Le jour le plus attendu (3/6)
Message du Professeur Zolmirel (suite)
Mes tempes bourdonnaient et le soleil déclinait sur l'horizon.
J'empruntais un petit transport pour me rendre en ce lieu précis où je sentais que j'étais attendu.
Il savait vraiment se manifester très à propos...
Je survolais l'immense roselière de notre contrée, avec vers l'Est de vastes marais peuplés d'oiseaux et de reptiles volants. Tout ce petit monde aimait à se percher au sommet des arbres et des palais pour y pépier à son aise.
Les oiseaux mangeaient les fruits des arbres, et les lézards, dévoraient la mousse qui se déposait sur les palais avec une voracité impressionnante. Il en résultait que ces animaux nous appréciaient. De vastes bâches garnies de feuilles avaient été déployées sous leurs nids, afin de récolter une matière précieuse entre toutes : le guano.
Les bâches étaient changées tous les deux jours, et l'engrais était amené vers des bassins de maturation servant à en récolter les gaz, notamment le méthane.
Sur mon monde, rien ne se perdait.
En cette heure tardive, des aliens s'affairaient sur de petites embarcations, près des cultures de lentilles d'eau, et d'algues. Les mousses et les différentes variétés potagères étaient cultivées en serre.
J'étais ravi de contempler le soleil doré qui plongeait au dessus de la jungle humide. Une brume légère s'en échappa, et je sentis plus que je ne vis où me diriger.
Je fis pivoter le vaisseau juste à temps, afin qu'il s'engouffre sous le couvert des arbres. Je survolais un marécage agréablement ombragé, où des échassiers cherchaient des algues parmi la vase. Une herbe très vive, presque émeraude, entourait chaque étang, comme un manteau constellé d'étoiles de pluie. Juste sous mon petit vaisseau, un concert de grenouilles commença à s'élever.
J'étais chez moi en ce lieu. Je posais mon vaisseau en la clairière et contemplais la jolie demeure.
Elle avait bien meilleure allure. Les lézardes des murs avaient été rebouchées parfaitement et le crépi était neuf. Des fenêtres agréables entourées de fleurs décoraient la façade. Le toit était à présent bien propre et toutes les poutres avaient été vernies. Un expert avait certainement agi sur les tuiles pour les restaurer et les polir. La terrasse comportait un petit salon douillet, abrité du vent et des intempéries par des vitrages.
Je m'avançais timidement dans ce qui ressemblait à une véranda. J'écarquillais les yeux face à la quantité de plantes épanouies qui se tenaient là.
Mon père Ektamirel apparut et me fit un clin d’œil avec un bon rire.
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Amusant de constater quelle est ta tête ! lança-t-il d'un ton espiègle.
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Quelle... métamorphose ! Tout est si beau à présent ! assurais-je en songeant à la pauvre masure autrefois décrépite et branlante qu'il habitait.
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Il me plaît de t'accueillir en un tel lieu. Rien n'est trop beau pour avoir la joie de recevoir son fils ! assura-t-il avec émotion.
Mon père me souleva contre lui et m'étreignit en m'embrassant. Je versais quelques larmes, fou de joie de visiter sa demeure si accueillante. Il me mena dans la première bibliothèque, une pièce garnie de boiseries rousses et d'éclairages dorés, suivie d'un salon. Nous sommes montés à l'étage, par un escalier blanc décoré de vases posés dans des niches. Puis, vint la chambre claire et bleutée qu'il avait conçue pour les enfants, avec un télescope. Une autre chambre était prévue pour Amoni, de teinte beige et emplie d'ouvrages. Celle de Zilmis et moi-même était orangée et richement éclairée de lampes à plasma assez hautes.
La chambre de mon père, elle, était d'un vert d'eau des plus splendides. Nous sommes redescendus, et mon père me mena en un bureau empli de microscopes et d'appareils étranges, servant à observer la vie de l'eau.
Enfin, la cave de la maison abritait une citerne et un recycleur dernier cri pour les besoins en eau, ainsi qu'une chaufferie reliée à un petit four à plasma. Une serre se prolongeait par une pente douce vers l'extérieur et le jardin était visible au delà d'un petit escalier. Mon père avait installé des vitrages modulables, afin de réguler la température des plantations.
Nous sommes revenus au rez de chaussée et nous avons pris place dans la cuisine.
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Quel bel endroit ! m'extasiais-je. Est-elle venue voir ce prodige ? lui demandais-je.
Ma mère Nelly avait bon cœur, mais un caractère vif. Persistait en elle le souvenir douloureux de la longue absence de mon père et son chagrin immense, tout cela avait creusé un fossé en leur relation.
Je consacrais de patients efforts afin de retisser leurs liens, allant de l'un à l'autre pour tenter de les rapprocher. Hélas, la rancœur de ma mère était tenace. J'avais néanmoins progressé, ils acceptaient de se parler, et passaient un peu de temps ensemble. Il s'agissait surtout de politesses et de conversations devant une infusion, cela dit, l'espoir grandissait en moi.
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Elle a dit que tout ceci était très beau, mais qu'elle n'était aucunement prête à vivre dans la forêt au milieu de nulle part ! exposa mon père en riant. Elle a ajouté que le jardin était digne du Palais de l'abandon ! fit-il en fixant la broussaille galopante des taillis.
Je clignais des yeux et souris. Le Palais de l'abandon était situé en plein désert et son jardin était empli de plantes épineuses. Malgré son rire, je n'étais pas dupe sur la peine qui se lisait dans sa voix.
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Intéressant, répondis-je. Cela veut dire qu'elle a envisagé de venir faire un long séjour en ce lieu. Elle sait bien que sur ce monde aucun logis ne possède une place définitive. Lui as-tu proposé de demander à déplacer la maison ?
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Oui. Et elle a répondu que même si elle revenait, je ne ferai que me terrer à nouveau dans l'étude, en l'oubliant, elle, soupira-t-il.
Je souriais d'un air heureux. Le fait que ma mère ait envisagé de recommencer leur relation, même en pensée, était bon signe, et ce malgré ses sarcasmes.
Il est vrai que mon père était souvent affairé avec ses recherches sur les plantes, alors que ma mère se plaisait beaucoup à recevoir des amies et à sortir avec mes sœurs. Elles aimaient à visiter de nouveaux logis, où des aliens leur demandaient de l'aide pour redécorer et rénover leur intérieur. Ma mère était spécialisée en fabrication de meubles très variés, mais aussi de rideaux, de lampes et de tout ce qui orne une maison.
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Elle a quand même dit qu'elle était impressionnée par le décor, et que c'était un très beau résultat, souligna-t-il.
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Il est dommage qu'elle pense ainsi. Lorsque une famille alien demande la venue de ma mère, si elle se charge de la maison, tu devrais t'occuper du jardin et des plantations. Voilà qui vous permettrait de faire des activités plaisantes ensemble.
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Mais je ne suis guère habile au décor d'un jardin, plaida mon père.
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Tu peux apprendre. Ce que tu as fait dans l'entrée est de très bon augure. Il reste à la convaincre, exposais-je en fixant le jardin en friche à l'extérieur, dont les plantes épineuses et rêches n'avaient guère l'air comestibles. Il faudra redéfinir la limite végétale et demander à un ancien de déplacer ces plantes.
Mon père blêmit, rosit, puis verdit subitement, signe d'un intense émoi. Il sembla comprendre que mon idée avait du bon.
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Tu es décidément empli de ressources ! me lança-t-il avec un grand rire. C'est entendu, je vais tâcher d'apprendre.
Nous sommes passés à l'action. Je me levais et fit agir mon fluide pour extirper du sol avec douceur, un grand nombre de buissons piquants. Certains étaient chargés de nids, nous avons donc appelé un ancien par l'esprit.
Il y eut un bruissement léger, et nous nous sommes retournés. Erazel se tenait face à nous, l'air radieux, avec un sac imposant.
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Voici quelque belle surprise ! nous lança-t-elle. Il est si heureux que vous soyez décidé !
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Il est nécessaire, lorsque le temps est venu, de savoir choisir un bon chemin, philosopha mon père. Et il est plus que nécessaire d'ôter toute cette brousse de là.
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C'est fort juste, répondit Erazel. Je vais m'en charger, et veiller à ce que nos invités retrouvent leurs nids.
Erazel ce jour là, ne ménagea pas ses efforts. Elle replanta deux buissons épineux quelques centaines de mètres plus loin, avec une exposition favorable, près de la clairière. Les oiseaux qui y couvaient leurs œufs ne s'effarouchèrent même pas, tant elle était habile à les apaiser.
Deux experts vinrent ensuite, dont un Kolal et une Galmol. Il s'agissait de tout jeunes agents de terrassement.
Leur vaisseau se posa près du sol dégagé, et ils en retirèrent toutes les plantes épineuses, de taille plus modeste, qu'ils chargèrent dans leur soute. Erazel les guidait et les rassurait lorsque cela était nécessaire.
Mon père apporta ensuite un gâteau et nous nous sommes tous attablés de manière plaisante.
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Ces chers petits ont agi avec tout leur cœur, exposa Erazel d'un air ravi, en fixant le jardin à présent un peu plus ordonné.
Nos jeunes amis assurèrent qu'ils étaient ravis de nous avoir si bien aidés. Ils nous quittèrent peu après, repartant avec quelques livres.
Mon père contempla le jardin d'un air songeur.
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A vous de jouer, lança Erazel. Je suis sûre que vous ferez merveille.
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Ne m'aiderez-vous donc point ? fit-il avec quelque désarroi.
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A choisir les plantes, aucunement, mais à les trouver et à les transporter avec la plus grande joie, répondit Erazel. N'oubliez pas que c'est votre composition.
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C'est que, je doute que l'effet soit heureux, répondit mon père. Et si les plantes ne se plaisent pas, ne se développent pas ?
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En ce cas, émit Erazel en me désignant, vous avez là l'expert qu'il vous faut. Commencez donc par dessiner le sol de ce jardin, et par en inscrire l'exposition, la teneur en eau et en minéraux, et l'humidité. Et inscrivez les plantes de votre souhait avec cette autre couleur. Nous verrons si cela est mariage possible avec leurs possibilités de croissance.
Mon père s'exécuta et chacun de nous fut ravi de songer qu'il avait déjà envisagé ce jardin de longue date en son esprit. Les mariages entre les différents feuillages étaient prometteurs. Il suffirait ensuite d'habiller un peu ce jardin, de bordures, de statues, de bancs et de petits bassins. Une longue conversation botanique commença entre nous.
Nous l'avons achevée bien plus tard que prévu. Déjà, les ombres de la nuit s'avançaient sur la forêt et des bourrasques suivies d'une averse torrentielle inondèrent les étangs situés en contrebas.
Je songeais au petit transport, abrité heureusement sous un arbre. Il risquait d'être trempé lui aussi. Je me levais et embrassais mon père.
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Je suis certain que le résultat sera très à la hauteur, assurais-je.
Il me fixa avec une joie rayonnante. Ma foi en lui, magnifiait la sienne en la réussite de son projet.
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