Le choix des époux (2/4)

Publié le par Aurélia LEDOUX

Le choix des époux (2/4)

Message du Guérisseur Lestrys (suite)

 

 

Environ une de vos heures passa, et nous avons vécu là un fort joyeux moment. Il était venu ce soir là des centaines de femelles et nulle n'avait songé à choisir notre maître pour époux. Lorsqu'une dame alien d'un genre un peu particulier apparut. Elle passa et repassa devant la table de Levinsworth, le fixant de ses prunelles noires intenses. La dame portait une ample tunique rouge et noire, une tiare, ainsi qu'une parure en dentelle qui révélait son visage délicat. Elle était si maigre, que le dessin parfait de ses côtes était visible sur son torse immaculé. Il s'agissait d'un critère de beauté ultime pour les nôtres. Levinsworth semblait avoir cessé de respirer et se mit à agripper la table d'un air bouleversé.

 

La dame semblait une alien âgée à la personnalité assez affirmée, mais aussi patiente et posée. Complètement abasourdis, nous avons vu Levinsworth se lever et s'incliner gauchement pour la saluer, presque jusqu'à toucher le sol. Elle sourit largement et prit place aussitôt. Une conversation très vive naquit instantanément entre les deux époux.

 

Eratsu et moi-même étions enchantés pour notre maître. Quoique d'une bougonnerie très vive, ses travaux étaient cependant excellents et nous espérions que le fait de vivre auprès d'une épouse améliore son humeur.

 

Les couples pour la plupart se levèrent, afin de passer au jardin, ou de se rendre dans d'autres salles, pour danser, se restaurer, en riant plus allègrement.

 

Eratsu et moi-même avons décidé de nous rendre en bibliothèque pour faire provision de livres, puis ensuite d'aller nous coucher.

 

Ce soir là, nous étions inhabituellement émus et heureux pour notre maître. Les manifestations affectives étaient très rares pour les nôtres à cette époque, car jugées immorales. Le cœur trouble l'esprit, n'avait-on cessé de nous répéter. Eratsu et moi-même nous connaissions depuis bien longtemps, et je le considérais comme mon meilleur ami. Hélas, il souffrait de préjugés importants en raison des filaments clairs hérissés qui recouvraient son crâne. Les aliens possédant un semblant de chevelure étaient cruellement rabaissés, car assimilés à des imparfaits.

 

Il aurait été impensable pour lui de songer à une épouse, et il m'avoua qu'il était très touché de notre amitié. Je lui exposais que je le considérais comme mon frère.

 

Il sourit largement et me serra dans ses bras, ses yeux débordants de larmes de gratitude. Nous nous sommes étreints avec émotion, le couloir heureusement désert en cette heure, puis nous avons gagné nos chambres respectives, très heureux de cette soirée.

 

Le lendemain, nous étions de retour en laboratoire. Le premier vénérable qui officiait aux expériences de minéralogie, sur la maturation du cristal près des zones de lave, semblait quasiment absent. Chacun de nous étouffa des rires discrets, puis nous avons gagné le réfectoire à l'heure du déjeuner.

 

Fringant et rayonnant de joie, Levinsworth fila devant nous, dévalant un escalier raide en trois bonds rapides.

 

  • L'amour a des effets incontestables sur ses performances athlétiques ! s'amusa Eratsu. Il semble avoir perdu quelques siècles.

 

J'éclatais de rire, incapable de réprimer ma joie. Nous avons continué à plaisanter sur les qualités très honorables de notre maître à la course, malgré son grand âge.

 

Cependant, le plus délicat restait à venir. Nous savions qu'il était de personnalité vive, et sa future compagne semblait elle aussi très déterminée. Elle était aussi légèrement plus grande que lui, ce qui impliquait des différences énergétiques.

 

La plupart des aliens de mon peuple sont entièrement androgynes, en particulier les valets. Cela ne pose d'ordinaire aucun souci. C'est même plutôt un avantage, car l'énergie circule ainsi de manière parfaite et réciproque dans un couple. Cette énergie gagne tout le système nerveux lors du moindre contact physique, le dos, le cerveau, et les extrémités, très sensibles.

 

A cette occasion, les nôtres étions souvent enclins à nous frôler les mains, pour manifester notre soutien, pour renforcer la cohésion de notre groupe. Cela nous était bien sûr défendu, mais nous le faisions quand même.

 

L'honneur suprême était de toucher le visage, ou encore pire, le cou d'autrui, ce qui était assimilé à une relation quasiment filiale ou matrimoniale. Il nous était en effet ainsi possible de percevoir tout le spectre de la pensée de l'autre.

 

Ce jour là, avec Eratsu, nous avons entrevu la dame alien marcher auprès de Levinsworth dans un couloir et s'arrêter pour saisir lentement son cou.

 

Vivement épouvantés, nous avons aussitôt fait demi tour, fort peu désireux de les troubler. Nous étions bienheureux pour lui, et un peu inquiets.

 

Je l'ai dit, un rapprochement peut être dangereux s'il est entrepris à la hâte. Les deux énergies des prétendants doivent parfaitement s'accorder. La dame de Levinsworth, qui se nommait Elamide était très empressée, et sans nul doute très éprise de lui.

 

L'après midi venue, tout à fait confus, Levinsworth laissa planer dans son sillage quelques éclats incandescents, son fluide énergétique désordonné s'échappait de lui. Il risquait de causer de gros dégâts à tout notre équipement si sensible.

 

Il peinait à se tenir droit, et un alien devait être désigné pour l'accompagner chez le superviseur. Comme mon fluide était plus élevé, il fut décidé que ce serait moi.

 

Nous nous sommes enfoncés dans les couloirs de la base sidérale de l’astéroïde que nous occupions alors.

 

  • Comment vous sentez-vous, noble maître ? demandais-je avec inquiétude.

  • Très mal, Lestrys, avoua-t-il, d'une voix bien plus humaine que d'ordinaire. Je suis empli de peur... Ma dernière heure est peut être venue.

  • Vous ne devez pas penser ainsi, mais songer à des moments heureux avec votre promise, exposais-je en rosissant, tout à fait frappé par de telles confidences.

  • Nous ne sommes pas entièrement identiques, et cela me terrifie, son énergie est très vive. Son voltage est plus élevé, elle aspire à m'épouser. Savez-vous ce que cela signifie ?

  • Oui, noble maître. Votre épouse est éprise de vous et elle souhaite une relation physique et psychique. Vous devriez lui faire confiance, dis-je d'une voix surprise en rosissant de plus belle.

  • Confiance ? Et lui léguer tout mon héritage ancestral, des siècles et des siècles de recherches ? demanda Levinsworth en me fixant intensément.

  • Oui, je pense que oui. Il est heureux de partager la connaissance. Cette dame aspire à vous avec sincérité. Vous n'avez rien à perdre, formulais-je. Elle vous ouvrira son cœur et vous pourrez recevoir de même sa pensée, le récit de ses voyages nombreux, un très grand enrichissement de l'esprit sur de nouveaux mondes inconnus.

  • Très bien, Lestrys, je vais suivre ton avis. Tu as toujours été un bon chercheur. Si ton conseil se révèle bon, je pourrais t'accorder ce que tu désires, émit-il d'une voix inhabituellement émue.

 

 

Nous avons cessé là notre conversation, car il s'agissait de sujets hautement tabous pour mon monde à cette époque. Le partage de connaissances entre époux était inévitable, malgré des généticiens qui souhaitaient garder jalousement le contenu de leurs travaux, jusqu'à la parution d'ouvrages.

 

Levinsworth m'exposa par l'esprit qu'Elamide était en vérité une capitaine de vaisseau, et qu'il lui faudrait très bientôt la rejoindre. Je compris aussitôt la raison du départ prochain de notre équipe qui avait été avancé, vers un long courrier.

 

J'osais tendre la main vers l'ancien qui trébucha, et il la saisit, me causant un frisson plaisant. Il venait de me faire là un très grand honneur.

 

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