A la croisée des mondes (2/5)

Publié le par Aurélia LEDOUX

A la croisée des mondes (2/5)

Message du Professeur Zolmirel (suite)

 

Une délégation de prélats vint à nous, et je les saluais avec politesse. Sur ma planète, les prélats sont ceux qui président les cérémonies et entretiennent la communication avec les émissaires hors monde, ce sont eux qui bénéficient d'une aura médiatique, mais ils n'ont qu'un pouvoir représentatif. Le prélat suprême, chamarré de blanc, d'or et de rouge, s'avança. Il s'agissait d'une alien très affable, qui salua Erazel avec beaucoup de bonté. Un peu embarrassé, Zilmis cessa de s'intéresser à ses poêles et nous rejoignit en rougissant.

 

J'étais à dire vrai parfaitement gêné, de me trouver en ce lieu, songeant à ma tunique d'aventurier défraîchie, et à mes souliers usés. Mais je réalisais avec stupeur que mes habits étaient aussi magnifiques que ceux de la délégation de l'intérieur. Je portais une tunique verte rehaussée de motifs dorés chatoyants, alors que Zilmis resplendissait dans son habit bleu clair décoré de blanc. Un petit rire s'éleva et Erazel nous sourit, voyant notre stupeur comique.

 

Je serrai en tremblant la main du prélat suprême, une sorte de président planétaire pour nous, qui nous invita à nous rapprocher d'elle pour contenter les différents reporters présents ce jour là. Une avalanche de photos suivit, puis une brève interview. Je fus reconnaissant à Erazel, aux êtres de l'intérieur et à mon père de parler en notre nom, car je n'en aurai pas été capable. Une fatigue intense s’abattit sur Zilmis et moi-même due au changement de densité vibratoire. Nous avons senti des mains nous soulever, puis plus rien.

 

Le matin, je m'éveillais avec stupeur. Il n'est à dire vrai pas facile de passer d'un monde à l'autre. Une sorte de lourdeur oppressait mes tempes, laquelle se dissipa aussitôt, lorsque je fis quelques pas. Je fixais le décor alentours et constatais avec soulagement que nous étions revenus en un lieu merveilleusement familier. La forêt nous entourait de toutes parts, et cela me causa une joie immense.

 

Je me levais, et entendis un tintement familier. Erazel était assise sur la terrasse en bois clair, et buvait une infusion à l'odeur plaisante.

  • Asseyez-vous donc, et profitez de ce moment, me lança t-elle en riant. C'est un grand jour !

  • Nous ne sommes plus avec les ambassadeurs ? m'étonnais-je.

  • Il me semble clair qu'un tel lieu n'est pas un bienfait pour vous. En plus d'être frappés du changement vibratoire, Zilmis et vous-même aspirez à un peu de calme.

  • Merci de nous avoir amenés ici, répondis-je en réalisant que nous nous trouvions en son jardin.

  • De rien, fit l'ancienne. Je suis ravie de voir que vous allez mieux.

 

Je pris mon temps pour me servir une infusion et boire celle-ci. Je sentis aussitôt une chaleur bienfaisante m'habiter. Je soupçonnais Erazel d'avoir préparé ce remède spécialement à mon intention.

  • J'ai aussi besoin de boire ce mélange, assura-t-elle. Nous sommes bien sûr revenus ici, parce que cela était plus simple, et évidemment parce qu'il y a quelqu'un qui n'en peut plus de vous attendre !

 

Je souris. À la seule pensée de retrouver ma famille, mes larmes jaillirent. Peu après, Zilmis nous rejoignit. Nous avons devisé de manière plaisante. Puis, un doux sifflement retentit. Trois vaisseaux, très différents apparurent. Deux d'entre eux étaient flambants neufs et en forme de disque, le troisième était un assemblage précaire de matériaux hétéroclites récupérés dans divers tas de ferraille. C'était notre vaisseau, à Zilmis et à moi-même, et je l'adorais. En cet instant, il était piloté par mon ami, qui le posa avec hésitations, mais parfaitement. Avec un bel ensemble, les trois vaisseaux atterrirent. Il y eut une petite ombre furtive et Nerti se jeta dans mes bras. Zilner, se précipita à son tour, les enfants nous étreignant à tour de rôle, Erazel, Zilmis et moi-même. Puis, vint Amoni, majestueux dans son ample habit de velours pourpre, vert et jaune, chamarré de superbes décorations en forme de feuilles.

 

Mon grand ami me souleva dans ses bras avec une joie débordante. Chacun de nous pleura longuement du bonheur de se revoir.

 

  • J'avais peur que tu ne revienne plus, parvint-il à articuler. Ces mondes de lumière ont du te sembler si beaux.

  • J'étais toujours avec vous, en pensée, répondis-je à Amoni. Et ces deux petits cœurs n'ont cessé de me relater leurs aventures.

  • Nous ne sommes pas encore de très bons télépathes, s'excusa le petit Nerti, qui avait presque la taille d'un jeune adolescent à présent.

  • Bien sûr que si, assurais-je. Et félicitations à tous les deux pour votre don. Il est rare qu'un jeune le voie fleurir si tôt !

Zilner sourit largement et fit tournoyer quelques brindilles légères autour de nous par la voie de l'esprit, en riant aux éclats.

 

Ma mère s'avança à son tour pour m’étreindre, avec mes sœurs, mes oncles et mes tantes, suivis d'Esvar, le frère d'Amoni, son épouse et ses deux enfants.

  • Te voici enfin de retour, lança ma mère, enchantée. J'espérais que ce lieu t'aurait fait grandir un peu, mais il n'en est rien. Les légendes exagèrent un peu les choses parfois.

  • Il y a une surprise, assurais-je, le regard brillant.

  • Je sais, répondit ma mère. Mais après tout ce temps où il m'a tellement manqué, je ne sais si j'ai envie de revoir ton père ou de le faire pourchasser par tous les fauves de la forêt !

  • Le pardon est la clé de la paix intérieure. Chacun doit suivre son chemin, exposais-je avec bonté. Il a beaucoup regretté de devoir nous quitter mais il a veillé sur nous, à distance, il nous a envoyé son énergie, ses prières, en ce lieu de pureté.

 

Ma mère répondit avec amertume que la présence de son époux aurait surpassé toutes les prières du monde réunies, en cette époque où elle avait du veiller sur nous seule, avec mes oncles et tantes.

Chacun de nous la consola de son mieux, la persuadant finalement d'accorder une autre chance à mon père de s'expliquer. Je compris très bien qu'il avait préféré ne pas se montrer dans l'immédiat.

 

Les retrouvailles avec ma famille furent très chaleureuses, chacun m'écouta par le détail relater notre périple. Je vis à son expression que Zilmis semblait bien triste. Nul membre de sa famille n'était venu l'accueillir à son retour d'expédition. Chacun de nous alors, redoubla de joie et de bonté à son égard, Amoni se proposant avec lui d'aller faire un tour dans la cuisine d'Erazel, pour examiner les dernières inventions de son époux Euctamon, en matière culinaire.

 

Quelqu'un manquait à l'appel, et je le vis subitement, accoudé à un arbre d'âge certainement aussi vénérable que lui. Mon « grand père », Oralecto, me souriait. Il s'agissait de mon plus immense ancêtre, six fois mon arrière grand père. Malgré son âge immense, il se déplaçait souplement et s'amusait volontiers de tout. Je me précipitais vers lui, radieux de le retrouver.

 

  • Te voilà rentré à la maison, fit-il en prenant place au pied de l'arbre millénaire. Tu songes bien que tu as laissé nombre de choses qu'il te faut affronter présentement. Ce n'est pas en fuyant que l'on parvient à régler certains soucis.

 

C'était la vérité, bien sûr. Peu après l'arrivée de Zilmis en notre famille, ses parents étaient venus tenter de le rechercher pour l'emmener de force. Ils avaient échoué, réquisitionnant alors d'autorité notre navire flambant neuf, pour dédommagement de sa fuite. Loin de chercher à les raisonner, nous nous étions abstenus de tout contact, trouvant là qu'il s'agissait de la solution la meilleure propre à apaiser les esprits.

  • Nous pensions que les choses finiraient par s'arranger d'elles-mêmes, assurais-je.

  • Oui, c'est vrai, parfois il en est ainsi. Mais le peuple des montagnes est différent de nous, les traditions sont dures et les bousculer revient à un affront.

  • Nous n'avons pas choisi, on ne choisit pas de tomber amoureux d'une personne androgyne d'un âge radicalement différent, assurais-je.

  • Oui, répondit mon grand-père, c'est la vérité. Ici, les androgynes sont les bienvenus, exposa Oralecto en se tournant vers Zilmis en train de chahuter avec les enfants. Ici, nous avons appris à voir les immenses qualités de leur âme à travers cette union du masculin et du féminin en eux. Nous les considérons comme des êtres purs et parfaits. Mais il est des lieux où les choses sont toutes autres. En ces lieux, les mondes masculins et féminins, sont comme deux vases bien fermés, bien juxtaposés, auxquels il ne faut surtout pas toucher, il ne faut surtout pas les ouvrir, encore moins les mélanger.

  • Cela est bien absurde et mène à la mésentente matrimoniale à long terme, soupirais-je.

 

Mon grand père éclata de rire. Il se leva, et pour me distraire exécuta une petite danse. Nerti le rejoignit aussitôt et ensemble ils exécutèrent de folles cabrioles qui firent rire toute l'assistance ce soir là. Attirés par le bruit de notre fête, de joyeux petits Ilstirr, qui travaillaient avec Erazel au remisage des vaisseaux apparurent, et commencèrent à jouer un air bien entraînant. Notre assemblée se réunit à la nuit tombée, Erazel contant un récit aux enfants et aux adultes avec un art consommé. Je me mis à l'écouter, revivant à travers elle et grâce aux images brillantes qu'elle projetait sur le mur, toute notre épopée. Le récit s'acheva et chacun se dispersa pour aller se coucher.

 

  • Il est temps d'aller dormir... Ne croyez-vous pas ? s'amusa une voix.

 

Amoni me souriait. Il nous invita à nous lever et nous mena vers le vaisseau aux parements disparates. Il chargea nos effets avec une belle efficacité, le petit Zilner discourait avec Zilmis du meilleur moyen de restaurer une poêle cabossée. Nerti saisit l'objet en riant et le rendit intact à un Zilmis abasourdi.

 

  • Son don s'est drôlement affirmé, assura Zilner. Il a commencé par soigner des insectes, puis des fractures sur des phalanges. Il en est aux coupures et aux soudures, exposa le petit alien en montrant le vaisseau rafistolé avec des tôles très variées. Le résultat est très solide malgré tout.

 

Nerti sourit en voyant que son jeune frère louait ses humbles efforts. Je pris place aux commandes, Amoni me cédant la place avec soulagement. C'était grâce à Esvar, son frère, qu'il était parvenu à poser le vaisseau dans la clairière sans trop de mal. Mais le vent avait forci. Zilmis et moi-même n'étions pas trop de deux pour le manœuvrer. Notre jolie demeure toute illuminée perchée sur le flanc d'une colline luxuriante apparut dans la nuit. Les plantations d'Amoni en baies sauvages, en herbes médicinales et en légumes avaient beaucoup poussé. Plusieurs arbres fruitiers avaient atteint une belle maturité, et je songeais que nous avions du nous absenter 2 ans au moins.

 

  • C'est exact, deux ans et demi, assura Amoni par l'esprit.

 

Notre conversation se poursuivit, elle fut de nature essentiellement psychique. Il était de toute manière très impoli d'annoncer l'absence d'un voyageur au long cours en public, car cela pouvait susciter en lui trop d'émotion.

 

Toujours courtois et prévenant, Amoni nous escorta dans la maison, les enfants fous de joie de notre retour. Et là, bien sûr, une autre surprise nous attendait. Orel et Dorian présents près de la porte se précipitèrent pour nous faire bon accueil et nous étreindre. Ils avaient cuisiné pour nous un souper merveilleusement fin et léger, surtout composé de liquides.

 

Ils savaient que nos organismes devraient se réhabituer peu à peu à manger des spécialités ordinaires.

 

Nous nous sommes attablés et je versais des larmes de bonheur en contemplant ma famille enfin réunie.

 

  • Quel bonheur de vous revoir tous, soupirais-je avec une joie presque incrédule.

  • Oui, vous nous avez aussi beaucoup manqué, et Erazel, assura le petit Nerti. Nous aurions beaucoup aimé venir.

  • Ce sera pour une prochaine fois, exposa Zilmis aux enfants. Nous avons prévu bien d'autres voyages.

  • Cela est bien certain, souligna Dorian avec amusement.

 

Et les enfants rassurés par cette perspective allèrent se coucher. Nous avons fait de même, heureux de retrouver notre cocon douillet.

 

 

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