L'union (3/3)

Publié le par Aurélia LEDOUX

L'union (3/3)

Message du Professeur Zolmirel (suite)

 

 

Je parvins juste devant une jolie demeure dont le toit branlant était fracturé en son centre et tenait au moyen de cordages et d'étais de fortune habilement positionnés. La maison était presque entièrement recouverte de mousses et de lierre. D'aucuns auraient songé là à quelque masure ouverte aux quatre vents, mais j'avais appris à ne pas me fier aux apparences. Lorsque je m'approchais, je surpris une petite famille de lézards volants occupée à manger la mousse qui ornait le toit avec gloutonnerie. De tels lézards élisaient domicile au sommet des temples, la plupart du temps, car ils aimaient se réchauffer au soleil.

 

J'appréciais les lignes agréables et arrondies de la demeure dont les murs formaient presque une ellipse parfaite. Adossée sur un pan de la colline, elle était coiffée d'une antenne et d'un miroir parabolique permettant d'alimenter les génératrices. Je grimpais quelques marches et découvris la terrasse, où trois grandes tables débordaient… de livres. Je frémis en découvrant des ouvrages d'un âge immense, il s'agissait là d'un véritable trésor, car nombre d'entre eux provenaient des plus grands érudits de mon monde. Et certains étaient même des livres de l'esprit, des livres qui viennent à la conscience du lecteur, grâce à un encodage de la pensée pure, qui rejaillit alors avec une fantastique moisson d'images. Cet héritage prodigieux de nos ancêtres me comblait de bonheur.

 

Je découvris alors mon père, occupé à balayer l'intérieur de la maison, dont les poutres avaient chuté en un amas de bois tordu inextricable.

 

  • J'espère que je ne viens pas... trop tôt... Les travaux avancent bien, dirait-on ? hésitais-je.

  • Tu viens parfaitement au moment le plus propice, exposa mon père Ektamirel en s'avançant pour m'étreindre.

Je soupirais de bien être, son énergie immense était toujours aussi prodigieuse, même après qu'il eut quitté l'intérieur de notre monde. Je devinais que ses dons de guérisseur devaient de même être brillants.

 

  • Je me demande bien quelle est cette pièce ? m'étonnas-je en avisant l'enchevêtrement de bois tordu.

  • C'était la bibliothèque, expliqua mon père. J'ai pu en ôter tous ces ouvrages, et je comptais sur ton aide pour dégager cette pièce, assura-t-il posément, malgré la montagne de bois qui jonchait le sol.

  • Cela est-il bien prudent ? hasardais-je, en fixant le toit hâtivement bâché et consolidé, qui transparaissait à travers le plancher éventré.

  • Oui, les anciens eux-mêmes ont agi de la sorte, exposa mon père.

  • Ne serait-il pas mieux de couvrir ces livres avant de commencer ? demandais-je.

  • Tu es bien précautionneux, mais soit, fit mon père.

 

Nous nous sommes débrouillés comme nous avons pu avec les grands rideaux de cette maison si ancienne. Puis, d'un commun accord, nous avons refermé les trous dans les deux étages, au moyen de planches fixées rapidement. Ensuite, j'aidais mon père à sortir de la maison différentes poutres immenses, accompagnées de madriers d'un poids certain.

 

A peine notre travail achevé, nous sommes revenus à l'intérieur de la bibliothèque et avons ouvert les yeux avec effarement. Cinq immenses bibliothèques flambant neuves habillées de jolis rideaux et décorées de vitrages ciselés attendaient. Le sol impeccablement propre et lustré brillait doucement, et même le trou dans le plâtre du plafond avait été rebouché.

 

  • C'est là à n'en pas douter un cadeau de l'un des très grands anciens, fis-je avec révérence.

 

Il nous sembla qu'un petit rire amusé résonnait, celui précisément de mon immense ancêtre Oralecto, qui savait nous combler de bien des manières tout en demeurant si discret.

 

Mon père murmura une bénédiction et ensemble, nous avons épousseté et rangé la précieuse collection d'ouvrages. Ce fut là un travail fort long, et heureusement, nos dons en antigravité nous épargnèrent bien des heures de manipulations.

 

Le temps commença à devenir très venteux, nous avons fermé toutes les issues, mon père ajoutant quelques planches supplémentaires afin d'obturer le toit. Puis, la pluie commença, et advint pour nous un instant assez particulier. Me précédant dans l'art de compenser l'étanchéité d'une toiture endommagée, il avait disposé très habilement seaux, soupières et bocaux en un étagement efficace. Nous nous sommes employés à rajouter quelques seaux, confiants en la venue de la sage Erazel les jours prochains, accompagnée de quelques anciens experts en réfection d'édifices.

 

Peu après, il devint l'heure du goûter. J'avais fait cadeau à mon père de ma récolte, et il me fit goûter d'une variété de moelleux aux fruits que je ne connaissais pas encore.

 

Tout à fait ravis, nous nous sommes attablés en souriant, contemplant la superbe lanterne à plasma que l'ancien avait installée dans la bibliothèque.

 

  • La toiture grince un peu, mais ce sera bientôt terminé, fis-je à l'attention de mon père. Erazel ne laisserait jamais une maison dans cet état. Je pense qu'elle a prévu de doubler les murs et de rajouter une certaine quantité de ciment dans les fondations. Les anciens sont même capables de déplanter la maison pour modifier le soubassement en cas de besoin. Ils n'acceptent que le travail parfait.

  • Je pense comme toi, et je songe même qu'elle risque de tripler l'épaisseur, des murs, à cause des livres, fit mon père en souriant et en me servant une part de gâteau.

 

Nous étions occupés à manger à la cave, afin d'éviter les courants d'air. J'étais un peu attristé de l'état vétuste de la pauvre demeure dont les fenêtres tremblaient sous les assauts du vent, mais je me consolais, en contemplant la cave vaste et spacieuse, garnie de mobilier chaleureux, d'un lit douillet et de fauteuils recouverts d'édredons et de coussins.

 

  • Ne t'en fais pas, fit mon père, avec sa jovialité habituelle. Pour qui a vécu dans les royaumes de l'esprit, l'on sait que rien n'est impossible. Je suis habitué de vivre en des ruines, il m'a été demandé à plusieurs reprises de participer à la réfection de certains édifices.

  • De quels travaux t'occupais-tu ? interrogeais-je.

  • Le déplacement des livres et des feuillets ! répondit-il en riant. Et le choix des coloris. Je devais aussi dessiner des plans.

 

Je souris, un peu rassuré de voir cette sereine acceptation chez mon parent.

  • A ce propos, fit-il avec emphase, nous avons bientôt un événement tout à fait heureux à célébrer, et je veux que rien ne vienne entacher ces réjouissances. C'est moi-même qui ais demandé à être logé en un lieu ancien. J'aime cela, ne sois donc pas inquiet pour moi et reviens me voir une fois que les travaux seront achevés, lança-t-il en riant.

  • J'y compte bien, mais je connais quelqu'un qui ne songe guère à attendre plus longtemps, exposais-je.

 

Mon père me sourit avec plus de gravité cette fois.

  • Elle est déjà venue, fit-il. Cela ne s'est pas trop mal passé, même si elle a dit que la décoration intérieure avait besoin de progresser davantage. Elle n'est pas trop à l'aise avec le style cabane néo-provinciale ! Ta mère aime les logis clairs et douillets, exposa-t-il, et je lui donne raison.

Je méditais, songeant là qu'il ne me disait pas toute la vérité.

  • Elle pense toujours à toi comme à un époux, ajoutais-je simplement. Il n'est rien qui puisse entraver votre relation à présent, nulle distance...

  • Tu parles bien mon enfant, et je te sais gré de pareil aveu. Avec du temps et de la patience, les choses redeviennent possibles, même si beaucoup de colère demeure en elle. Elle considère que je vous ai abandonné, tous. Et les faits sont là, je ne pouvais revenir, mais elle m'en veut de m'être engagé dans cette aventure.

  • Tu as permis que deux mondes se rencontrent de nouveau. Les grands ancêtres ont été invités à la capitale mère, et aux capitales sœurs de nos provinces éloignées. Cela est un bien grand prodige, et moi je suis fier de toi.

 

Mon père n'ajouta rien de plus, se contentant de me sourire avec éclat.

  • Je leur ai dit la même chose, aux parents de Zilmis, me confessa-t-il après un instant. Je suis ravi que tu aies trouvé une moitié de si bonne compagnie, une qui accepte de te suivre partout dans tes aventures.

 

Nous nous sommes quittés avec émotion, après que mon père m'ait raccompagné dans les méandres de la forêt. Un concert de grenouilles salua nos adieux. Je montais à bord de la plate forme et m'envolais, mes larmes de bonheur coulant de mes yeux.

 

Je perçus une pensée, vive, soucieuse également. Elle savait... évidemment. La télépathie possède cet avantage, qu'il est fort peu de non dits entre nous.

 

Ma mère savait que je venais de rendre visite à mon père. Elle vivait en bordure de la forêt, non loin de mes tantes et de mes sœurs. Sa tâche favorite était de cueillir des remèdes et de les préparer, un peu comme Amoni. Elle possédait également un grand sens artistique qui lui permettait de sculpter des objets en bois, et même du mobilier. Sa spécialité était bien sûr l'utilisation du bois pourri, convenablement silicifié. Sur mon monde, seul le bois sec ou pourri est employé pour créer des meubles, avec du tissu. La moisissure qui se développe sur certains troncs, donne un coloris remarquable après séchage et traitement du bois, qui est plus ou moins vitrifié par un procédé entièrement naturel.

 

Et ma mère, en experte, prenait grand soin de l'usine de tissage et de débitage de bois pourri située près de chez elle. Elle y restaurait les machines, et veillait à en entretenir les nombreuses salles.

 

En percevant son appel, j'étais un peu déstabilisé. Elle sentait mon désarroi et me proposait de venir la trouver. Se pouvait-il qu'elle agisse de la sorte juste parce qu'elle était soucieuse de mon père ? Je devinais qu'elle avait encore besoin de parler de lui. Cette blessure de sa disparition venait de se rouvrir, et je devais l'aider à avancer. Oui, elle en voulait à mon père, c'était un fait, et non, elle ne lui pardonnait pas encore. Seulement, mon père était de retour, et à présent, il aurait sans nul doute du temps à lui consacrer.

 

Je perçus en un éclair fugace l'intérieur blanc lumineux de chez ma mère, les sièges élégants en bois clair, de forme courbe, rehaussés de coussins et de draperies de velours. Sa maison était entourée presque entièrement d'une immense serre garnie d'arbustes et de plantes étranges qui me fascinaient. Son visage soucieux apparut, elle était penchée au dessus de la verdure. Sa pensée était plutôt vive en cet instant.

 

  • Il s'est moqué de moi, ton père est un aventurier irresponsable qui n'a même pas songé un seul instant à ce qui adviendrait à sa famille sans lui ! exposa ma mère.

  • Oui, en effet. Mais il le regrette à présent. Je pense que c'est pour toi qu'il est revenu. Pourrais-tu juste accepter de lui parler ? Ce serait mieux pour lui, et mieux pour toi.

  • Il est honteux que sa maison soit aussi délabrée ! Si cela est pour me faire pitié, il se fourvoie grandement ! protesta-t-elle. Il n'y a même pas d'endroit pour s'attabler en dehors de la cave ! Et le garde-manger est bien trop exigu !

  • Il a agi ainsi parce qu'il se sentait indigne d'habiter un édifice neuf. Il veut mériter ce que l'on lui offre. Et cela ne saurait durer. Tu connais bien Oralecto...

  • Très bien, répondit ma mère, en tentant de s'apaiser. Je veux bien l'aider à réaménager son intérieur décemment. Mais il n'aura droit à aucune autre aide de ma part ! s'empressa-t-elle d'ajouter.

 

Je souris, certain d'avoir accompli là un grand pas, afin de tenter de rapprocher mes deux parents. Tout enfant aspire à vivre un jour la même chose, et mes parents me semblaient si heureux dans mon souvenir, si complémentaires, que je m'efforçais avec constance d'y parvenir.

 

La soir tombait sur la jungle, la nuit s'avança bientôt. Je déclinais l'invitation de ma mère, car des bourrasques fouettaient mon petit esquif. Je perdis de l'altitude, longeant la voûte des arbres en prenant soin d'éviter les petits groupes de volatiles qui se regroupaient dans leurs nids. Une colline élevée me faisait face, avec à son sommet, la lueur chaleureuse de notre maison douillette à mes proches et moi-même.

 

Je fis décélérer le vaisseau et au même instant, le hangar s'ouvrit. La lueur chaleureuse des lanternes à plasma du salon inondait l'escalier d'un éclat d'or. Amoni se précipita vers moi pour m'ôter mon manteau couvert de pluie et Zilmis me tendit une serviette. Je m'essuyais et passais au salon, où je pus me réchauffer.

 

  • Tu reviens bien tard, soupira Zilmis. Je suis heureux, je vois à ton visage que tu as réussi à faire naître quelque espérance entre tes parents.

  • Il est dur de songer que ses parents aient pu être séparés si longtemps. Tant de fois ais-je appelé mon père, je ne percevais que de rares échos. Maintenant, le lien s'est ranimé entre eux, et ils vont pouvoir s'expliquer, s'exprimer leur profonde affection.

  • C'est un bienfait qu'ils aient pu se trouver par la voie de l'esprit, assura Dorian. Prenez donc du repos, et soyez en félicité. Vous avez bien du mérite d'avoir vogué sous une telle averse.

  • Nous sommes des êtres des marais, exposais-je en riant. La pluie ne nous affecte pas. Je vois là que vous avez préparé un excellent dîner...

  • Un dîner en l'honneur de félicitations qui s'imposent, ajouta Orel, en nous fixant, Zilmis et moi-même. Ce sera une très belle fête, n'en doutez pas !

 

Ravi de les voir réunis autour de moi, je ne soufflais mot. Très émotif, Zilmis serra vivement ma main dans la sienne. D'intenses pensées de contentement jaillirent de son esprit si vaste.

 

Je vous souhaite le même bonheur infini, chers amis de la Terre bleue. Le fait de vivre entouré de ceux que l'on aime est une chance très grande qu'il faut cultiver avec soin. Recevez tout notre amour et toutes nos pensées de haute lumière.

 

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