Le vaisseau arc-en-ciel (2/2)
Message du Professeur Zolmirel
Nous avons abouti près d'un balcon, et quel balcon !
Je fixais le décor bleu hyacinthe, et portais mon regard en contrebas. Un vide immense s'ouvrait devant moi, et bien au delà. Le puits faisait environ 200 mètres de profondeur me sembla-t-il.
En dessous, un voile de protection luminescent protégeait de gigantesques machines. Je contemplais les yeux émerveillés, les tubulures de métal géantes qui amenaient l'eau des bains, des cuisines, et permettaient aux niveaux de vie du vaisseau, aux plantations, d'être arrosées. D'autres machines bourdonnantes comportaient des grilles nombreuses. Cette fois, il s'agissait de recycleurs en air. Des androïdes brossaient les grilles et en aspiraient les moisissures et la poussière, avant de la déposer dans un séparateur. Je devinais que de telles moisissures seraient réutilisées dans les cuves de maturation d'engrais, après avoir été purifiées.
Erazel m'invita à gagner un niveau un peu plus bas, et cette fois effectivement, j'aperçus les cuves, de loin, couleur bleu cobalt.
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Chacune de ces cuves est réservée à un ingrédient, expliqua Erazel. Les déchets des cuisines et les graisses vont dans la première, les eaux des bains et de la vaisselle dans la deuxième, et enfin les eaux industrielles et les eaux de nettoyage du vaisseau dans la troisième. C'est la plus complexe, car il faut débarrasser cette eau de la limaille, des corpuscules de vernis ou de peinture, des boues et des poussières. Ensuite, ces poussières, quoique en quantité infime, sont à leur tour séchées et recyclées dans un séparateur de microparticules.
Nous n'avions pas le droit d'approcher des cuves, une barrière subtile interdisait aux êtres vivants de s'approcher des circuits d'eau sous pression. Mais nous avons pu admirer de loin d'immenses tubulures de tuyaux argentés, qui formaient un réseau exceptionnel.
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Les microparticules sont l'obsession des ingénieurs, exposa Erazel. Ils veulent que ce vaisseau soit le plus propre possible. Tout ce qu'il contient a été pensé le plus sainement possible, de nos habits, nos souliers, aux tapis, et en passant par chacune des parois. Bien sûr, notre monde n'en est plus aux époques industrielles de certaines planètes, où les bronches des habitants doivent être purifiées chaque année, mais nous devons faire un grand effort pour préserver l'environnement et l'espace. Un espace propre conditionne la venue de la vie première, sa circulation. Ce vaisseau comporte beaucoup de hors mondes, et l'environnement doit être très pur pour leur faire bon accueil.
Perdu en plein rêve, je fixais un écran de surveillance, où un ingénieur Ilstirr surveillait le nettoyage des « pelotes ». Il s'agit de ce que vous nommez peluches ou minous, et qui aime à se trouver sous les lits. La poussière du vaisseau était amenée sur des circuits à antigravité, pour être séparée.
Comme sur votre monde, cette poussière comportait du sable, des fibres textiles et des fragments de peau, ou des cheveux (pour les habitants du navire qui en possédaient).
La poussière, après être séparée, passait en quatre circuits. Le premier collectait les minéraux, comme le sable, le deuxième les matières organiques, le troisième la poudre de métal et le quatrième, les fibres textiles.
Nous avons continué à marcher et nos pas nous ont mené au niveau de l'usine de tissage et détissage des habits. Il vous faut savoir que chaque vaisseau possède la sienne, avec à côté, des appareils à vapeur servant au nettoyage des habits, des tapis, mais aussi des rideaux, des tapisseries.
C'était la première fois que j'entrais dans cette usine, et j'en fus émerveillé. Des dizaines d'aliens emplis de joie circulaient entre des machines très hautes, avec de multiples trames de tissu qui avançaient. Il existait aussi des humanoïdes, hommes et femmes, et l'ambiance était allègre et presque mystique.
Les « bobines », de l'usine de retraitement des poussières, et des habits élimés arrivaient, les unes à la suite des autres. Le fil, reconstitué avec de minuscules fragments, avait été intégralement purifié. Il était chatoyant et comportait des couleurs variées magnifiques.
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C'est une usine expérimentale, expliqua Erazel. Les ingénieurs ont passé beaucoup de temps à mettre au point ces machines « d'incorporation ». Les nouveaux habits comportent un tiers de fibres recyclées, et un tiers de fibres nouvelles. Le reste des fibres est constitué par ce que l'on appelle l'âme, et qui est entièrement biodégradable. Tous nos tissus sont biodégradables, bien sûr. Si nous les plaçons dans une cuve de maturation qui comporte les bonnes bactéries, cela va encore plus vite. Les ingénieurs ont voulu recréer un textile aux couleurs chatoyantes. Il doit être testé au niveau de sa solidité et de son élasticité.
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Il n'y en aura pas beaucoup, fis-je avec surprise.
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Oui, ici, mais les usines géantes de textile recueillent beaucoup de poussières, et de vieux habits et ne savent jamais quoi en faire. Cette solution est pour les aider. Nous sommes au début du projet. Il existe aussi bien sûr, des unités pour détricoter les habits usés et en faire de nouveaux. Et puis, il existe les experts en détachage et en réparations en tout genre. Nous devrions avoir de nouveaux arrivages dans les jours à venir.
Penchés sur des tables des ouvriers d'allure très variée raccommodaient nombre de manteaux, de tuniques ou d'écharpes. Il y avait également de superbes habits colorés en voilage très fin, dont certaines parties étaient élimées ou déchirées. Notre monde fournissait ce qui se faisait de mieux en matière de restauration. Les unités de filature pouvaient produire un grand nombre de variétés de tissu, avec une imitation quasi parfaite et un recollage invisible.
Pour le « recollage sur trame », je ne fus pas surpris de voir des anciens installés devant des écrans de microscopes, agir par l'esprit pour assembler des pièces de tissu neuves aux emplacements vacants.
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Très impressionnant, exposais-je à Erazel, en voyant défiler des manteaux de velours et des tuniques colorées sur des cintres.
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Vous semblez oublier que notre monde collecte nombre de choses des quatre coins de l'univers. L'existence de ces habits n'est pas terminée, ils iront à des familles ou des hors mondes qui en ont besoin. Après tout, les habitants de notre planète peuvent bénéficier de ce qu'il y a de mieux. Il est heureux de pouvoir les offrir aux autres mondes en phase d'émergence.
Nous sommes sortis de cette vaste installation, et Erazel me mena à l'intérieur d'un élévateur. Le vaisseau était si grand, que je peinais à m'y retrouver. Cela ne lui posait nul problème et comme toujours, je la suivis en toute confiance.
L'heure du soir approchait, et la faim commençait à se faire sentir me concernant.
Nous sommes descendus aux niveaux de repos du vaste navire. Un repas collectif était prévu dès le lendemain, mais pour l'heure, nous devions regagner nos quartiers. J'aperçus Zilmis et aussitôt un grand bonheur m'habita. Je lus la même joie débordante en lui, lorsqu'il me conta par le menu détail son séjour dans les cuisines. Zilmis avait aidé de jeunes pâtissiers prometteurs à faire un certains nombre de gâteaux aux fruits et il avait pu discuter avec nombre de cuisiniers, dont un lézard expert.
Nous étions ravis de nous retrouver après cette immersion dans l'immense vaisseau. Minel était là elle aussi, avec Amoni et les enfants. Elle prit ma main dans la sienne et émit un son très doux.
A mon tour, je passais en cuisine, avec Amoni, et il vit à mon visage que j'étais préoccupé.
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Seriez-vous indisposé par ce voyage ? me demanda mon ami.
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Non, en aucune manière, c'est plus... lointain. Un rêve, rien de plus, pas très agréable.
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Les rêves effectués dans l'espace nous révèlent souvent l'avenir, exposa Amoni avec intérêt.
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Dans ce rêve, les parents de Zilmis venaient le rechercher, et tentaient de l'emmener par la contrainte, exposais-je.
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Et quelle en était la fin ? s'enquit Amoni en essuyant des couverts.
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Eh bien, disons que Minel était plutôt... insatisfaite de cette intrusion, et assez énergique, répondis-je en riant. Ils ont plutôt eu intérêt à fuir.
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En ce cas, nous serons deux pour veiller sur vous, assura courtoisement Amoni.
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Je dirais trois, fit une Erazel malicieuse. Je serai là dans la seconde et ne permettrais aucunement que deux cœurs aussi aimants soient séparés !
Très ému, je remerciais mes compagnons de leur soutien indéfectible. Cette vision m'avait perturbé, et à voir leurs yeux brillants de bienveillance, tout mon mal être passa instantanément.
Un peu plus tard, Zilmis apprit le contenu de cette vision, et eut droit lui aussi à beaucoup de réconfort.
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J'aimerais tellement que mes parents puissent venir nous voir en toute affection, et que nous discutions paisiblement, comme une vraie famille, soupira-t-il.
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Le peuple des montagnes est fier et obstiné, mais cela se fera. Celui qui vient en ennemi avec la peur au ventre, peut repartir en ami, si son cœur le permet, philosopha Erazel. La plus belle des choses, c'est lorsque nous parvenons à faire d'un ennemi un ami.
Chacun de nous sourit à ces paroles si sages et le repas se poursuivit dans la plus grande allégresse.
Le soir venu, je m'apprêtais à regagner ma chambre, et Minel me souhaita bonne nuit. J'étais ce petit alien d'1m30 et elle, une noble alien de belle taille d'1m80 aux yeux si purs. Elle se pencha et me serra près d'elle en murmurant de douces paroles. Puis, elle me fixa, en murmurant en mon esprit.
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Je serai là à l'instant venu.
L'intensité de son regard et son immense fluide me firent vaciller un court instant. Il existait une force incroyable en elle, et une assurance hors du commun. J'avais trouvé là une garde du corps des plus exceptionnelles, à n'en pas douter. Je lui adressais un long regard reconnaissant, avant de regagner ma chambre.
Minel avait toujours l'air un peu évaporée et absente de nos conversations, prenant malgré tout un plaisir certain à se trouver auprès de nous. Mais je compris que ce n'était qu'une apparence. Quoique sa guérison soit incomplète, elle semblait voir bien au delà de tout, avec une prescience infinie.
Une douce chaleur m'habita, ainsi que le sentiment d'être aimé, d'être soutenu par ma famille, quoi qu'il advienne. Je plongeais dans le sommeil et m'endormis. Cette fois, mes rêves furent les plus agréables qui soient, ma conscience rejoignant aussitôt celle de Zilmis.
Nous nous trouvions en un lieu verdoyant, les enfants chahutant dans l'herbe, chacun de nous occupé à ramasser des champignons et à discourir gaiement. C'était une vision simple, mais réconfortante.
Elle m'habita longuement, et m'emporta en un état de bien être absolu.
Je vous souhaite pareillement de vivre de très précieux instants avec votre famille. Recevez toute ma gratitude pour votre grande ouverture d'esprit. Nos deux mondes s'approchent l'un de l'autre.
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