Les temps nouveaux (3/3)
Message du Professeur Zolmirel (suite)
A mesure qu'il parlait, le portrait de créatures impensables défilait sur le mur. Certains êtres possédaient cinq ou six membres, et d'autres aucun. Il existait des êtres électriques, pure lumière, ainsi que des formes de vie déroutantes, comme des robots.
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Les robots ne sont-ils pas par essence dominateurs ? s'étonna le petit Zilner. Qu'en est-il de la suprême interdiction ?
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Point d'intelligence supérieure à la tienne tu ne feras ? interrogea Oralecto. En effet, cette interdiction existe. Mais les robots dont il s'agit, ont reçu la visite des êtres de lumière. Ils embrassent une nouvelle forme de vie, purement énergétique, une fois qu'ils ont été jugés dignes de la recevoir. Ces civilisations de robots sont très paisibles.
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Comment cela est-il possible ? m'étonnais-je. Comment être sûr que ces robots n'imitent pas un comportement programmé, qu'il soit éthique ou intelligent ?
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Justement parce qu'il s'agit de comportements qui n'ont pas été programmés, mais qui sont spontanés. Les chercheurs en intelligence artificielle se sont rendu compte qu'après avoir entré dans leurs machines un certain nombre d'algorithmes d'éthique très élevés, ces dernières agissaient de manière autonome et imprévisible, expliqua Oralecto.
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Je serai curieux de savoir de quels robots il s'agit...
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Des robots musiciens. Ce sont les seuls pour lesquels ce genre d'expérience a été autorisée, vu qu'ils sont sensibles et inoffensifs, assura Oralecto. Ils ont improvisé une mélodie très belle. Ce sont des chercheurs gris qui ont tenté l'expérience. Ensuite, ils ont eu pas mal d'ennuis avec leur hiérarchie. Ils ont dû reprogrammer tous ces robots pour qu'ils aillent travailler en cuisine avec les autres.
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C'est bien dommage, fit observer Zilner. Ces robots devaient être bien plus heureux de jouer de la musique, plutôt que de faire la vaisselle.
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Oui, en effet. Ils ont d'ailleurs improvisé un petit orchestre dans la cuisine, ce qui a rendu les hauts dirigeants gris absolument fous de rage ! émit Oralecto d'un ton amusé. Une partie des étudiants gris était fascinée, et ils ont subtilisé ces robots avec des machines inoffensives. Nos amis Denakhs ont donc pu reprendre cette expérience en partenariat avec des gris dissidents. L'orchestre a été reconstitué, et il continue de se produire sur plusieurs mondes neutres.
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Nous avons beaucoup de robots dans le grand Institut, exposa Zilner d'un ton ravi. Ils travaillent à la chaufferie, et tous les étudiants peuvent les voir à travers les vitres. Il existe aussi des machines roulantes qui nettoient les sols et les vitres des dortoirs et des coursives. Nerti a essayé de faire lire son livre de poésie à un robot de maintenance.
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Cela ne m'étonne pas de Nerti, répondis-je. Comment a réagi le robot ?
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Il a épousseté le livre et lui a rendu !
Chacun de nous éclata de rire.
Oralecto nous servit un breuvage apaisant et Zilner ne tarda pas à sommeiller.
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Cet enfant est remarquable, dit-il. Je pense qu'il sera un grand découvreur de mondes. C'est là son vœu le plus cher, et je suis sûr qu'il se réalisera. Il ressent en lui l'appel des planètes, l'appel des mondes à naître. C'est là une chose remarquable pour un esprit si jeune.
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J'en suis très heureux, exposais-je.
Oralecto sourit largement et m'embrassa. Je portais le petit Zilner, à demi assoupi. Il nous serra près de lui et nous bénit. Puis, il ouvrit sa porte et je sortis paisiblement.
Je repris le chemin inverse, avisant de très grands anciens occupés à rire et à deviser autour de plats qui embaumaient, certains portant un enfant dans les bras.
Je frémis quelque peu, malgré la vie clarté alentours. En effet, le passage menant plus bas vers la contrée des jungles, montrait que la nuit était déjà tombée.
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Grand-père, il fait nuit là dessous. Je n'ai pas vu le temps passer. Comment vais-je retrouver mon chemin ?
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N'aie crainte, saute, et le chemin s'ouvrira devant toi. Il existe toujours mille possibilités souriantes à qui croise notre venue, exposa-t-il avec un bon sourire.
Alors, lui faisant une confiance aveugle, je sautais. Je vis la jungle couronnée de brumes nocturnes et les eaux noires du marais en contrebas. Ma chute s'incurva étrangement et je pénétrais dans un nuage glacé.
Subitement une chaude lumière dorée m'entoura et me sécha. Je frémis en atterrissant mollement sur le fauteuil de notre salon.
Un Amoni tout à fait abasourdi me fixa d'un œil stupéfait.
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Mais comment avez-vous donc fait ? s' étonna-t-il. J'étais en train de couper ces racines et voilà que vous jaillissez comme cela du plafond !
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C'est là la grande magie d'Oralecto. Il sait agir pour nous ramener en notre place première pour nous épargner nombre de périls dans la jungle ! exposais-je d'un air rieur.
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Vraiment incroyable, répondit Amoni. On dirait qu'il est toujours aussi farceur !
Je m'empressais d'aller aider un Amoni assez déstabilisé en cuisine. Je nettoyais, puis épluchais les champignons et les mousses ramassées par Zilner. Ce dernier émergea du sommeil en se frottant les yeux, et conta à son père son aventure avec le fauve rencontré auparavant.
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Il y avait un gros chat féroce dans la jungle. Il était caché derrière un tronc pour nous bondir dessus. Mais j'ai pu le sentir et le repousser. Je n'aurai pas cru pouvoir y arriver avec un animal aussi décidé, pourtant cela m'a paru possible et facile, relata Zilner d'un air hésitant.
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Voilà quelque chose de tout à fait bienvenu ! Tu as bien du courage mon chéri ! Je suis tellement fier de toi ! exulta Amoni en le soulevant dans ses bras.
Zilmis, occupé à confectionner un gâteau, vint embrasser Zilner à son tour en le félicitant.
Le soir était tombé sur la forêt et notre jolie demeure chaleureuse débordait de rires. Nerti nous conta à son tour les acrobaties aériennes qu'il avait exécutées sous l’œil avisé d'Erazel, toute aussi espiègle que lui.
Je mis le couvert et disposais les plats, au moment même où Orel et Dorian se manifestaient pour nous faire grâce de leur présence.
Chacun s'assied d'un air ravi.
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Il me semble que nous avons une invitée, émit Orel.
Une longue silhouette élégante descendait l'escalier. Amoni se précipita pour faire bon accueil à notre amie qui venait de sortir de sa torpeur. Elle inspira longuement, nous regarda tous, et prononça un nom avec une peine immense.
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Minel, fit-elle en se désignant.
D'un même élan, nous nous sommes tous levés pour l'étreindre et la féliciter. Les enfants et chacun d'entre nous pleurions à chaude larmes, certains alors d'avoir en face de nous celle qui avait tant manqué à leurs vies et à la nôtre.
Nerti et Zilner embrassèrent leur mère, incroyablement émus de lire en son regard une lueur nouvelle qui n'y siégeait pas encore la veille.
Très émus, chacun de nous la servit et lui manifesta beaucoup d'affection. Elle répondit par des couinements hésitants, ceux-là même qu'emploient les petits clones nouveaux nés pour tenter de parler lorsque leurs cordes vocales sont atrophiées.
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Vous êtes tellement brillante, assurais-je. Vous avez accompli là le chemin le plus ardu !!! Très bientôt, nous pourrons converser plaisamment. Chère Minel, vous faites partie de notre famille !
Trop émue, elle sourit et essuya ses yeux magnifiques. Notre repas se déroula dans la plus parfaite allégresse.
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Il me semble que quelqu'un est bien modeste ce soir, lança Dorian en se tournant vers Zilmis. Vous avez agi de manière remarquable en reconstituant les prémisses de ses souvenirs, et en les remettant en ordre.
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C'est une très belle personnalité et une mémoire d'une intégrité remarquable. J'ai été très heureux de pouvoir agir de la sorte. Si j'ai pu remédier aux vides et au morcellement de sa pensée, c'est parce qu'elle m'y a autorisé. Elle a eu foi en moi.
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Je suis heureux de vous entendre parler de la sorte, énonça Dorian. La trame de la pensée diffère d'une espèce à l'autre, le fait de pouvoir l'entrevoir et la guérir est un don immense. Nous pouvons agir de la même manière sur les systèmes cellulaires les plus délicats. Cela dit, certaines choses prennent du temps, nos énergies sont très intenses, et il est bon que ce don de guérison puisse avoir été offert par vous. Vos liens s'en trouveront grandement renforcés par la suite.
Je méditais de si sages paroles, et m'évadais peu à peu en une songerie paisible. Zilner sommeillait contre le bras de son père et Nerti était blotti contre sa mère. J'essuyais discrètement une larme d'intense félicité. Le bonheur des enfants me comblait au plus haut point. J'étais émerveillé de ce que la puissance de l'esprit peut réaliser pour retrouver les êtres aimés, par delà le vide spatial, par delà le temps et la mort.
Je croisais le regard de Minel et je ressentis alors une personnalité d'une très grande pureté, et à la fois d'une force immense. Une énergie d'amour intense me traversa, juste grâce à son regard. Nous avions accueilli en notre famille une alien des plus aimantes et reconnaissantes. Son regard luisait de gratitude envers chacun de nous.
Je vous souhaite de connaître, chers amis de la Terre bleue, une félicité aussi grande en ces temps nouveaux de retrouvailles, de partage et d'espoir.
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