Les temps nouveaux (1/3)

Publié le par Aurélia LEDOUX

Les temps nouveaux (1/3)

Message du Professeur Zolmirel

 

Nous étions revenus à notre jolie demeure et les jours s'écoulaient paisiblement.

Le sage Amoni prenait soin de notre chère Minel avec une dévotion absolue. Avec Zilmis, nous guettions chaque minuscule changement dans sa façon de s'habiller, d'observer nos activités. Elle émettait des sons de plus en plus cohérents, et nous avions bon espoir de la voir parler peu à peu.

 

Elle semblait tout comprendre de nous, en tout cas, elle ressentait avec acuité nos émotions, et celles des enfants, en particulier. J'éprouvais quelque inquiétude la concernant, mais elle semblait dénuée de toute agressivité, ainsi qu'Amoni l'avait si bien exposé.

 

Extrêmement curieux, Nerti et Zilner ne cessaient de la questionner.

 

  • Où étais-tu avant ? Avant de te retrouver ici ? demanda Zilner en toute innocence.

 

Notre douce amie se couvrit les yeux et se mit à pousser des couinements d'effroi. Je tentais de transcrire les pensées qui émanaient de son esprit inquiet.

 

  • Elle était sans doute en un lieu de rédemption, exposais-je avec calme en prenant sa main pour la rassurer. Parfois, lorsque l'âme quitte son corps trop brutalement, et trop douloureusement, elle ne peut se résoudre à se séparer de ceux qu'elle aimait. Elle peut alors errer entre les différents feuillets qui séparent les mondes pendant un temps assez long.

 

Minel me fixa d'un regard intense, puis se leva pour aller au jardin. Les enfants voulurent la suivre, mais je les priais de ne rien en faire.

 

 

- Elle a besoin de rester seule un moment, expliquais-je.

 

  • Est-elle notre mère, oui ou non ? s'enquit Nerti d'un ton farouche.

  • Il semble que oui, assurais-je.

  • Alors pourquoi ne dit-elle rien ? Ce n'est quand même pas compliqué !

  • Le verbiage est imparfaitement inscrit en sa mémoire, et par ailleurs, cela est très douloureux pour elle de se souvenir. Songez bien que quand vous étiez ici, elle a dû passer un temps infiniment long dans la glace. Elle a choisi le corps d'une absente pour pouvoir vous retrouver de nouveau. Cela est une terrible épreuve.

Nerti plissa le front et sembla regretter sa vigueur.

 

  • Je me demande pourquoi elle a agi ainsi...

  • Elle voulait vous revoir. Il est peu de mondes en ce quadrant où les imparfaits sont soignés. N'oubliez pas qu'elle a subi des soins céphaliques, exposais-je en fixant le bandage qui recouvrait son cou. Essayez de faire de votre mieux avec elle et d'être patients. L'apprentissage de la langue est très long et très ardu pour un esprit adulte. Même si elle n'est pas exactement telle que dans votre souvenir, c'est une âme très grande et très pure. Elle fait partie de notre famille à présent, nous devons l'aider.

 

Les enfants ne firent plus la moindre objection. Il commençait à pleuvoir à l'extérieur et ils se précipitèrent pour ramener Minel en notre salon. Un torrent de larmes inondait son regard si pur.

 

  • Je suis vraiment navré, exposa Nerti. Je ne voulais pas te faire de peine. Nous aimerions tellement pouvoir en savoir plus à ton sujet.

 

A cet instant, Amoni s'avança, et je fis signe aux enfants de nous laisser seuls.

 

  • Que s'est-il donc passé ? questionna-t-il avec consternation.

  • Les enfants sont curieux, et la réminiscence la fait beaucoup souffrir, exposais-je avec un embarras certain.

  • Il ne faut pas que tu sois inquiète, assura Amoni. Je suis là, et nous sommes tous avec toi, lança-t-il en prenant ses mains dans les siennes.

 

La malheureuse se mit à sangloter de plus belle et Amoni la consola de son mieux. Je m'avançais et lui servit un breuvage apaisant.

 

  • Il va falloir la mener à un soigneur de l'esprit si ses crises de larmes sont trop fortes, émit Amoni par la pensée.

  • Oui, répondis-je. C'est une manifestation de l'âme qui montre sa guérison, mais aussi une épreuve pour elle. Cela dit, nous n'aurons pas à chercher trop longuement je crois, fis-je en me tournant vers Zilmis. Nous avons là les meilleurs spécialistes.

 

Très intimidé, Zilmis baissa les yeux.

 

  • Vous me donnez là bien des talents. Je ne sais pas soigner les esprits, assura-t-il.

  • Bien sûr que si, exposais-je. Tu peux en entrevoir toute la complexité. Je l'ai vu en toi. Il n'y a que les prescients qui peuvent agir ainsi.

 

Zilmis voulut formuler qu'il n'était pas un prescient, mais Amoni parut convaincu.

 

  • Très bien, dit-il. Agissez au mieux. J'ai confiance en vous.

 

Amoni se leva et fit signe à Zilmis de prendre place auprès de la grande alien effondrée. Nous sommes sortis de la pièce, restant à bonne distance, au cas où.

 

 

  • Que font-ils donc ? demanda un Nerti très penaud en descendant de l'étage.

  • Zilmis va agir sur son esprit, exposa Amoni.

  • C'est de ma faute, fit le petit alien très attristé.

  • Non, bien sûr, répondit Amoni en le serrant près de lui. Il est normal que tu veuilles savoir. Mais il faut laisser le temps à un esprit qui a pris nouvellement racine en un corps de se développer et de s'épanouir pour pouvoir se révéler.

 

Amoni s'éloigna afin de parler aux enfants et je restais à surveiller la guérison opérée par Zilmis.

 

Pour commencer, il ne se passa rien. La pensée de Zilmis reliée à la mienne me montrait notre salon aux boiseries claires et dorées, agrémentées de broderies blanches et de lampes à plasma florales.

 

Zilmis fixait la grande alien de ses yeux bleu azur, et ses larmes cessèrent. Elles s'étendit en toute confiance près de lui, et il palpa son visage de ses mains. Ils fermèrent les yeux, et s'apaisèrent pleinement.

 

Une énergie puissante jaillissait des mains de Zilmis. Son esprit s'était pleinement déployé, et flottait, autour de l'alien affaiblie.

 

Un ensemble de sillons lumineux flottait autour de sa tête, et se prolongeait très haut dans le ciel. Zilmis voyait par endroits des sortes de creux et des vides. L'esprit de la malheureuse était morcelé, déstructuré. Sa mémoire vacillait et se contorsionnait en des eaux peu plaisantes.

 

Alors, Zilmis étendit son énergie prodigieuse en direction des vides et réajusta chaque trame, la lissant et la déployant, comme on peut défroisser les feuilles premières d'une jeune plante fripée. Il agissait avec une virtuosité merveilleuse, pour défaire chaque nœud de cet esprit si prodigieux. A chacune de ces occasions, une note profonde ou légère retentissait, comme une musique oubliée.

 

Je vis un ensemble d'images nombreuses, très nombreuses, emprisonnées dans cette trame multicolore. Il s'agissait de tous les souvenirs précieux de notre amie. L'un d'entre eux, le plus fort, montrait deux très jeunes aliens fous de joie. Un navire géant était stationné en bordure d'un astéroïde. De grands valets Denakhs habillés avec faste embarquaient tous leurs instruments. C'était un départ très allègre, afin d'aller prospecter de la vie première, celle dont tous les biologistes rêvent durant toute une vie.

 

Zilmis continuait d'agir sur l'esprit de la grande alien, pleinement confiante face à ses soins. Pour ce faire, il projetait en sa pensée une image des plus splendide. Il s'agissait d'une prairie toute en fleurs, avec un grand nombre d'insectes butineurs.

 

J'étais émerveillé par son habileté. Je songeais bien que Zilmis possédait ces talents cachés, mais là, il agissait bien au delà de toutes mes espérances !

 

Une forme ondoyante jaillit de la belle alien endormie. Son esprit de lumière, éclatant de blancheur parla.

 

  • Merci, dit-elle d'une voix cristalline.

 

La pensée de Zilmis se replia et il ouvrit les yeux. J'entrais dans la pièce avec quelque appréhension. La belle alien sommeillait sur ses genoux. Il s'écarta en rosissant, la couvrit d'un plaid et vint me rejoindre.

 

  • Voici là un puzzle que tu as réassemblé de main de maître, exposais-je avec une immense joie.

  • Je ne me connaissais pas un tel talent, exposa-t-il humblement. Son esprit sera plus stable, dit-il en se tournant vers Amoni, et plus apte à affronter la vérité, à transcender ses peines anciennes. Les maîtres en soins céphaliques ont réharmonisé la trame nerveuse, et les circuits neuronaux, je n'ai fait qu'agir sur la partie invisible de sa conscience.

  • Ce qui est très impressionnant, exposa Amoni. Merci de tout cœur.

 

L'après-midi venue, Amoni resta à veiller sa bien aimée. Elle dormit un temps très long, chose normale après un tel soin.

 

 

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