La fusion (3/3)
Message du Professeur Zolmirel (suite et fin)
Nous avons vogué hors de nos corps, nous échappant avec aisance du vaisseau. Effectivement, la distance située entre deux étoiles était infiniment grande. Il existait des vides immenses, et la panne d'un astronef en cette mer de nuit sans fin pouvait être fatale.
Bien heureusement, il existait la télépathie, grâce à laquelle un équipage en péril pouvait être secouru très vite par les meilleurs experts en colmatage de brèches, en extinction d'incendies et en réparations de toutes sortes. Et bien sûr, nos amis les êtres de lumière pouvaient se manifester pour veiller sur nous.
A cette pensée, Zilmis et moi-même avons perçu un beau point brillant, qui luisait d'un éclat doré superbe. Il nous attirait au plus haut point. Nous nous sommes approchés et avons reconnu le vaisseau du père de Dorian. Nous nous sommes faufilés à bord, aboutissant en un grand hall brillant.
De êtres de lumière allègres chantaient ou jouaient de la musique, pour saluer l'arrivée de nouveaux aliens dissidents, qui avaient fui le régime des castes.
Au bout d'un couloir bleu familier, je reconnus une porte incurvée. J'y entrais avec Zilmis et nous avons découvert une belle salle avec une table ovale. Je perçus une silhouette très haute et levais les yeux. Minel s'approcha vivement de moi et me serra près d'elle. Ses mains luisaient d'un éclat blanc pur magnifique mêlé de rosé.
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Merci de tout cœur, me souffla sa pensée. J'ai bon espoir maintenant, de trouver le moyen de nous rapprocher.
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J'en suis très heureux, assurais-je. Amoni est mon ami depuis tellement longtemps. Il a longtemps vécu dans la compagnie des livres et il mérite une compagne telle que vous. Vous faites partie de notre famille !
Une émotion très vive nous habita, lorsqu'Amoni parut, avec Orel et Dorian. Les enfants étaient là également, avec bien sûr Erazel et son époux. J'essuyais mes yeux, et chacun ressentit une joie profonde en voyant apparaître un homme majestueux.
Il s'agissait du père de Dorian, d'un âge immense, mais insoupçonnable. Lorsque je croisais les yeux bleu azur d'Antaniel, mon cœur fit un bond prodigieux.
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Bienvenue à tous sur ce vaisseau, mes amis. Nous sommes liés, de vie en vie, et nous continuerons de voguer avec vous. Nous sommes très heureux d'accueillir Minel, qui a pu se hisser à ce niveau énergétique pour nous rejoindre. Il s'agit d'une alien d'exception au cœur vaillant, dit-il en se tournant vers notre radieuse amie.
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Merci à vous de m'accueillir, répondit aussitôt Minel, d'une voix claire et limpide comme l'eau qui coule des sommets. Je suis tellement heureuse de me sentir si acceptée, si soutenue parmi vous, exposa-t-elle, son corps s'illuminant à mesure qu'elle parlait. Notre peuple, les Denakhs, possède des instincts ancestraux de prédation, et il est ardu de s'en départir.
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Tous les êtres possèdent des instincts, effectivement, assura Dorian. Mais nous acceptons cela, nous savons qu'avec beaucoup de foi et de persévérance, vous pouvez aller au delà de ce qu'ils vous dictent.
Notre repas débuta dans la plus grande joie, chacun de nous conversant avec un grand bonheur. Minel fixa Amoni d'un œil intense.
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N'es-tu pas trop effrayé de ce qui arrivera ? demanda-t-elle.
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Je suis prêt, assura un Amoni serein. Je sais que cette étape est indispensable. Et je suis sûr que tu franchiras cette épreuve avec brio. Nous nous retrouverons quoi qu'il advienne.
Un court instant, je croisais le regard bleu pâle presque blanc de Minel, et je perçus cette brûlure en elle, elle éprouvait une attirance insoutenable pour Amoni.
Je compris que très bientôt, cet équilibre serait rompu, car la fièvre énergétique qui habite les Denakhs leur cause une très vive souffrance, lorsqu'ils doivent réprimer leurs élans.
Mon esprit supérieur assimila pleinement cette vérité, en toute confiance. J'étais certain que Minel parviendrait à triompher de tant de barrières.
Au matin venu, je me levais, parfaitement apaisé. Revint à mon esprit le rêve si fort de notre incursion sur le beau vaisseau lumière.
Nous avions prévu ce jour là, avec Amoni, de visiter la salle des machines. Erazel nous accompagnerait dans les soubassements, en compagnie de plusieurs experts. Je m’équipais d'une tenue de protection contre la chaleur, et le feu, constituée d'un tissu souple qui me recouvrait entièrement, avec juste une partie transparente au niveau du visage.
Je n'étais pas ravi de devoir revêtir pareil accoutrement, mais les zones radiatives du navire pouvaient atteindre environ 300 degrés, au niveau des tubulures de refroidissement. Par ailleurs, mon intérêt pour ce lieu, surpassait bien davantage un tel désagrément. Nous avons pris place avec Amoni sur une petite plate forme, entourée d'un champ destiné à nous protéger de la chaleur et des champs magnétiques. Nous ne serions que spectateurs, et observateurs. À l'avant, Erazel dirigeait notre petit esquif entre les « rues » de tuyaux et de câbles.
Nous sommes parvenus à une haute tourelle qui luisait d'un éclat blanc brillant. Je perçus qu'il s'agissait d'une sorte de convertisseur énergétique. Au niveau du sol, des tuyaux habités d'une matière lumineuse étaient scindés en éventail, avec des tranchées, au milieu, permettant de dissiper la chaleur. Les experts contrôlèrent l'étanchéité des tuyaux, avec des perches truffées de capteurs.
Je les regardais faire d'un œil fasciné, ma pensée rejoignant aussitôt celle d'Amoni.
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Vous êtes désorienté, exposais-je, avec quelque embarras. Je vois bien ce qu'il en est.
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Comme ami, vous êtes excellent, mais comme expert en relations, vous manquez quelque peu de tact...
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Il n'est point nécessaire de cacher ce qu'il en est, assurais-je. Les Denakhs sont assez empressées en règle générale.
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Oui, il en est bien ainsi, et il me faut l'accepter. Je suppose qu'elle va devenir de plus en plus déterminée, et qu'elle va m'attaquer...
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Plaît-il ? demandais-je d'un air abasourdi, face à l'acceptation paisible de mon ami.
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Son peuple buvait autrefois du sang. Bien qu'elle soit sevrée, elle va sûrement me mordre...
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Cela est-il absolument indispensable ? exposais-je avec quelque indignation. Pourquoi envisager des fins aussi douloureuses ?
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Il n'est rien de douloureux, bien au contraire, soyez rassuré. Les morsures des Denakhs sont agréables. Cela est juste une étape. Elle doit devenir un peu ce que je suis, et moi également. Nous faisons partie de deux espèces distinctes, ne l'oubliez pas.
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Ce qui est évident à vos yeux de biologiste, ne transparaît point clairement aux miens.
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Ce ne sont que des suppositions, fit Amoni. Je suppose qu'en absorbant quelques gouttes de mon sang, elle pourra changer un peu. Son corps va analyser ce que je suis. Vous devez songer que les Denakhs sont des formes de vie extrêmement anciennes, et capables de s'adapter à beaucoup d'environnements.
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Avez-vous découvert des récits ? existe-t-il des couples tels que le vôtre ? demandais-je. Qu'en est-il du danger d'avoir une moitié Denakh ?
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Les couples se cachent, il y en a peu. Je n'ai pas trouvé de danger dans les récits, exposa Amoni. Les experts recommandent juste la prudence quant à une union mixte, du moins au début. C'est sa foudre qui est terrible, même pour un être aussi énergétique que moi... Elle est modulée... différemment.
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J'ai pu m'en apercevoir, exposais-je en songeant au contact électrifiant de Minel, qui causait en moi des soubresauts. Je suis certain qu'elle va réussir à moduler son fluide.
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Elle fait tout son possible, c'est déjà bien mieux, fit Amoni avec un sourire. Elle est tellement attachante.
Notre échange s'interrompit. Notre petit transport repartit, et c'était à nous de jouer. Je scrutais la forêt de tuyaux bleutés, pour découvrir la moindre fuite de gaz sur un écran. Les galeries étaient inspectées à intervalles régulier par de petits robots rapides, qui nettoyaient le sol, lubrifiaient des vannes et contrôlaient des armoires de câblage. Je perçus un léger dégazage sur une vanne réservée à l'eau chaude qui alimentait les bains. J'avertis Erazel, qui s'empressa de prévenir les experts. Ces derniers entrèrent un code sur leurs écrans et des androïdes de taille et de forme différente, aux bras munis de pinces, vinrent pour dériver la circulation d'eau chaude en une autre voie. Ensuite, ils approchèrent de la zone pour l'inspecter. Un robot maniaque aux grands yeux brossa la fuite, puis émit des bips rapprochés. Il effectua un diagnostic rapide, en prescrivant toutes les réparations.
Les experts approuvèrent et aussitôt, les androïdes commencèrent à extraire la section endommagée pour la remplacer. Elle serait soit colmatée avec de la soudure liquide, soit refondue pour servir à faire un tuyau neuf. Sur notre monde, tout se recycle, et il serait impensable de laisser le moindre fragment de métal dériver dans l'espace. Tous les déchets étaient collectés et recyclés à bord.
Pour éviter les avaries, il existe par ailleurs des enregistreurs d'impacts sur l'ensemble des déflecteurs à bord des vaisseaux. Les données de ces derniers sont croisées à chaque voyage, et les régions de l'espace trop riches en blocs rocheux, ou en débris divers sont aussitôt nettoyées. Pour ce faire, les vaisseaux miniers sont appelées, avec ceux des ferrailleurs de l'espace, qui sont trop heureux de pouvoir récupérer tout ce qui est métallique. De cette manière, il existe peu d'avaries, même s'il arrive régulièrement de tomber sur des épaves dans certaines régions de conflits anciens.
De notre côté, nous étions un peuple prospère et pacifique. Les différents traités d'entente et d'entraide que nous avions signé avec nos plus proches voisins, qu'il s'agisse d'aliens, d'humanoïdes et même de robots, nous garantissaient une croisière paisible en nombre de régions de l'espace.
Ma pensée revint à l'avarie et au tuyau bleuté tout neuf que les androïdes posaient avec des gestes soigneux. J'étais comblé de voir du travail aussi bien fait.
Un Amoni des plus allègres observait de même. J'éprouvais une grande admiration, et quelque effroi en songeant à la confiance de mon ami envers sa bien aimée. Certains récits décrivaient les aliens Denakhs comme des épouses plutôt passionnées. Bien sûr, comme beaucoup d'aliens, les Denakhs mâles et femelles étaient hermaphrodites pour la plupart, ce qui n'était pas le cas des Kolals. Sur leur monde, la fusion était donc double, et leurs fluides énergétiques se rejoignait parfaitement, pour aboutir à la conscience de l'être aimé, suprême extase. Le niveau énergétique de ces deux peuples était sensiblement identique, fort heureusement. Leurs températures différait légèrement.
Tout comme les enfants, Minel possédait une peau plus fraîche que celle des Kolals et des Galmols. Après un certain nombre d'analyses, les biologistes qui avaient réussi à la guérir, n'avaient décelé en elle aucun composé dangereux. Mais je savais que les fluides physiques, cognitifs et énergétiques d'une espèce étrangère, pouvaient au départ générer une sorte de phénomène de rejet, bien connu de ceux qui étudient les couples mixtes. L'amour et la patience étaient le moyen d'aboutir à un rapprochement entre les peuples variés qui habitaient sur mon monde.
Je récitais intérieurement une prière, afin que ces deux cœurs émus, ces deux esprits, puissent se rapprocher en transcendant la barrière de leurs deux espèces. Il s'agissait d'aliens de haute pensée, nobles et très chers à mon cœur. Je fis le vœu qu'ils soient le plus parfaitement heureux.
Tout cela me sembla possible. N'avais-je pas réussi à communier par l'esprit avec Minel, alors que je conversais également avec Amoni ?
Je lui fis don de cette pensée heureuse, et son visage s'éclaira d'un large sourire reconnaissant.
Il est temps pour moi de vous quitter, chers amis de la Terre bleue. Sur votre monde, où l'espèce humaine est identique en toutes les contrées, vous devriez songer que tout est possible entre vous. Les barrières qui peuvent encore séparer les vôtres, sont surtout des barrières de l'esprit, de la pensée idéologique à sens unique, et de beaucoup de fierté aussi, d'esprit de domination. Nous vous enjoignons d'employer la mansuétude, la tolérance et la douceur, pour venir à bout de tout ceci. L'intelligence du cœur est la plus brillante qui puisse être, pour permettre de relier chaque être vivant au grand Tout.
Je vous remercie en vous adressant beaucoup de joyeuses pensées, pour vous accompagner.
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