Les villes souterraines (2/4)
Message du Guérisseur Lestrys (suite)
Chacun des enfants mangea des biscuits accompagnés de compote et de fruits frais. J'eus alors la vision fugace de deux petits clones en guenilles, qui trébuchaient à chaque pas dans une caverne emplie de blocs de roche épars.
Tout ceci était inacceptable. J'avais le vif souhait de voir ces petits venir s'asseoir en notre compagnie.
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Cela n'est pas possible dans l'immédiat. Vous avez le cœur si bon, soigneur Lestrys. Choisissez en conscience et choisissez bien, exposa Limna par la pensée.
Nous avons passé là un moment des plus parfaits. J'attendais la fin du repas pour converser par l'esprit avec Darsimen et Eratsu. Célia avait compris aussitôt toute l'ampleur de ce qui se tramait.
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Deux petits êtres en souffrance en une grotte obscure ? Mais qu'attendez-vous pour aller les aider ? exposa Eratsu.
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Je crains de les effrayer.
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Nullement, nous viendrons ensuite, émit Eratsu. Je suis certain que vous pourrez leur parler.
Résolu, je me tournais vers Stency. Ses grands yeux bleu noir étaient fort inquiets.
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Je ne pourrai rester sans toi, elil, gémit-il.
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Je dois partir, expliquais-je. Ensuite, tu me rejoindras très vite, le moment venu. Il s'agit de sauver d'autres enfants comme Lokhaïl.
Mais Stency se mit à sangloter, quant à Lokhaïl, il voulait absolument venir, oublieux de tout danger. Je décrochais avec peine le petit Stency de ma jambe et le berçais pour le rassurer.
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Nous allons trouver un autre moyen, soupirais-je. Peut-être, après tout, ta présence va-t-elle rassurer nos amis ?
Il fut donc décidé que Stency et moi-même irions explorer la grotte des rescapés. Étant donné qu'ils étaient très farouches, nous devrions faire preuve d'un grand tact pour leur venir en aide. S'agissant d'aliens aux sens très développés, le contact devrait pour commencer être télépathique. Le fait de suivre quatre êtres blessés et meurtris sans pouvoir les soigner était une épreuve pour moi, mais je m'efforçais d'y faire face.
A l'heure convenue, nous nous sommes rendus dans la salle des fenêtres. Celles-ci donnaient sur différents lieux de l'espace et du temps.
Nous avons enfilé des tenues plus neutres, de couleur beige pour moi, et grise pour Stency. Le plan était qu'il ressemble le plus parfaitement à l'un des enfants. Deux sacs nous attendaient, dont un très modeste pour mon cher petit.
Stency était terrifié de prendre pied dans la grotte, mais encore plus épouvanté de demeurer loin de moi. Nous avons franchi la fenêtre, saluant une dernière fois tous les nôtres. Le petit Lokhaïl nous fit de grands signes d'encouragement de la main.
Une grotte claire aux murs d'un jaune laiteux se révéla à notre regard. Nous étions en un boyau parallèle à ceux des rescapés. Je frémis d'effroi et Stency se figea aussitôt de peur.
Les pensées qui nous parvenaient n'étaient guère joyeuses, c'est le moins que l'on puisse dire ! Nous étions tellement habitués de vivre aux côtés des êtres de lumière dans les hautes dimensions, que nous sommes demeurés figés sur place un long instant.
Je ressentais s'insinuer en moi la souffrance et le désespoir de ceux que nous devions secourir. Une vague chaleureuse et bleutée balaya aussitôt cette oppression. Célia me faisait don de sa pensée aimante. Même si loin sous terre, nous pouvions continuer à communiquer. J'en demeurais positivement ravi !
Je compris aussitôt pourquoi les êtres de lumière ne pouvaient directement approcher ces créatures dont la pensée était un gouffre insondable de peine et de désespoir.
Nous qui avions connu par le passé tant de peine et de souffrance, nous seuls, étions à même de faire le pont entre leur forme de réalité, et la nôtre. Beaucoup de réalités s'interpénètrent sans jamais se croiser. Nous allions devoir agir d'une manière profondément nouvelle.
Nous nous sommes assis pour méditer et réfléchir. Stency, fort heureusement, ne percevait pas toute cette noirceur, mais je ressentais l’abîme de souffrance de ces malheureux, dont la cité avait été entièrement éventrée et détruite.
Je m'employais à consoler Stency et séchais ses larmes.
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Maintenant, tu dois être courageux, comme tu l'as déjà été sur Mars, lui exposais-je.
Stency cligna des yeux d'un air compréhensif et s'assoupit contre mon bras. L'éclat de la caverne décrut et je laissais aller ma pensée, commençant ce pour quoi j'étais venu.
Les nôtres peuvent aisément sortir de leur corps pour aller explorer un lieu discrètement, et aussi, pour soigner.
Mon esprit flotta durant un certain temps, longeant une petite source et frôlant des chandelles de calcite blanche millénaires. Les quatre êtres se trouvaient en une galerie branlante, dont un éboulement avait fait pencher la voûte de manière oblique. Ils avaient pris quelque repos sous une vaste arcade de pierre effondrée.
Je m'avançais et avisais un clone de Kolménide, dont le bras formait un angle anormal. Le chef de l'expédition, un alien à l'allure fort peu avenante, tentait de repositionner son bras de manière convenable. Le clone émit un cri léger et ferma les yeux. Il se concentra pour repousser pleinement la douleur, comme tous les nôtres savaient le faire et son visage aux grands yeux de nuit se détendit entièrement. Il était presque identique à l'adorable petit Lokhaïl, avant sa guérison. Ses membres grêles étaient sévèrement blessés de nombreux impacts.
Un deuxième clone, plus paisible que les autres était penché sur une petite lampe à hydrogène, et tentait de faire un peu de lumière.
J'éprouvais subitement une vive sensation de joie. En effet, le quatrième alien était un petit clone Denakh très jeune. Ses fontanelles n'étaient pas encore refermées, et ses longues jambes filiformes étaient dans un état épouvantable.
J'éprouvais une immense compassion pour cet enfant, le plus sérieusement atteint. Je m'approchais de lui et fis agir mon fluide sur ses plaies.
Hélas, ma présence, même vaporeuse, suscita une vive réaction. Le chef se dressa et siffla des paroles peu amènes qui se passaient de traduction.
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Arkhsshhh ! lança-t-il avec colère.
Je m'empressais de regagner mon corps et me réveillais plus serein le lendemain.
Les pensées d'ombre et de peine avaient disparu. Nous avons fait provision d'eau mystérieuse et le petit Stency saisit ma main en gambadant. Tout semblait redevenu exactement comme avant.
Je compris que le groupe des rescapés s'était déjà mis en route et demeurait fort éloigné.
Nous avons enjambé des dizaines de galets, descendant vers les tréfonds de la Terre intérieure. De belles veines rosées ou pourpres couraient sur la paroi. Un peu plus bas, nous avons découvert quelques champignons, et en avons fait un très bon déjeuner, en laissant les sujets les plus jeunes. Le soir venu, nous sommes parvenus à une formation merveilleuse de vastes assises de cristal, garnies de l'eau la plus pure. Des nuées de lentilles d'eau rose pâles couraient à la surface.
Notre dîner fut délectable et je fis preuve de plus d'habileté à déployer ma pensée.
Le plus frêle des enfants m'inquiétait, c'était un miracle s'il marchait encore. Dans un sens, je me réjouissais, car si les autres l'abandonnaient, nous pourrions enfin intervenir.
Dans sa souffrance, le malheureux peinait à respirer. Les clones Denakhs peuvent bien sûr repousser la souffrance, mais cela leur demande une vive énergie. Une partie de ses côtes étaient fracturées, et l'enfant souffrait d'épanchements importants.
Le matin venu, la scène cruelle me parvint dans toute son intensité. Le chef arrogant de ce groupe secouait le malheureux, mais trop faible, le petit alien retomba en arrière, incapable de se dresser. Il poussa de longs sanglots déchirants en voyant les autres s'éloigner de lui. Le plus sage des enfants revint sur ses pas, il tenta de le porter en vain. Le chef s'interposa et le lui défendit.
Stency et moi-même avons progressé aussi vite que possible. Nous sommes parvenus bien plus tard dans la grotte des rescapés. Le petit clone gisait sur le côté au bas d'un large roc, il était entré en stase.
Je me réjouissais, car ainsi, il ne souffrirait plus. Stency se pencha pour vérifier sa respiration, comme je lui avais appris. Il toucha le visage du clone et poussa un glapissement d'effroi, le petit être était gelé.
Je compris que le malheureux était mourant et m'empressais de lui injecter une sérieuse quantité de plasma cicatriciel au niveau des organes vitaux.
Stency réprima un sanglot et je lui fis un sourire rassurant. J'étais loin d'éprouver une telle assurance quand je formulais paisiblement ces mots en Denakh, mu par une étrange intuition.
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Il va très bien aller, il va s'en tirer.
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Vas-tu soigner sa jambe ?
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Non, pas tout de suite. Ce n'est pas la plaie la plus grave. Il faut d'abord attendre que son état soit plus stable.
Stency m'aida à nettoyer la boue et le sable qui entouraient les jambes du malheureux. Nous avons désinfecté chaque plaie et retiré les éclats de roche de ses blessures. Ensuite, nous avons pu appliquer de l'onguent cicatriciel. Je serrai dans les miennes les mains de cet enfant épuisé, afin de lui prodiguer un peu de mon énergie.
En soirée, le fluide du jeune clone était plus stable. Il était à présent hors de danger. Stency me regarda agir de loin, alors que je réduisais sa fracture. Il était assez éprouvant d'assister à une telle scène, car le bruit des os que l'on redresse est assez impressionnant. A dessein, je l'avais envoyé chercher de l'eau. Mais il était si subtil qu'il prit un certain temps pour revenir. L'enfant était étendu et Stency apprécia de voir qu'un bandage solide maintenait sa jambe filiforme.
La grotte, cette fois toute parée d'or et baignée de senteurs merveilleuses, nous offrait un havre de paix pour passer la nuit. Nous avons vêtu le petit clone d'habits confortables apparus mystérieusement près de lui et l'avons recouvert d'un épais duvet.
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Crois-tu qu'il remarchera ? demanda Stency.
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Bien sûr, il remarchera très bien. Il a eu de la chance, nous avons pu agir à temps.
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Demain, je t'aiderai à le porter, émit-il avec cette générosité immense propre aux enfants.
Je souris largement, et nous nous sommes endormis, réconfortés par ce premier succès. Il ne restait plus que trois rescapés à sauver.
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