Amoni.
Je ne dis mot, devinant que l'argumentaire dont il était question provenait sans nul doute d'une région émotionnelle plutôt enfouie dans l'esprit de mon ami si raffiné et si courtois. N'était-ce pas précisément pour cette raison que les sages guérisseurs qui dirigeaient le centre de soins avaient accédé à la requête d'Amoni ? Il y avait aussi le fait que j'avais été scandalisé en découvrant que notre amie était quasi recluse dans un temple par les prêtres. Cet éclat n'avait pas du passer inaperçu.
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Que vais-je bien pouvoir dire aux enfants ? soupira Amoni.
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Il faut garder espoir, tout ira bien, répondis-je courageusement en songeant aux experts généticiens, spécialistes en opérations céphaliques de toutes sortes, dont l'exposé me faisait frémir d'avance.
Fort heureusement à cet instant, Orel et Dorian parurent. Je leur en fus reconnaissant. Ce furent eux qui prirent le relais pour réconforter Amoni et lui indiquer qu'ils ne permettraient pas que la pensée d'une si belle personne demeure en des eaux troubles de l'esprit, où elle ne pouvait s'extérioriser.
Je m'éclipsais au salon et m'installais sur le fauteuil, tandis qu'Amoni allait marcher au jardin, un exercice qui l'apaisait toujours.
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