Les temps nouveaux (2/3)

Publié le par Aurélia LEDOUX

Les temps nouveaux (2/3)

Message du Professeur Zolmirel (suite)

 

 

 

Nerti devait rendre visite à Erazel, pour une séance de pilotage. Il était si impatient qu'il ne tenait plus en place. Lorsque Erazel apparut à bord d'un petit esquif à répulsion, il bondit à sa rencontre, follement heureux.

 

Quant au petit Zilner, plus introverti, je l'emmenais avec moi dans le marais. Il était encore très jeune, et c'était une joie de lui faire découvrir la vie de notre contrée. Tout comme son père, Zilner lisait beaucoup, et s'intéressait à la formation et à la découverte de nouvelles planètes. C'était un enfant très agréable, empli d'une grande vivacité d'esprit.

 

  • Où allons-nous donc ? me demanda-t-il, très intrigué.

  • Á un endroit qui te plaira beaucoup, je pense, répondis-je.

 

Devant nous, s'ouvrait le marais. C'était le pays inexploré. Je n'avais jamais mis les pieds en ce lieu, et mon flair de botaniste m'invitait à suivre cette direction tout particulièrement. Bien sûr, chacun de nous portait un panier, chose indispensable pour une telle promenade. Nous avons suivi un sentier tracé par les animaux de la forêt. Nous sommes parvenus en un point d'eau, et là, j'aidais Zilner à franchir une rivière au moyen de l'antigravité.

 

  • Mon don n'est pas encore pleinement optimal, exposa-t-il, alors qu'il avait seulement réussi à prolonger son saut en rebondissant quelque peu sur l'eau d'une vingtaine de centimètres.

  • Il en est déjà très bien ainsi, assurais-je. Le poids du corps est une barrière de l'esprit. Il n'existe pas de limite.

  • Est-ce pour cela que l'esprit d'un ancien suffirait à déplacer un petit monde ? s'enquit Zilner.

  • Oui, tout à fait. Les anciens dévient ou ralentissent fréquemment des astéroïdes. Cela nous permet d'étudier de nombreuses météorites, avant qu'elles ne soient dissoutes par l'atmosphère. Ils sont en mesure de pleinement nous protéger, et le font avec bonheur, exposais-je.

 

Nous nous sommes alors enfoncés en une partie plus obscure de la forêt, là où vivaient les arbres les plus vieux. Zilner ne cessait de lever les yeux, émerveillé par la vue des troncs blancs des géants. Nous sommes parvenus, à un bouquet de pins millénaires, d'une hauteur très impressionnante. Au pied, poussaient de hautes herbes très touffues.

 

Je perçus immédiatement un danger derrière nous, sur notre gauche. Mais avant que je n'aie pu réagir en projetant mon fluide je m'interrompis, Zilner s'était retourné et avait déjà tendu sa main.

 

Un très gros chat sauvage, ayant visiblement l'intention de bondir pour nous attaquer avait mordu la poussière et miaulait d'effroi, paralysé peu à peu par le fluide de Zilner.

 

  • Doucement, fis-je, en avisant le regard fixe de Zilner. Il faut qu'il puisse respirer.

Zilner desserra un peu son emprise.

 

  • Nous cherchons le lieu des grottes, demandais-je au chat à demi inanimé.

  • Pars d'ici, petit être ! Tu n'es pas le bienvenu ! répliqua le fauve courroucé par l'esprit.

  • Il n'est point sage d'être aussi hostile. Il est habituel pour nous de nous promener en forêt, et nous sommes très incomestibles, précisais-je.

  • Pas l'enfant, exposa le fauve.

  • Voilà qui est très vil, répondis-je. Si tu ne veux point parler, nous trouverons sans toi.

 

Zilner recula sa main, et nous nous sommes empressés de nous éloigner, le chat sauvage à demi paralysé feula de colère, incapable de nous pourchasser.

 

  • Il est heureux que je n'aie pas eu à intervenir. Voici un balayage remarquable ! m'amusais-je.

  • Je n'ai jamais fait cela avant, répondit Zilner quelque peu effrayé. Je pense que c'est un réflexe.

  • Très bon réflexe ! Tu l'annonceras à ton père ce soir, lançais-je fièrement. Il est bien agréable pour un parent de songer que son enfant puisse agir avec une telle virtuosité.

 

Zilner sourit d'un air plus heureux. Il venait de réaliser toute l'étendue du danger et ses genoux se mirent à trembler quelque peu.

 

Nous nous sommes éloignés des fourrés et avons gagné un promontoire plus rocheux. Là, nous nous sommes installés pour prendre une collation, Zilner assis confortablement sur une grande pierre chauffée par le soleil. Je récoltais quelques champignons bien épanouis, puis, nous avons poursuivi notre chemin.

 

 

 

 

Le promontoire redescendait et aboutissait à un pierrier de lave ancienne. Nous nous sommes alors trouvés face à une vaste falaise de pierre dont on ne voyait pas le sommet, avec de hauts arbres au feuillage blanc et vert pâle. Je frôlais la paroi de la falaise en des points précis.

 

Très décontenancé, Zilner me regardait faire d'un air surpris. Il ne souffla mot, car il me faisait confiance. Je lui souris et saisis sa main.

 

  • Accroche-toi, dis-je d'un air malicieux.

 

Zilner poussa un grand cri de joie et éclata de rire. Une force merveilleuse nous propulsait vers le haut, très loin jusqu'aux nuages qui flottaient au dessus de la falaise. Nous les avons traversés et nous sommes ressortis en frissonnant.

 

Notre ascension ralentit et se stabilisa. Je fis agir mon fluide juste au cas où. Mais le dispositif était si bien conçu, qu'un fluide nous propulsa sur une vaste passerelle de pierre, où nous avons atterri en douceur.

 

Un décor stupéfiant nous entourait. Une haute citadelle de pierre aux formes arrondies s'étendait tout autour de nous. Les fenêtres et les portes étaient rondes, avec des ovales parfaits. Un jardin en pleine santé garni de rocaille, de plans d'eau et de fleurs splendides nous faisait face.

 

Empli d'émerveillement Zilner suivait le ballet des oiseaux et des lézards volants dans les arbres. Certains étaient comme formés d'énergie pure, de même que les animaux et les habitants.

 

Je marchais sans hésiter vers une grotte familière.

 

  • Nous sommes au palais des anciens, exposais-je à Zilner. C'est ici que siègent leurs demeures et qu'ils peuvent gouverner les navires à distance, nous protéger des intempéries, protéger les lacs et les volcans des marées stellaires trop fortes. Ce lieu leur permet de connaître nos infortunes et de veiller sur nous à distance. Chaque famille possède un ou plusieurs anciens qui veillent ses pas.

 

Je m'approchais d'une porte rubis, mais à peine eus-je l'intention de frapper, qu'elle s'ouvrit. Un Oralecto fou de joie s'avança à notre rencontre, vêtu d'un habit carmin.

 

  • Alors mes enfants ? Quelle heureuse surprise ! lança-t-il. Vous seriez-vous égarés dans le rêve ? s'amusa-t-il.

  • Nous sommes plus qu'heureux de te voir, fis-je en embrassant mon vénérable ancêtre.

 

Oralecto embrassa Zilner et prit sa main dans la sienne.

 

  • Zilner, mon cher enfant. Avec toi, les fauves ont trouvé à qui parler, dirait-on !

 

Nous sommes entrés dans la jolie demeure, toute inondée de lumière dorée. C'était un endroit des plus incroyable, car toutes sortes de choses allaient et venaient d'elles-mêmes. Une table se déplaça et des sièges s'avancèrent pour nous accueillir. Oralecto agita les mains et plusieurs plats qui embaumaient se posèrent sur la table.

 

  • Vous avez fait une longue route, dit-il. Régalez-vous donc !

 

Tout à fait fasciné par cet endroit, Zilner observait un vase délicat qui se formait lentement sur un tour à potier. Une table abritait nombre d'appareils complexes, ainsi que des écrans et des senseurs révélant l'avancée de plusieurs missions stellaires en cours.

 

  • C'est une console de télépathie, exposa Oralecto. Elle me permet de communiquer avec les autres anciens des mondes amis, pour la protection des équipages. Il existe aussi un lien invisible entre la console et mon esprit, je peux être averti de tout besoin à temps.

 

Il avait parlé avec jovialité, nullement rebuté par la curiosité de Zilner. Oralecto nous servit une sorte de nectar fruité, qui se révéla délicieux. Il en prit une coupe pour lui même et nous sourit largement.

 

Près de la fenêtre, une installation extraordinaire formée de conduits de verre et de récipients délicats aboutissait à plusieurs variétés de fleurs en pleine santé.

 

  • C'est un dispositif à nectar, expliqua-t-il. L'eau de pluie passe par ces conduits et arrose les fleurs. Le nectar est très prisé ici, de même que la compagnie des plantes. Je sens qu'il existe quelque tourment en votre demeure.

  • Nous avons recueilli une alien des plus remarquables, mais son esprit est pour ainsi dire absent, bien qu'elle ait reçu une greffe céphalique. Zilmis a réussi à réorchestrer la trame de son esprit, il tente de la guérir.

  • C'est une très noble tâche que de soigner les imparfaits, exposa Oralecto. L'esprit de cette dame me semble des plus intègres et prompt à vous apporter toute sa joie de vivre.

  • Pourriez-vous la guérir ? demanda Zilner. Mon père souffre terriblement.

  • Oui, peut-être, répondit-il. Mais je sens que les choses en sont très bien ainsi. Ton père a noué une relation exceptionnellement forte avec cette alien. Leurs deux esprits sont à même de communier pleinement, d'une manière certes différente que par le secours des mots, mais leur complicité n'en est pas moins grande. Il serait bien dommage de mettre fin prématurément à cette magie.

  • Je ne comprends pas, fit le petit alien.

  • Cela viendra, fit le sage d'un ton rieur. Tu es toi aussi un Denakh, un petit alien des plus remarquables. Les tiens ont voulu que tu sois asservi à des tâches ingrates, comme tous les petits clones, et tu as découvert en toi-même le courage de transcender cette fin. Pour un esprit vacillant, cela prend du temps de s'affranchir de toutes ses peurs, de s'investir dans le réel. Souviens-toi que tu ne parlais pas, lorsqu'Amoni vous a trouvés, ton frère et toi.

 

 

Notre repas se poursuivit de la manière la plus agréable et Oralecto nous invita à prendre place face à une paroi de pierre brute, sur un fauteuil. Je ne voyais pas ce que cette pierre pouvait avoir de si particulier, mais je m'installais.

 

  • La pierre sait, elle se souvient, dit-il. Autrefois, les Denakhs avaient un désir minier plus fort que le reste. Ils ont investi nombre de lunes abandonnées pour les forer, ce qui est une transgression. Il est défendu de perturber les astres constitués, seuls les astéroïdes peuvent recevoir des installations d'extraction. A présent, nous avons noué une intense relation de l'esprit avec les grands penseurs Denakhs qui sont nos amis. Ils savent que leur monde est voué à la nuit s'ils persistent en cette voie obscure. Car ils doivent payer des tourments qu'ils ont infligé à la pierre, alors, leur cœur est devenu pierre, lui également.

 

Sur la paroi, un astéroïde de belle taille apparut, avec des centaines de petits vaisseaux miniers, tout autour. Un autre vaisseau, plus petit et bien différent des autres prit son envol. L'image changea. On voyait cette fois une grande alien aux yeux clairs et au visage doux, occupée à border un petit clone.

 

Zilner fondit en larmes, car il venait de se voir tout jeune enfant. La grande alien apparut de nouveau. Elle parlait avec vigueur à un officier.

 

  • Il n'est point sage de forer des mondes de la sorte. Nous savons bien qu'il existe des génies en leurs profondeurs et ils n'aiment pas être dérangés. Les planètes sont des mondes conscients et vivants, les lunes également. Nous ne devrions pas agir si inconsidérément. Nous disposons à présent de suffisamment d'exploitations métallifères, exposait-elle.

  • Tais-toi ! ripostait férocement l'officier. Sache rester à ta place, servante inférieure ! Ce vaisseau a été conçu pour extraire du gaz, et nous ramènerons notre cargaison au plus vite au palais ! Déroutez-vous et obéissez ! Nous prendrons le couloir le plus rapide.

  • Ô noble maître, nous ne souhaitons point discuter vos ordres, déclarait un alien plus diplomate, mais il est des astéroïdes non répertoriés sur cette route. En croisant à une telle allure, nous pourrions les percuter et...

  • Silence, laquais inférieur ! A vos postes et obéissez ! ordonnait le belliqueux commandant.

 

Alors, le vaisseau accélérait en vitesse de pointe. L'image recula, on vit une terrible explosion. Zilner réprima un sanglot et je le serrais très fort près de moi.

 

Un astéroïde apparut de nouveau, puis l'image accéléra. On voyait des plaines de glace s'épanouir. Peu à peu la glace fondait, des volcans se formaient puis, des nuages, et enfin des rivages. De hautes montagnes apparurent, de plus en plus éclairées, avec de la végétation qui croissait progressivement à sa surface.

 

L'image s'éteignit, et la paroi redevint lisse et brute.

 

  • Voici un astéroïde qui aspire un jour à devenir planète, exposa Oralecto. Lorsqu'il en est ainsi et qu'une conscience élevée se manifeste dans un petit corps non pleinement constitué, les Créateurs de mondes interviennent. Ils le remorquent, avec d'autres, et engendrent un nouveau monde, avec l'aide des Grands êtres. D'ordinaire, ce sont eux qui veillent à réguler la subtile horlogerie des sphères et leur course dans le grand vide glacé. Les Créateurs de mondes sont ceux qui parachèvent votre œuvre de semeurs de mondes. Ils y répandent la vie animale et la vie pensante, qu'il s'agisse d'humanoïdes, de lézards ou d'aliens. Il existe aussi beaucoup de formes de vie pensante dans l'univers. Il existe des êtres qui ressemblent à des écureuils, des chats, des insectes ou des oiseaux, et d'autres qui sont purement énergétiques, ou purement minérales.

 

A mesure qu'il parlait, le portrait de créatures impensables défilait sur le mur. Certains êtres possédaient cinq ou six membres, et d'autres aucun. Il existait des êtres électriques, pure lumière, ainsi que des formes de vie déroutantes, comme des robots.

 

 

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