Le bonheur simple (2/3)
Message du Professeur Zolmirel (suite)
Nous devions nous rendre au centre de soins dans la journée. Les experts allaient devoir faire passer de nouveaux tests cognitifs à Minel. Si elle réussissait les épreuves, son statut de personne libre lui serait rendue, elle ne serait plus considérée comme une absente. Et surtout, elle aurait le droit de choisir Amoni pour époux.
Nous avons tenté de parlé et de rire pendant le repas, mais les enjeux étaient trop importants. J'étais tellement proche d'Amoni et de Minel, que j'éprouvais une vague crainte les concernant. Mon ami devait également être soigné. Il avait dû guérir des blessés possédant de graves brûlures et cela lui avait causé un choc important. Amoni serait mené en un centre de reconstitution pour les hors mondes, un centre de soins ultimes. Là, il pourrait assister à la guérison finale de tous les blessés.
Cette étape était indispensable.
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Vous avez pourtant été informé que les blessés survivraient, exposa Zilmis.
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Oui, en effet, fit Amoni. Mais nous les avons quittés depuis. Les brûlures ont toujours été difficiles pour moi. Tant que l'on ne voit pas les blessés guéris, une partie de l'esprit n'est pas en repos. Il faut assister à leur guérison, pour que l'esprit les croie hors de danger.
Minel poussa un gémissement de compassion. Elle voulait accompagner Amoni en ce lieu, malgré tout.
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Ce n'est pas nécessaire, assura-t-il. Et seuls les guérisseurs peuvent entrer en ce lieu. Tout se passera bien, pour toi et pour moi, dit-il d'un air serein. J'en suis persuadé.
Cette belle assurance dissipa aussitôt la peine de nos visages. Nous avons aidé Amoni et Minel à charger leurs effets à bord du vaisseau, et je m'installais aux commandes.
Orel et Dorian avaient décidé de rendre visite à d'autres êtres de lumière, alors que les enfants étaient retournés au grand Institut, aussi, nous étions tous les quatre.
Notre navire décolla aisément, et sembla glisser sur les courants. Il émit un doux sifflement. Un plaisir croissant m'anima à mesure que la vitesse augmentait. La pose de plusieurs stabilisateurs réglés en finesse avait rendu notre navire bien plus maniable.
Derrière nous, Amoni et Minel s'étreignaient, conscients qu'ils seraient bientôt séparés. Ils versèrent quelques larmes, puis retrouvèrent leur contenance à mesure que nous approchions.
Le navire se posa, et je rangeais le vaisseau à l'emplacement prévu.
Le centre de soins flambant neuf à la façade blanche se dressait très haut dans le ciel. De forme arrondie, il me faisait un peu penser à un coquillage. Le ciel azur mêlé de reflets émeraude apparut au zénith lorsque je levais les yeux. C'était un très bon présage, décidais-je.
Je murmurais des prières, et entrais dans l'édifice.
Un petit alien timide, un Ilstirr assez jeune, salua Amoni. Il devait l'escorter jusqu'au centre de soins ultime situé dans l'espace. Son teint neigeux était agréable et ses grands yeux noirs luisaient de bonté. Je compris qu'il s'agissait d'un jeune étudiant.
Minel étreignit son bien aimé, l'embrassant sur les joues. Un Amoni écarlate s'éloigna à regrets, suivant le petit alien vers un couloir noir et blanc. Ils disparurent en peu de temps.
Zilmis et moi-même avons craint un instant que Minel ne se mette à courir pour le rejoindre. Son regard clair presque blanc vacilla et sembla se résigner.
À nouveau, une force impressionnante jaillit de ses prunelles. Un soigneur très âgé cette fois, un Tarethos au teint vert forêt avec des yeux écarlates nous reçut avec bonté en un petit salon. Il nous servit un breuvage apaisant.
La pièce était ocre tirant sur le rosé, garni de plantes poussant dans des grands bac. Ce lieu avait été aménagé spécialement pour assurer le bien être des visiteurs. Aucun de nous ne parlait. Je serrais si fort la main de Zilmis dans la mienne que nos doigts s'engourdirent.
Un son résonna. Étonnamment apaisée, Minel nous rassura d'un geste tendre et nous embrassa. Puis, elle entra d'un pas résolu dans la grande salle ronde située derrière nous.
La scène qui suivit fut essentiellement psychique. Je ne sais pour quelle raison, Minel et moi-même pourtant de deux espèces distinctes, avions développé un lien très puissant de l'esprit.
Elle tenait à me montrer ce qui lui advenait. Je lui adressais toutes mes pensées de soutien, toute l'énergie dont j'étais capable.
L'auditoire apparut, il y avait en tout huit aliens. Au premier abord, ils semblaient surtout froids et distants. Je reconnus deux chercheurs Denakhs, un petit Ilstirr nerveux, trois Galmols, et une Tarethos. Le dernier alien était un Kolal très grand, qui ressemblait beaucoup à Amoni. Minel le contempla avec émoi.
Les experts l'invitèrent à s'asseoir, puis lui posèrent des questions basiques.
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Quel est votre âge ? demanda la Tarethos.
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Je ne me souviens plus, émit Minel en parlant avec efforts. Il m'a été indiqué que j'étais âgée de plusieurs siècles au moment de ma mort. Ensuite, quand je suis entrée dans ce nouveau corps, l'alien imparfaite dont il était question avait 22 ans de ce monde.
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C'est tout à fait exact, émit la chercheuse de manière plus avenante.
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Parlez-vous uniquement le Denakh ? questionna l'Ilstirr.
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J'apprends la langue, répondit vaillamment Minel. Les mots abstraits sont compliqués au début.
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Nous allons parler en votre langue, ce sera plus facile ainsi, exposa la Tarethos.
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Merci, répondit-elle aussitôt.
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Quelles sont vos relations avec le soigneur Amoni ? demanda un alien Denakh avec froideur.
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Elles sont excellentes, Amoni m'a appris à parler, avec le reste de ma famille. Je l'aide à préparer des remèdes également, assura Minel avec plus de vaillance. Ce sont de très beaux moments.
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Avez-vous rencontré d'autres Kolals ? interrogea la Tarethos.
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Oui, un peu. J'ai beaucoup de curiosité pour cette planète. Vous vivez avec une telle harmonie entre vous, avec la nature également.
Les autres questions qui fusèrent étaient très directes, elles visaient à éclairer les chercheurs par rapport aux choix effectués par Minel.
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Pensez-vous que vos sentiments pour Amoni soient suffisamment profonds, qu'ils soient réellement issus de votre cœur ? Il est fréquent que les blessés s'attachent aux guérisseurs.
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Amoni a agi avec tellement de bonté, il est si paisible, si habile de ses mains. Il est vraiment très différent des autres guérisseurs, émit Minel d'un ton catégorique. Son fluide est … paradisiaque, réussit-elle à prononcer.
Les génies de laboratoire surpris se fixèrent avec étonnement. Certains étouffèrent des rires. Quand on songeait à l'énergie dévorante d'Amoni, qui pouvait vivement heurter certains aliens, un tel aveu pouvait paraître bien surprenant. Mon si sage ami aurait été en mesure, certainement, de recharger en un rien de temps un petit vaisseau.
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Intéressant, émit le petit Ilstirr, d'une voix douce. En effet, les tests ont montré que vos deux énergies sont parfaitement complémentaires. Vous devez cependant savoir que la loi n'autorise pas un soigneur à courtiser une patiente.
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Amoni ne m'a en rien courtisée, assura Minel. Il a été d'une conduite irréprochable.
Les huit experts la dévisagèrent un long moment, Puis, ne percevant nul mensonge en ses yeux, ils parurent se détendre. Ils venaient de ressentir l'émoi sincère et ardent de Minel pour Amoni.
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Nous sommes heureux de l'issue finale de cet entretien, assura une alien Denakh. Et très heureux également pour notre ami. Amoni est un guérisseur méritant.
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Vous allez maintenant passer des tests de cognition, assura le Kolal.
Minel se leva d'une démarche hésitante. Elle comprit alors seulement qu'elle venait de réussir le premier entretien.
Elle entra en une autre pièce, où se trouvaient déjà plusieurs enfants et adolescents.
Elle comprit qu'elle devrait passer des tests de connaissances. Elle dut répondre à plusieurs questionnaires rédigés en denakh. Complexes, les questions portaient principalement sur la voilure des navires, les manœuvres de rentrée atmosphérique, et les réacteurs à plasma.
Minel peinait encore à écrire, même si ses progrès étaient stupéfiants. Il lui fut alloué plus de temps pour qu'elle puisse achever ses réponses.
Les experts parurent satisfaits.
Ensuite, le troisième test se déroulait dans la salle de cognition du centre de soins. Deux petits clones invitèrent Minel à s'installer sur un fauteuil. Un écran présentait des images et des senseurs permettaient de lire sa réaction émotionnelle et cognitive. Elle contempla de nombreuses images d'animaux, de vaisseaux, et des portraits d'aliens, d'humanoïdes et de lézards de toutes les espèces stellaires. Les experts, réunis dans une pièce voisine discutaient entre eux. Des bribes de conversation fusèrent.
Ils étaient très satisfaits de ne déceler chez elle nulle agressivité. Les tests se poursuivirent, notamment des tests sur les choix. Ces choix étaient déterminants dans la réattribution d'une personnalité. Minel devait parler de ses préférences, pour s'habiller, cuisiner, ou simplement écouter de la musique.
D'autres tests eurent lieu, concernant la sécurité, les soins aux jeunes enfants, les soins médicaux, et tout ce que doit apprendre un habitant de notre monde.
Mon esprit omniscient s'échappa, une fois de plus.
Minel et moi-même nous trouvions en un lieu hors du temps, un lieu de l'esprit, comme la télépathie peut en faire jaillir. Il s'agissait d'un petit salon douillet bordé d'une serre épanouie.
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Vous vous en êtes très bien tirée, assurais-je. Les experts sont très satisfaits.
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Je suis un peu honteuse, exposa-t-elle. Ils ont perçu certaines choses peu protocolaires. Amoni est un alien extrêmement attirant, et les nôtres ne sommes point portées sur la modération.
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Peu importe, lui exposais-je. Cela est tout à votre honneur. Vous ne devez pas avoir honte de vos sentiments, ou de votre attirance.
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Mais les Denakhs mordent leurs époux, émit Minel avec embarras. Une telle avidité risque d'être considérée comme une transgression. D'autant plus qu'Amoni est un soigneur très brillant. Certains aliens anciens risquent d'être choqués. Ils ne voudront pas m'autoriser à l'épouser.
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Soyez tranquille. Les experts savent que les morsures des vôtres sont indolores. Amoni et vous-même êtes de deux espèces distinctes. Il est difficile au début de faire un pont entre deux êtres à la biologie si différente, mais je suis sûr que vous y parviendrez.
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Vous êtes sûr ? Vous êtes toujours tellement confiant face aux événements.
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Amoni a servi ce monde, ce centre de soins depuis des siècles. Il a œuvré courageusement pour guérir des milliers d'êtres. Vous devez songer que ce sont au départ les experts qui ont orchestré votre rapprochement. Il a été décidé à leur initiative qu'Amoni devrait prendre soin de vous. Et c'est une très bonne idée, soulignais-je.
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Vous pensez que les experts ont agi ainsi pour le récompenser ?
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Seuls les très grands sages peuvent percevoir les plus grandes fins. Mais oui, cela me semble essentiel. Ils ont perçu aussitôt votre attrait réciproque. Il est bien rare qu'Amoni s'intéresse à quelqu'un d'autre qu'à ses recherches, à part ses enfants évidemment.
Minel parut peu à peu rassurée. Les règles qui dictaient la vie du centre de soins étaient assez sévères, et les experts devaient s'assurer qu'elle soit parfaitement guérie, avant de l'autoriser à avoir une vie normale.
Ma dernière vision fut celle de Minel allongée, tremblante dans l'obscurité, sous l'effet de la peur. Il y avait aussi le manque considérable lié à l'absence de l'être aimé.
J'ouvris les yeux, et réalisais que je me trouvais en une chambre auprès de Zilmis. Les soigneurs m'avaient allongé là sans m'éveiller. La transe télépathique avait parfois cet effet. Zilmis et moi-même aurions bien aimé pouvoir rejoindre Minel en sa chambre pour la réconforter, mais nous savions que cela nous était défendu. Elle devait affronter les épreuves seule.
Je peinais à me rendormir.
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