A la croisée des mondes (3/5)

Publié le par Aurélia LEDOUX

A la croisée des mondes (3/5)

Message du Professeur Zolmirel (suite)

 

 

Le matin venu, dès l'aube, je m'éveillais avec une vive excitation, contemplant un spectacle qui m’émouvait toujours autant. Celui de l'aube dorée et des arbres qui s'éveillaient.

 

Sans bruit, je saisis mon panier et sortis dans le levant. Je gagnais la falaise, pris mon élan et plongeais dans le vide, ravi de sentir les parfums de la forêt et les feuilles des arbres effleurer mon visage. Je ralentis ma chute et me posais en douceur, puis suivis un petit sentier tracé par les animaux.

 

Ma promenade se poursuivit joyeusement et je débusquais bientôt un ensemble de grands champignons blancs pleinement épanouis à la chair bien délicate. Cette variété très prometteuse était un véritable régal, et bien sûr, je remplis mon panier avec une joie infinie. Je revins un peu plus tard, remontant la falaise par la voie des airs, comme les nôtres pour la plupart, ont l'habitude de le faire. J'entrais dans la demeure et faillis m'esclaffer. Amoni était déjà en cuisine, accompagné de Zilmis, tous deux discourant du prochain plat. J'y entrais à mon tour et ils s'extasièrent devant ma récolte. Une conversation gastronomique merveilleuse débuta. Ensuite, nous avons choisi de préparer des verrines, des petits beignets, différentes variées de salade, de cakes aux légumes et un gâteau pour les enfants.

 

Ces derniers ne devant pas retourner au Grand Institut avant plusieurs jours, nous avons prévu d'effectuer plusieurs excursions. Elles furent exceptionnelle, notre monde étant tout comme votre Terre un joyau architectural et végétal des plus merveilleux.

 

Une image surgit, je vois des ensembles de roselières parées de plantes multicolores pleinement épanouies avec une vie aquatique prodigieuse. Puis apparaît le flanc d'une montagne, paré de petites maisons en forme de dômes, entourées de belles enceintes parfaitement circulaires et de jardinets abondamment fleuris. L'herbage est jaune paille et d'étranges animaux proches de lézards géants broutent l'herbe.

Ensuite, un bord de mer apparaît, il n'y a pas de vagues, mais un vent vif souffle. Là, de petits villages cossus garnis de nombreux étalages et de boutiques sont visibles. Les habitants mènent une vie douillette et pratiquent le troc. Les maisons sont là aussi rondes, ou en forme de losange, parfois, des pyramides sont visibles, coiffées de sortes de petits belvédères. De nombreux temples sont taillés dans la falaise avec des successions d'encorbellements aux balcons extraordinaires richement ornés. Plus loin se dressent de hautes éminences de grès, aux formes exceptionnelles dont certaines rappellent même la forme d'un animal ou d'un alien.

 

Pour finir, on voit un lieu « la porte des sables ». C'est la fin de la verdure, et le commencement du désert. Des panneaux nombreux et des signaux inscrits sur le sol, avertissent les vaisseaux, on peut lire en caractères aliens « zone interdite ». C'est un lieu dangereux où règne le grand vortex du désert et où les dispositifs antigravité des vaisseaux ne fonctionnent pas.

 

Face à ce lieu, Zilmis s'interrogeait profondément.

  • Il existe par chez moi un lieu semblable, le grand vortex, qui s'étend sur une dizaine de kilomètres, nous pourrions aller y faire un tour. A pied, bien sûr, ajouta t-il.

 

J'assurais que j'étais bien intéressé, effectivement. Évidemment, Zilmis souhaitait, consciemment ou inconsciemment revoir sa famille, notre union n'ayant pas été acceptée par les siens.

 

Il savait qu'il me demandait là un effort important. Je craignais par dessus tout de le perdre et qu'il soit séquestré par sa propre famille, comme cela arrivait encore en certaines régions reculées. Je n'avais cependant nulle crainte particulière vis à vis de ses oncles et tantes nombreux, ainsi que de ses redoutables parents. Le matin venu, les enfants devaient retourner à l'institut. Notre séparation fut poignante.

 

A son retour, j'interrogeais Amoni pour savoir si une excursion dans les montagnes était envisageable. Avec sagacité, il comprit ma requête.

  • Bien sûr, assura-t-il. Cela me fera aussi du bien d'être au grand air. Rien que vous n'ayez à redouter non plus, s'amusa-t-il.

  • Effectivement, souligna un Orel très affirmatif. Nous sommes une escorte à toute épreuve, ne l'oubliez pas.

  • Je pense que le mot « escorte » suffirait à te désigner, s'amusa Dorian.

  • Ce ne sera pas pire que ton fluide propre à électriser quelque brigand, répondit Orel en riant.

  • Il n'y a pas de brigands en ces montagnes, se moqua Amoni. Juste une famille qui vit recluse et qui refuse l'union prochaine à son enfant parce qu'il est différent et qu'il a choisi un époux inattendu.

  • Diplomatie mais fermeté, répondit Orel avec entrain. Il est surprenant que des bulles d'obscurité persistent en ces provinces reculées.

  • Il est nécessaire à présent que de tels conflits prennent fin, nous sommes aussi là pour aider à ce que tout se passe bien, assura Dorian.

Tout à fait rayonnants, Zilmis et moi même les avons remerciés avec une immense gratitude.

 

  • Vous êtes si bons avec nous, comment pourrions-nous un jour vous rendre la pareille ?

  • Vous le saurez bientôt, assura Dorian. Nous avons des projets pour vos amis des montagnes. Ils ont vécu trop longtemps en ignorant le monde qui les entoure et la joie qu'ils pouvaient en retirer.

 

Heureux de cette déclaration, nous nous sommes empressés de préparer un nouveau voyage. Pour cette première, il était souhaitable que les enfants ne viennent pas. Mais je me promis de faire en sorte qu'ils nous accompagnent par la suite. Amoni était partagé entre un calme impressionnant et une certaine nervosité. Zilmis était aussi pâle que si l'on venait de lui annoncer qu'il allait retourner vivre chez ses parents.

  • Je ne t'abandonnerais pas, soufflais-je. Tu es de notre famille. Nous nous sommes choisis, et il n'y a pas à revenir là dessus.

  • Eux le feront, soupira Zilmis.

  • Oui, peut-être, exposa Dorian. Mais si l'on veut que les choses s'arrangent, il faut faire un effort en ce sens. Vous savez que les murs ne sont pas un problème pour nous, alors allez le cœur serein.

Nous sommes montés dans le vaisseau et Orel, installé aux commande, enclencha le décollage. Assis paisiblement à ses côtés, Dorian corrigeait de temps à autres la position du vaisseau qui tanguait sous les bourrasques d'un air tranquille, en faisant agir son fluide.

 

Je serrai tendrement la main de Zilmis dans la mienne, nos deux énergies se réunissant pleinement en cet instant. Songeur et émerveillé du spectacle de la verdure surmontée de brume, je me laissais aller à la rêverie, Zilmis se mettant peu à peu à sommeiller.

 

Je devinais qu'il tentait de s'apaiser en puisant dans toutes ses forces, avant d'affronter sa propre famille. L'éclat de la vérité allait jaillir, de notre amour profondément transgressif, pour ce peuple aux mœurs étranges, qui ne supportait pas qu'un mariage soit consenti sans l'accord des parents.

 

Respectant leur vœu, Zilmis et moi-même avions convenu de ne pas nous unir en leur absence.

Avec sa plume soignée, Amoni nous avait aidé à rédiger les lettres les plus cordiales qui soient, puisant dans ses ressources infinies en matière de tact et de diplomatie. En vain. Nos missives n'avaient reçu que le silence pour seule réponse.

 

Je m'étonnais, car sur mon monde, une invitation est toujours synonyme de réjouissances et d'heureux moments de partage. Zilmis m'avait cependant expliqué que sa vie de jeune alien, n'avait été qu'une longue suite de peines et de moqueries. Il aurait du prendre la forme et l'allure d'un mâle, mais la forme de ses mains, sa personnalité et sa timidité, étaient celles d'une jeune alien. En ces contrées reculées, donner le jour à un petit androgyne était vécu comme une honte absolue. Zilmis avait été assimilé par ses parents à un « contrefait ».

 

Les guérisseurs de ma province, surpris, avaient tout bonnement refusé d'en faire un mâle, disant qu'il ne fallait pas contrarier les plans divins et qu'il était absolument parfait. De même, ils avaient refusé de changer sa voix de jeune adolescent. Zilmis, lui, voulait juste qu'on le laisse tranquille. Mais ces refus lui avaient valu d'être sévèrement rejeté par sa famille et même caché, tant ses parents avaient honte de lui.

 

Je m'étais documenté sur les Galmols des montagnes le plus solidement possible, révolté par autant d'injustices. La vérité était que leur monde était régi par un système patriarcal ancien, alors que mon monde était parfaitement mixte. Les fêtes étaient régulièrement organisées en ma région, le bal de l'amitié, le bal des célibataires, des voisins, des anciens, des enfants, et tout le monde pouvait s'y amuser.

 

Je songeais à la fête précédente, où Amoni avait dansé avec Zilmis, puis avec moi, et enfin, avec Erazel, et où nous avions tellement ri. En ces régions reculées, nos réjouissance pouvaient grandement choquer la population. Évidemment, danser avec ses parents, ses enfants, ou son meilleur ami, risquaient de susciter l'incompréhension.

 

Notre vaisseau se posa au sommet d'un piton rocheux clair, entouré de buissons épais. Parmi la brume, nous pouvions apercevoir une passerelle de fortune, construite au dessus d'un précipice béant. La région du vortex, décrite par Zilmis, s'étendait alentours. Amoni et moi même nous sommes essayés à faire léviter des pierres sans succès. Autant dire que traverser ce pont suscitait en nous la plus vive appréhension, car il était constitué de cordages. Mais enfin, nous sommes parvenus sans encombres de l'autre côté. Une végétation d'une merveilleuse luxuriance s'élançait haut sur les falaises grises, le vent sifflait autour de nous, nous obligeant régulièrement à nous plaquer contre la paroi pour ne pas être déstabilisés. Comme insensibles aux éléments, Orel et Dorian encadraient la marche, prompts à nous rattraper en cas de besoin.

 

Amoni, dont le centre de gravité était bien plus haut avait bien du mal à s'équilibrer sur le sentier rocailleux. Nous avons franchi un gouffre avec une cascade, où des trombes d'eau déferlaient sur les cultures en contrebas. Puis, un ensemble de champs soignés apparut, avec des maisons imposantes construites en surplomb, ou à même la paroi. Les arêtes vives des toitures nous étonnèrent, nous étions plutôt habitués aux constructions en forme de tour. Des vaisseaux d'un autre âge étaient posés devant plusieurs demeures, il semblait étrange que certains se trouvent encore en mesure de voler.

 

  • On dirait que ton absence a laissé des traces, m'amusais-je en songeant aux exceptionnelles compétences de Zilmis en matière de réfection de vaisseaux.

  • Je crains fort que ceux-là doivent être remorqués, exposa Zilmis avec un rire, en montrant deux épaves complètement cabossées et rouillées.

Nous avons continué de marcher jusqu'au village, Amoni s'aidant d'un bâton. Notre arrivée suscita des clameurs, chose que je ne trouvais pas très agréable, les nôtres étions habitués à plus de raffinement.

 

Un son, celui d'une fête, nous parvint. A dire vrai, un mariage était célébré ce jour et les habitants nous firent bon accueil, nous invitant à nous attabler et à nous restaurer. Je trouvais la cuisine délicieuse, et m'étonnais qu'aucune dame alien ne soit assise à notre table.

 

  • Où sont-elles donc toutes passées ? demandais-je discrètement à Zilmis.

  • C'est une fête avec des mâles uniquement, chuchota Zilmis. Les femelles ont dressé la table puis disposé les plats et s'en sont allées. La fête des dames est de l'autre côté, nous ne devons pas y aller.

  • Même pas pour féliciter celles qui ont œuvré à cuisiner des mets aussi parfaits ? m'étonnais-je.

  • Surtout pas, lança précipitamment Zilmis, ce serait considéré comme de l'impolitesse !

  • De l'impolitesse ? Mais c'est absurde. Et comment vont-ils bien pouvoir faire pour se marier, s'ils sont dans deux fêtes séparées ? questionnais-je.

  • Il y a une estrade qui est reliée aux deux espaces, les époux ne doivent surtout pas se voir avant la cérémonie, c'est la tradition, assura Zilmis.

 

Chacun de nous l'écouta avec soin. Je tentais de comprendre cette culture différente sans y parvenir. Je me resservis trois fois de certaines spécialités et voulus inviter Zilmis à danser. La musique des montagnes, tout comme la cuisine, était merveilleuse.

 

  • Il ne faut pas, lança-t-il précipitamment. Il n'est pas permis de danser avec un inversé. Je suis considéré ici comme un être impur, absolument indigne.

  • Quel pays des plus déplaisants, où il n'est permis de ne rien faire, ni de danser, ni de s'embrasser, soupirais-je avec quelque humeur, observant les aliens mâles près de nous qui dansaient en rangs ordonnés, alignés comme des statues.

 

Je ne découvris sur leurs visages que peu d'émotion. Ils semblaient à dire vrai faire une sorte de figuration. Le marié n'arborait nul sourire, il me semblait avoir l'air dur et même grincheux. J'étais habitué à des fêtes bien plus joviales et amusantes, où chacun riait et s'étreignait.

  • Ici chacun danse seul, expliqua Zilmis, il y a des danses collectives, mais on ne doit pas se toucher, ni montrer de familiarité.

  • Je croyais qu'il s'agissait d'un mariage...

 

Un peu plus tard, heureusement, la cérémonie eut lieu. La mariée apparut et chacun l'acclama. Cette fois, je fus rassuré de voir une joie sincère sur chaque visage. Il fallait dire que la jeune alien ressemblait à une véritable princesse. Elle était parée des tissus les plus fins, et couverte de dentelles et de bijoux. Sa coiffe imposante, faisait penser à quelque reine des temps anciens.

 

  • C'est un mariage princier, il doit s'agir d'une dame de qualité, exposais-je en songeant au faste incroyable de la cérémonie, aux coussins surchargés de pierreries et aux bijoux des invités, comportant des gemmes rares de la taille d'un œuf.

  • Nullement, c'est un mariage très ordinaire, chuchota Zilmis. En notre province, les mariages sont toujours une très grande cérémonie. La jeune promise, doit jurer obéissance à son époux.

 

Je verdis, puis je rosis, sous le coup d'une sorte de révolte intérieure grandissante. Le marié affichait une sorte de sombre satisfaction, mêlée d'une expression qui m'apparut odieuse. La jeune alien agenouillée à ses pieds, arborait elle, une sombre résignation. J'étais un alien d'une nature souvent contemplative, mais voir tant de choses insensées mettait mon calme à rude épreuve. Malgré ma petite taille, j'étais prêt à me dresser parmi la foule pour voler à son secours.

  • Est-ce son esclave ou son épouse ? Ne s'agit-il pas d'amour ? demandais-je avec révolte, un peu trop fort aux yeux de Zilmis.

  • Venez donc, nous intima Dorian. Éclipsons-nous discrètement. Il n'est point sage de demeurer en ce lieu plus longtemps. Les gens des montagnes sont prompts à la colère.

 

Nous avons suivi les recommandations des êtres de Lumière, eux toujours posés malgré ce qu'il nous avait été donné de voir.

 

J'entrais dans une sorte de silence boudeur, qui ne m'était guère coutumier.

 

  • Cela vous a fait du mal de venir en ce lieu, exposa Dorian. Nous aurions du prévoir cela. J'en suis navré.

  • Ne le soyez pas, ce sont ces familles qui devraient avoir honte de marier ainsi leur enfant à des êtres si dominateurs, parvins-je à articuler.

 

Peu à peu, la colère me quitta, et je réussis à exprimer mon tourment intérieur.

 

  • Enfin, comment peut-on confier son enfant à un époux aussi hostile ? exposais-je en songeant à l'expression vile du jeune marié. Cet alien n'éprouve nulle affection pour cette enfant !

  • Nous ne devons pas juger autrui pour ses choix, répondit Dorian.

  • Ses choix ? Mais cette jeune promise n'en a eu aucun ! C'est une atteinte inacceptable au libre arbitre ! protestais-je avec véhémence. L'esclavage est censé avoir été aboli sur cette planète depuis des éons ! m'exclamais-je d'un air chagrin. L'esclavage matrimonial est la marque des inférieurs, c'est une forme de servage particulièrement abjecte ! Ne ferez-vous donc rien pour aider cette enfant ?

  • Nous sommes ici pour vous. Vous vous êtes opposés brillamment au tourment de cette condition. Zilmis a fui, et vous et votre famille, l'avez accueilli. C'est un pas merveilleux, assura Dorian. Vous ne réalisez pas encore toute la portée de votre geste. Il est des êtres qui pensent trouver le bonheur en se mariant, avec le temps. Chacun a une manière qui lui est propre de voir l'amour.

 

Notre discussion se poursuivit, j'exposais d'un ton houleux que le fait de porter atteinte à la dignité d'une épouse, notamment en lui ôtant sa liberté et en la menaçant, voire en la frappant, était un crime absolu, passible de bannissement, dans tous les univers connus.

  • C'est exact, répondit Dorian. C'est en effet la sentence. La radiance de ce monde s'est élevée et tous ceux qui ne pourront passer, risquent la pire des fins.

 

Chacun de nous éprouva un frisson à ces paroles, ma révolte s'effaça aussitôt. Je formulais une prière, espérant que cette alien adorable puisse parvenir à ouvrir un peu ce cœur si endurci, lui épargnant une oblitération définitive et brutale.

 

Le calme revint dans notre petit groupe, chacun de nous continuant à s'extasier à la vue des défilés somptueux qui bordaient le lit de la rivière, profondément encaissé. Je sentis que nous approchions de notre destination.

 

Vous pouvez reproduire ce texte et en donner copie aux conditions suivantes : 

 

 

 

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