La fleur des montagnes (4/6)

Publié le par Aurélia LEDOUX

La fleur des montagnes (4/6)

 

Message du Professeur Zolmirel (suite)

 

 

En arrivant près du vaisseau, une surprise nous attendait. Les huit oncles et tantes peu amènes de Zilmis s'étaient regroupés pour empêcher notre départ.

 

Surpris dans leur élan, nous avons constaté qu'ils s'acharnaient en vain sur la porte du vaisseau qui refusait de s'ouvrir.

 

Le plus grand, Gersek, qui était aussi le plus hostile, s'avança vers nous, sa voix emplie de hargne.

 

  • Nous ne vous laisserons pas emmener cette femelle ! Sa place est ici ! Elle doit continuer à faire le ménage comme toutes les autres ! protesta-t-il. Nous refusons que vous en fassiez une Galmol des marais !

  • Et pourquoi cela ? demanda Erazel. Elle désire partir.

  • Oui, je ne veux plus vivre ici, je ne suis pas une esclave ! protesta Limmel, sa voix se brisant.

  • Les femelles doivent faire ce que les mâles ordonnent, un point c'est tout ! bougonna Gersek.

  • Patriarcat dogmatique limitatif de niveau 1... Votre monde a tant de ressources... Avez-vous songé que vos mères, vos filles, vos épouses, peuvent devenir d'excellentes pilotes et ingénieures stellaires ? Pourquoi réfrénez-vous leurs rêves, leurs aspirations ? Il est bien cruel de contraindre une personne en une vie de servitude. Et si les rôles étaient inversés, ne seriez-vous pas heureux de pouvoir découvrir de nouveaux horizons ?

  • Ils ne le sont pas ! Nous sommes les maîtres ici, et ce vaisseau nous appartient !

  • Ça vous l'avez déjà fait, protestais-je, car les Galmols des montagnes avaient autrefois pris mon ancien vaisseau.

  • Essayons de trouver un arrangement équitable, proposa Erazel. Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? Nous pouvons offrir bien des services. Je sens que vous n'êtes pas au mieux de votre forme.

  • Nous n'avons pas pour habitude de quérir l'aide des vôtres ! gronda Gersek.

  • Ça je le sais bien. Et nous n'avons pas pour habitude d'être entravés dans nos élans. Il existe deux possibilités, exposa tranquillement Erazel, des éclairs jaillissant de ses paumes. Soit vous vous mettez à courir très vite, soit vous acceptez une entente, et en ce cas, nous pourrons vous proposer une compensation. Je suis excellente pour faire le ménage de diverses manières, s'amusa-t-elle.

 

Les oncles de Zilmis blêmirent et reculèrent. Erazel pouvait être très intimidante en cas de nécessité. Ils conversèrent entre eux de manière précipitée. Puis, son autre oncle, Kompart, s'avança vers nous. Il semblait plus âgé et plus posé. Son teint étrange était joliment bleu gris tirant sur le mauve. Je compris qu'il s'agissait d'un hybride, entre le peuple des montagnes et des marais.

 

  • Nous acceptons un échange, déclara-t-il. Cela me semble plus juste. Veuillez nous suivre. Vous verrez que notre situation est délicate.

 

Chacun de nous s'entre regarda. Tout cela semblait cacher quelque chose de bien redoutable.

 

Nous avons suivi un petit raidillon pierreux, où croissaient des herbes sèches. Il monta, puis finit par s'incurver en contrebas. Une sorte de lande dégarnie apparut. Je ne vis d'abord rien d'autre qu'un épais mur de soutènement, avec des rigoles menant à des bacs de décantation placés en dessous pour purifier les eaux de ruissellement.

 

Enfin, un hangar vétuste singulièrement déformé apparut. Il nous fallut contourner l'accès ordinaire, car une partie du terrain s'était effondrée.

 

Erazel s'arrêta pour contempler l'édifice vacillant empli de vaisseaux antiques.

 

  • Enfin, pourquoi n'avoir rien dit ? demanda-t-elle d'une voix abasourdie.

  • Nous avons pour habitude de faire les choses nous-mêmes, hésita Kompart. Votre venue a été un désastre pour notre commerce de vaisseaux.

  • Une aide vous a plusieurs fois été proposée. Vous l'avez sciemment rejetée. Il y a ici environ 300 vaisseaux antiques ! Songez-vous aux risques pour les terres environnantes, et à l'explosion possiblement terrifiante qui pourrait en résulter si tout s'écroule ? fit-elle avec vigueur. Êtes-vous totalement irresponsables ?

 

Les oncles et tantes de Zilmis n'osèrent lever les yeux, ni formuler la moindre protestation. Je percevais une odeur de gaz assez vive. Certains vaisseaux avaient perdu du combustible. Le hangar progressait d'heure en heure vers le bas de la pente.

 

  • Ce n'est plus de mon ressort, émit Erazel avec un soupir. Il est heureux que cette zone soit inhabitée.

 

Nous nous sommes approchés juste assez pour voir un très grand vaisseau qui occupait presque toute l'entrée. Le toit s'était affaissé sur lui, et ne tenait plus que grâce à sa présence. Erazel nous pria de nous écarter bien loin de la zone dangereuse.

 

Au bout d'une minute environ, une trentaine d'anciens, dont certains portaient des combinaisons ignifugées, entourèrent le hangar.

 

  • Que vont-ils faire ? demanda Gersek en blêmissant.

  • Ils vont réparer ce désastre. Pour commencer, ils vont amener de la terre au bas de la pente, pour stopper l'éboulement. Les maîtres en gravité vont empêcher l'édifice de s'effondrer. Des experts vont entrer dans le bâtiment pour pomper le gaz, l'huile, ensuite, ils pourront agir. Le danger est très grand, il ne faut pas faire la moindre étincelle. Certains anciens possèdent un pouvoir sur le feu. Si des incendies ont lieu, ils seront étouffés aussitôt, expliqua notre ancienne posément.

 

Plutôt dubitatifs, les oncles de Zilmis peinaient à croire à de telles paroles.

 

  • Fort bien résumé, fit une voix malicieuse.

 

Je me retournais et aperçus Oralecto, mon vénérable ancêtre. Il s'approcha et m'embrassa, étreignant ensuite Erazel.

 

  • Ce hangar comprend un certain nombre de vaisseaux délabrés. Il faut les évacuer entièrement une fois que les produits inflammables auront été retirés. Ensuite, votre hangar sera replanté dans la région des plaines. Les vaisseaux qui ne sont plus en mesure de voler de manière sécuritaire devront aller au complexe aérospatial. Ensuite, ils seront restaurés et vous seront rendus. Ceux qui ne le peuvent pas seront recyclés entièrement. Vous recevrez une compensation en plaques de métal pour réparer vos esquifs. Vous pourrez les distribuer aux habitants des plaines. Ils manquent de transports là bas...

  • Je devrais distribuer gracieusement des vaisseaux aux habitants des plaines ?!! croassa Gersek. Vous êtes fou !

  • Il en est bien ainsi, fit Oralecto avec un sourire. En échange, les habitants vous offriront tout ce dont vous avez besoin.

  • C'est insensé...

  • Quelle rétribution demandons-nous pour agir sur votre bâtiment et sauver vos navires ? demanda Erazel avec vigueur. Aucune ! Vous serez payé en grain, en aliments, en outils ou en lecture. Cela est un changement conséquent au début, mais on s'y fait.

 

Tout à fait gênés, les aliens de montagnes se turent aussitôt.

 

Les choses commencèrent par aller lentement au début. Les anciens parvinrent à pomper tout le gaz et l'huile des vaisseaux endommagés.

 

Ensuite, ils passèrent au démontage de la toiture. Il y eu bien quelques débuts d'incendie au sol, mais les maîtres du feu étaient prêts. Ils firent agir leur fluide, répandant du sable un peu partout pour éteindre les premières flammes.

 

Nous nous sommes installés dans une clairière, à l'ombre d'un arbuste dégarni pour contempler le spectacle.

 

Une fois le toit retiré, un transbordeur suborbital géant apparut dans un sourd grondement. La soute s'ouvrit, et un par un, les vaisseaux délabrés s'envolèrent gracieusement. Ceux qui présentaient des restes de fuites ou qui étaient trop fragiles firent l'objet d'un traitement spécial. Ils furent entourés d'un champ protecteur.

 

Un autre vaisseau plus petit fut chargé de recueillir tout le mobilier, l'outillage et les effets des occupants.

 

Limmel s’essuya les yeux, émerveillée de tout ce que les anciens pouvaient accomplir. Il resta ensuite le bâtiment branlant en place. Les anciens voulurent le déplacer, mais il se désintégra entièrement.

 

Épouvantés, les oncles et tantes de Zilmis poussèrent des cris de désespoir.

 

  • Ne soyez pas si tristes, les rassura Erazel. Les anciens ne vont pas vous laisser comme ça. Ils vont récupérer le métal pour vous construire un édifice flambant neuf. En premier, ils doivent tout retirer et décontaminer le sol.

 

Les opérations se déroulèrent bien mieux cette fois. Des vaisseaux magnétiques collectèrent tôles et riblons, puis un engin flottant retira la dalle de ciment, ainsi que tout le dispositif de collecte des résidus. Les anciens analysèrent le sol et parurent satisfaits.

 

L'ensemble des opérations avait duré à peine une heure. Il ne resta plus qu'une parcelle de terre déserte très plane, là où le hangar antique se tenait autrefois. Erazel expliqua qu'elle serait revégétalisée.

 

D'autres anciens, spécialisés dans la communication, invitèrent les oncles de Zilmis hébétés à prendre place dans un vaisseau confortable. Ils leur servirent une collation, puis leur montrèrent différents plans de hangars à vaisseaux afin de savoir ce qui leur plairait le mieux.

 

  • Vous pouvez faire cela ? s'enquit Gersek, le plus incrédule. Vous pouvez retirer un hangar branlant d'une zone, et en construire un autre ailleurs aussi facilement.

  • La matière est agencement de molécules, émit une ancienne aux yeux brillants. Nous sommes à un niveau plus énergétique que vous. Pour qui est bâti de la sorte, entrevoir l'agencement de la matière physique, puis la moduler devient aisé. Nous veillons au bien être de tous les habitants de cette planète. Notre souhait est que vous soyez à présent les plus heureux possibles.

  • Comment vous remercier ? demanda Kompart.

  • En laissant nos experts rénover vos navires pour leur redonner belle allure, et en laissant cette enfant aller à sa guise. Elle n'a que trop souffert en votre région. Nous prendrons en charge tous les futurs aménagements. Nous veillerons à ce que vous soyez installés de manière confortable pour travailler dans de bien meilleures conditions, assura l'ancienne. Il nous est habituel de déplacer temples, demeures, et ouvrages technologiques. En échange, nous vous demandons de collaborer de manière aimable avec les habitants des plaines. Ils seront heureux de votre venue. Ils ont besoin d'experts comme vous pour prendre soin de leurs navires.

  • Eh bien... c'est d'accord, émit Gersek, un peu abasourdi. Tout ceci me semble bienvenu effectivement.

 

Heureux de cet accord, nous nous sommes retirés avec soulagement. Limmel tenait à peine sur ses jambes. Tout ceci avait été beaucoup trop d'émotions pour elle. Minel veilla à ce qu'elle ne glisse pas sur le sentier pierreux.

 

Nous avons retrouvé notre vaisseau. Au loin derrière les montagnes, des embruns pointaient. Je m'installais aux commandes. Limmel tomba de sommeil, épuisée sur un siège.

 

Chacun de nous était pressé de rentrer. Je contemplais une dernière fois le lopin de terre fraîchement retournée, qui avait abrité autrefois un hangar à vaisseaux branlant. Une fois de plus, les anciens avaient usé de leur brillant savoir pour éviter une catastrophe, et rendre d'autres êtres plus heureux.

 

Comme à leur habitude, ils avaient agi avec discrétion tout en rapidité, s'effaçant sitôt le travail accompli.

 

  • Je vous enverrai une image du nouveau hangar sitôt qu'ils auront choisi les plans, s'amusa Erazel. Je prévoyais quelques anicroches, et il est heureux que tout ceci se soit bien terminé. Vous ne devez plus vous préoccuper de cette affaire, ni elle, fit-elle en montrant Limmel endormie. Nous veillerons que les oncles et tantes de Zilmis s'acclimatent bien à leur nouvelle vie. Ils vont avoir beaucoup de vaisseaux à rénover ! Il leur sera bon de s'absorber en un ouvrage passionnant. Cela les rendra mieux disposés envers autrui.

 

Je souris simplement, Erazel étreignant un Zilmis sanglotant, éperdu de gratitude.

 

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