Les Hautes cavernes de lumière (2/3)
Message du Guérisseur Lestrys
Je m'éveillais subitement, parfaitement reposé, et habité d'un regain d'énergie bienvenu. Hélas, Oktos et les deux petits gris peinaient à se mouvoir.
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On dirait qu'ils sont en train de mourir, souffla Henri à mon oreille d'une voix très inquiète.
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En effet, il en est bien ainsi, soupirais-je. Ce qu'ils étaient est en train de disparaître et leurs corps se transmutent entièrement. Cette étape est très délicate.
Livides, le visage amaigri, et leur réseau veineux de plus en plus visible, les trois gris tremblaient de faiblesse. Nous les avons aidés à s'installer à bord du vaisseau aussi confortablement que possible. Ensuite, nous avons brossé le vaisseau de toute la cendre, étape indispensable, et sommes revenus à bord.
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Cela est la fin, je le sens, soupira Oktos, son visage constellé de zones argentées.
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Nullement, je ne le permettrais pas, exposais-je. Vous avez été incroyablement habile et courageux pour nous tirer de ce lac de lave. Reprenez un peu de breuvage.
Oktos but une grande rasade d'eau mystérieuse et son teint redevint un peu plus coloré. Incapable de se mouvoir, il déploya ses sens aiguisés, et se fit un devoir de nous guider.
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Cela va être à toi de piloter, dis-je à Stency, un peu inquiet. Ensuite, je prendrais le relais, puis ce sera à vous d'agir, exposais-je à Henri. Regardez bien comment il s'y prend.
Stency lança le dispositif antigravité du vaisseau. Celui-ci émit un couinement de protestation, puis se stabilisa. Les vaisseaux n'aimaient pas du tout la cendre. Il activa les réacteurs, et notre esquif bondit avec célérité dans un couloir jaune pâle.
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C'est très bien, fit Oktos, nous sommes dans la bonne direction. Quel brave petit ! dit-il alors que Stency se faufilait avec virtuosité entre d'énormes stalactites.
Le nombre de stalactites diminua for heureusement, et notre transport acquit une poussée très satisfaisante. Il nous fallut franchir plusieurs minuscules rigoles de lave rougeoyante, par chance peu nombreuses. L'air frais nous avait rendu toute notre vigueur et la propulsion du vaisseau retrouva sa fluidité. Nous sommes parvenus à plusieurs arcades de lumière scintillantes. Des piliers de cuivre, d'or et de magnétite couverts de signes étaient visibles.
Nous franchissions de minces voiles d'énergie, toujours plus intenses et chacun de nous devint assez évanescent. Je me mis aux commandes du vaisseau, alors que Stency se reposait. Le petit clone blessé, quant à lui, ouvrait les yeux de temps à autres et réprimait un hoquet de stupeur en découvrant des cavernes immenses drapées de quartz rose, d'améthyste, ou de calcite blanche.
C'était Henri qui se chargeait de le choyer, et l'enfant appréciait beaucoup ses mains si tièdes, ainsi que sa voix affectueuse.
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Qu'est-il arrivé à cet enfant ? demanda-t-il.
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Sa jambe était très endommagée, j'ai pu réduire la fracture et soigner sa plaie. Hélas, il a perdu une grande quantité de fluides. Depuis, il ne fait que dormir et boire. Il est encourageant qu'il puisse s'éveiller, alors que nous sommes tous si fatigués.
A cet instant, nous étions face à une salle très sombre, parée de draperies de calcite et de grès rose. Le plafond était situé à une hauteur insensée. Un sable beige clair moelleux courait sur le sol. Je posais le vaisseau et invitais Henri à descendre. Nous avions idée de refaire nos provisions d'eau mystérieuse.
Cela nous prit un temps infini et épuisa les dernières forces qu'il nous restait. Chacun de nous s'écroula, endormi dans le sable moelleux.
Je sentis une main filiforme me secouer avec vigueur.
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Elil, elil, il faut absolument t'éveiller, je t'en supplie ! lançait mon cher petit Stency.
J'ouvris les yeux peu à peu et avisais le sol sablonneux, une eau claire avançait vers nous à une vitesse modérée. Je sentais qu'elle pouvait d'un instant à l'autre se transformer en torrent. Je félicitais Stency, si avisé pour son jeune âge et tentais d'éveiller Henri, en vain. Je le fis léviter à bord et chargeais les derniers vases d'eau mystérieuse que nous avions délaissés la veille.
Mon petit fit aussitôt décoller le vaisseau, et nous nous sommes éloignés bien vite. À ces niveaux, il est fréquent que de l'eau sous pression se mette à ruisseler, et se transforme en torrent furieux, une fois que certaines roches cèdent.
Stency savait très bien cela, et il avait réagi avec beaucoup de sang froid pour nous tirer de ce péril. Le voyage qui suivit fut des plus paisibles, ponctué par les soupirs de nos compagnons endormis. Nous avons franchi une dernière arcade, aux piliers de cuivre jaune immenses, de plus de 30 mètres de haut. Je savais que c'était la dernière. Le niveau énergétique de la grotte se stabilisa, nous faisant entrer en une douce quiétude.
La lumière qui tombait sur nous était rosée et dorée, et j'ai peu de mots pour décrire la splendeur de ces grottes. Notre petit transport et nos habits, maculés de cendre, de sable et de boue, redevinrent en peu d'instants aussi éclatants que faire se peut.
Au bout d'environ une demi heure, nos compagnons s'éveillèrent tous ensemble, parfaitement remis. Nous avons cheminé à allure réduite en ces méandres accueillants. Ce qui me fascinait était la hauteur constante du plafond, d'environ 40 mètres.
À un détour, un spectacle étrange nous interpella. Une vingtaine de lézards creusaient le sol, et des petits êtres graciles tentaient de réparer un vaisseau singulièrement antique. Leur convoi comprenait quatre transports.
Mon cœur se serra, et aussitôt, nous sommes venus à leur rencontre. Un peu apeurés au début, les lézards nous fixèrent avec surprise. La plupart d'entre eux serraient un ou deux clones nouveaux nés près de leur cœur. Ils avaient risqué leurs vies pour secourir ces petits êtres. Les clones serraient en toute confiance les mains griffues des lézards, qu'ils semblaient considérer comme leurs parents. Trois autres clones un peu plus âgés marchaient avec hésitations autour du vaisseau délabré. Ils semblaient être en mesure de le remettre en état parfaitement, mais étaient incapable de parler convenablement aux adultes. Leurs grands yeux résignés exprimaient une intense frustration. Ils semblèrent habités d'un regain d'espoir en fixant notre groupe.
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Nous sommes ravis de vous retrouver, lança Henri. Nous avons suivi vos traces. Je suis comme vous un échappé de la cité, et voici le guérisseur Lestrys.
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Très heureux, voyageurs, fit un lézard fort âgé. Soyez les bienvenus. Si vous êtes guérisseur, pouvez-vous nous porter assistance ? L'un des enfants est mal en point et notre ami est blessé.
Le lézard âgé, à la carapace bleu gris, me fit monter en l'un des transports. Là, un lézard plus jeune au teint jaune pâle et aux yeux dorés étincelants berçait un clone nouveau né, dans un état effroyable. Le petit être poussait des gémissements étranglés, tentant d'inhaler une quantité d'air toujours plus grande.
Je connaissais bien ce type de pathologie, qui est liée à la croissance trop rapide du cerveau, par rapport à celle de la cage thoracique. Le cerveau énorme du pauvre être épuisait peu à peu son organisme. L'enfant, d'une maigreur affreuse, était en train d'étouffer. Je fus frappé par le lien très fort que le jeune lézard avait tissé avec cet enfant, d'un autre peuple que le sien.
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Il faut l'endormir très vite, exposais-je avec inquiétude. Il souffre de dimorphisme cérébral. C'est une pathologie grave.
Le lézard plus âgé tenta de réconforter le parent du petit être. Je lui tendis un breuvage, que le petit clone filiforme avala avec beaucoup de difficultés. Il s'endormit en peu de temps.
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Je n'ai pas là tout le matériel qui sied à guérir une telle affection, soupirais-je avec dépit.
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Votre vaisseau est plus rapide, lança le jeune lézard d'un ton désespéré. Prenez mon enfant et sauvez-le ! Nous sentons que nous touchons au but.
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Nous n'allons pas vous séparer de votre fils, exposais-je. Il y a assez de place pour plusieurs passagers.
L'autre blessé possédait une plaie inquiétante à la jambe, mais son état était stable. Il fut décidé rapidement d'un plan.
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Nous emmenons vos compagnons jusqu'aux portes de la cité, fit Henri. Ensuite, nous revenons vous aider à dégager ce bâtiment.
Nos conversations furent cependant interrompues. Une vive lumière turquoise, à l'éclat adamantin montait peu à peu au bout de la galerie.
La roche brun rouge s'élevait vers le plafond en stratifications admirables, et ce spectacle magnifiait l'éclat de chaque chose.
Un vaisseau bleuté, à l'éclat doux pour nos yeux sensibles apparut peu à peu. Il avait presque la silhouette d'un oiseau et vint se poser auprès de nous. Mon adorable Célia en descendit et je bondis aussitôt à sa rencontre. Je la serrais très fort dans mes bras, et elle souleva Stency près d'elle.
Célia vint aussitôt auprès du petit alien mourant et fit agir son fluide pour l'aider à respirer.
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Montez donc à bord, dit-elle au père débordant de gratitude. Il y a tout ce qu'il faut pour aider votre fils à respirer.
Le lézard amena le petit être à bord et il fut relié à un inhalateur dernier cri. Pendant ce temps, les êtres de lumière soignaient la jambe du lézard blessé.
Je fixais avec émoi le petit clone, dont le teint violacé redevenait plus clair. Célia croisa mon regard inquiet. L'inhalateur allait permettre à l'enfant de survivre, mais possédait l'inconvénient d'accélérer le développement de son cerveau. Il allait devenir dépendant de la machine. Il lui fallait très vite une correction génétique, si on espérait le voir guérir.
Célia garda ma main serrée dans la sienne, et sa présence me fit entrer dans une extase silencieuse des plus parfaites.
Nous sommes redescendus du beau navire turquoise.
Avisant le petit vaisseau ensablé, où des clones et des lézards luttaient depuis des heures, elle pria chacun de s'écarter. Puis, elle fit agir son fluide. Le vaisseau se dégagea aussitôt du sable et le réacteur qui s'était détaché, retrouva sa place d'origine. De câbles solides se tendirent et il fut arrimé à notre petit transport.
Il restait à réparer la sustentation magnétique. Avec une belle harmonie, clones mécaniciens, lézards et êtres de lumière se groupèrent autour du vaisseau.
Célia, Stency et moi, nous sommes assis posément sur un rocher. J'étais émerveillé du spectacle d'une superbe cascade qui tombait de la paroi devant nous, jaillissant du grès rose, d'une hauteur située à perte de vue.
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Je suis si heureux de te revoir, soupirais-je. C'est le fait de penser à toi, qui m'a donné le courage de continuer en ces méandres de galeries inextricables.
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Tu les a ramenés, répondit-elle. Tu les a ramenés tous les quatre. Je suis tellement fière de toi. Cela a dû être très éprouvant !
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Oui, ça l'a été, mais Stency était là, lui aussi. Et il a été d'un immense courage.
Célia l'embrassa alors, vivement émue de nous retrouver enfin. Un autre vaisseau, argenté cette fois, vint à notre rencontre. Et une petite silhouette claire bondit à toute allure avec un grand rire.
Lokhaïl se précipita vers moi et je le soulevais en riant de bonheur.
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Je savais que tu reviendrais ! dit-il en m'embrassant. Mais tu en as mis du temps quand même !
Darsimen et Eratsu vinrent nous saluer à leur tour, très émus et heureux de nous voir de retour. Eratsu s'essuya les yeux, et Oktos lança un regard intrigué à mes compagnons.
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Est-il donc l'un des nôtres ? Demanda-t-il d'un œil abasourdi en avisant Lokhaïl qui gambadait en poursuivant son frère.
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Oui, tout à fait. Heureuse métamorphose, n'est-ce pas ? exposais-je en riant, face à un Lokhaïl toujours aussi espiègle et bavard qu'auparavant.
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A-t-il toujours été ainsi ? questionna Oktos, vivement déconcerté.
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Non, auparavant, il était craintif et effacé, comme vos deux petits. Vous verrez qu'avec du temps, tout ira bien, dis-je d'un air confiant.
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Ainsi, vous êtes un génie gris ? demanda un Darsimen fort intéressé. Je suis enchanté de vous connaître. Avez-vous croisé des méduses lumineuses en ces salles souterraines ?
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Oui, il y avait beaucoup de petites créatures phosphorescentes qui flottaient en ces galeries, beaucoup de formes de vie minuscules et énergétiques. Tout ceci est bien incompréhensible, pour tout dire.
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C'est ce qui est en vous aussi, mon ami, exposa le sage en montrant son poignet argenté. Vous abritez la même vie sans le savoir.
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Il est heureux de songer qu'un pan vacillant de notre science s'écroule, et de pouvoir de nouveau appréhender la grandeur du vivant avec un autre regard, philosopha humblement Oktos.
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Il est heureux que vous ayez fait ce saut prévu ou imprévu du haut de votre falaise, fit énigmatiquement Darsimen avec quelque facétie. Cela vous a permis de ramener ces petits cœurs avec vous, dit-il en saisissant les mains des deux petits gris apeurés. Soyez sans crainte, vous êtes les bienvenus en notre belle cité de lumière. Vous allez pouvoir guérir, mes amis.
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