Les cités de lumière du monde intérieur (2/3)
Message du Professeur Zolmirel (suite)
Le matin venu, je me levais le premier, laissant mes compagnons se reposer. Je m'approchais de la fenêtre et fus ébloui encore davantage que la veille par la beauté de la lumière qui tombait sur les draperies de verdure. C'était un mariage parfait entre la pierre et la végétation. Je sortis et m'extasiais à la vue de nombreuses tourelles de pierre millénaires enserrées par la végétation et chargées de fleurs. On pouvait être certain qu'au bout d'un temps assez long, la végétation devait finir par disloquer les bâtiments, mais comme chez nous, en ce lieu, les arbres et les plantes grimpantes se contentaient de grimper sur les édifices, de s'enrouler autour des colonnes sans les endommager.
Je me doutais bien, qu'il était fort aisé aux êtres de Lumière de pouvoir remiser un lieu de manière parfaite en cas de besoin. J'entrais sous un beau dôme de verdure, qui se prolongeait par un escalier de pierre, loin dans la montagne. Le lieu était sauvage à souhait, mystérieux, enchanteur. La lumière d'or filtrait entre les feuillages d'arbres vénérables chargés de fruits. Lézards, oiseaux et insectes volaient de branche en branche. Une senteur délicieuse embaumait dans l'air et je décidais de goûter à mon tour de ces baies orangées. Je pris un fruit et me régalais. Un peu plus loin, j'avisais un petit bosquet de plantes au feuillage touffu. A leur pied, poussaient trois magnifiques champignons blancs. Que dire de ce spectacle ? Ils étaient parfaits, la lumière était parfaite. Je pris plusieurs clichés. J'avais vu les êtres de Lumière se nourrir de fruits, mais j'ignorai si je pouvais récolter des moisissures en ce lieu sans risquer de les heurter ou de perturber un équilibre subtil.
Les nôtres sommes de fins gourmets, mais aussi très respectueux de la vie. A cet instant, je sentis une présence attentive et discrète. J'avais été un peu déçu la veille de ne pas voir celui que j'étais venu chercher en ce lieu. J'observais autour de moi avec soin, rien, pas un bruit, pas un murmure. Je continuais ma promenade solitaire, sentant malgré tout la présence s'éloigner ou se rapprocher. Cette sensation d'être épié aurait pu me causer de l'effroi ou du mécontentement, mais il n'en fut rien. Je perçus même un petit rire amusé. Mais au moment de me retourner, rien, absolument rien.
Je compris que c'était un jeu. Il me suivait, m'observait, ressentait mes émotions, mes pensées. Je perçus de l'intérêt, beaucoup de curiosité et une joie très vive. J'émis plusieurs ondes télépathiques bienveillantes, afin que mon mystérieux interlocuteur se montre. Il n'en fit rien. Je grimpais un dernier raidillon sur une colline verdoyante, admirant le spectacle de la belle cité parée de brumes. A présent, je m'étais beaucoup éloigné. Je considérais que je devrais bientôt rentrer.
Soudain, face à moi, une silhouette se dessina dans l'éclat d'or du soleil. Ébloui, je ne pouvais distinguer ses traits.
La voix qui parla était merveilleusement agréable.
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Te voilà enfin. On peut dire que tu m'as longuement cherché, enfant.
Je m'approchais en tremblant, pour contempler le visage aimé. Je fus surpris de réaliser que la silhouette était de la même taille que moi. L'être possédait le même visage espiègle, amusant et sage à la fois que dans mon souvenir. Il me souriait d'un air ravi. Je souris de même et courus embrasser mon père.
D'un seul coup tous ces siècles qui nous avaient séparés, venaient de s'effacer comme par magie ! Lorsqu'Ektamirel me saisit près de lui, je constatais que ses mains et son visages dégageait une chaleur merveilleuse, et une énergie immense m'habita. Son fluide était tel, que je crus m’évanouir de bonheur. Mon esprit tinta étrangement et je me retrouvais assis au pied d'un arbre.
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Respire un peu, me fit mon père avec bonté. Il est déjà assez novateur en soi que tu aies pu livrer un combat contre... un livre ! s'amusa t-il en avisant une bosse vert foncé qui s'estompait sur mon front. Voilà qui n'est pas le fruit du hasard, tu as du franchir bien des barrières de la connaissance pour parvenir en ce lieu !
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C'est grâce à Erazel, exposais-je. Elle est d'une telle habileté ! En sa compagnie, il est aisé d'échapper aux prédateurs les plus féroces. Et elle ne se perd jamais !
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Les aliens se perdent rarement, exposa mon père d'un air malicieux. Quoique je le reconnais volontiers, son talent est immense en la matière. Je suis si fier de toi ! Tu as réussi à aller au bout de toi-même, au bout de tes propres limites !
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La cité du cauchemar n'était pas un lieu très agréable, assurais-je. Mais j'étais prêt à la traverser, juste pour te revoir.
Surpris, mon père médita ces paroles, il constata que je tenais toujours sa main dans la mienne et sembla d'un seul coup très peiné.
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Je m'excuse mon enfant pour toute la peine que mon départ a du te causer. Tu as bien souffert de mon absence, et notre famille également. C'est la chose la plus difficile que j'ai du accomplir. Une fois de l'autre côté, je ne pouvais revenir en arrière. Je craignais si fort que le lieu enchanté ne se dérobe sous mes pas. Une fois franchie la grande porte, on ne peut revenir en arrière. Mais dorénavant, tout devient possible, exposa-t-il.
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Vraiment ? demandais-je.
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Les barrières entre nos deux mondes viennent d'être levées. Beaucoup de passages menant vers les tréfonds obscurs ont été rouverts. Je serai très heureux de pouvoir contempler pour de vrai, les rivages de vos contrées, avoua-t-il. Crois-tu que ta mère pourra me pardonner ?
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Cela dépend de la manière dont tu lui demanderas. Mais avec de la persévérance, tu y parviendras, exposais-je avec un sourire, bouleversé à l'idée de le voir revenir chez nous.
Je ne soufflai mot soudain et mes larmes coulèrent. Étant encore un jeune alien, j'avais toujours espéré ce moment, rêvant à chaque fois de la même chose. Mon père était sain et sauf, il avait échappé aux périls du monde intérieur et revenait vivre chez nous. Comprenant mon émoi, il me serra près de lui et me montra les différentes espèces de moisissures qu'il avait récolté.
Une conversation allègre sur les champignons débuta et tout naturellement, nous sommes revenus sur nos pas. Fou de joie, je menai mon père en notre jolie demeure et lui présentais Erazel, occupée à confectionner un certain nombre de cakes prometteurs. Ils s'embrassèrent d'un air bouleversé.
Pour une fois, Zilmis ne se trouvait pas dans la cuisine. Il avait aperçu sur le rebord de la falaise un entrepôt empli de morceaux de ferraille, que des êtres de lumière transmutaient joyeusement en une sorte de matériau polycristallin de la plus extrême solidité. Je perçus une telle joie en leurs yeux que je me sentis aussitôt transporté. Sentant mon regard, Zilmis se retourna et avisa mon père à mes côtés. Il bondit à notre rencontre d'un air radieux. Il s'avança vers lui avec quelque crainte. En voyant son expression avenante, il parut un peu rassuré.
Ektamirel partageait l'admiration de toute ma famille pour les êtres inattendus, et à ses yeux, le fait d'avoir été choisi par un androgyne représentait un petit miracle. Il fit un accueil des plus chaleureux au timide Zilmis, contemplant avec émerveillement ses yeux bleu azur et son teint saumon magnifique.
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Bienvenue dans notre famille, lança-t-il avec une joie rayonnante. Je suis si fier que mon fils ait choisi un prescient des montagnes !
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Je ne suis pas un... un prescient, hésita Zilmis.
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Quelqu'un parle beaucoup de toi, alors, il va falloir accepter tes dons nombreux ! s'amusa mon père en riant de bon cœur.
Zilmis devint aussitôt d'un rose bien plus soutenu, signe d'un léger embarras, mais surtout d'un très grand bonheur. Mon père et mon alter ego semblaient faits pour s'entendre, car lorsqu'ils passèrent en cuisine, leur conversation s'orienta aussitôt sur la confection de différents mets à partir de gelée d'algues, de mousses et de fruits variés. Il fut bientôt question de saucisses aux herbes, de beignets et de verrines. Mon peuple ne mangeait que des végétaux, mais savait fort bien les accommoder. Notre repas, dans la grande salle de la jolie demeure fut des plus joyeux. Mon père mangea fort peu, mais parut apprécier au plus haut point chaque mets. Il était d'une énergie stupéfiante et l'absence de vieillissement sur son visage me consternait. A croire que pour lui, le temps n'avait pas passé en ce lieu.
Ce jour exceptionnel fut l'un des plus heureux de toute ma très longue existence. Peu après le repas, Zilmis et Erazel nous laissèrent converser, d'un accord tacite. Mon père et moi étions assis sur le fauteuil du grand séjour, par la baie vitrée, une nature luxuriante rayonnait de fleurs superbes. Nous étions presque le même petit alien au teint bleu vert, lui était en revanche lumineux, même ses yeux bleu noir étaient illuminés de l'intérieur par une lueur indéfinissable. Avec une très grande bonté, il posa sa main sur mon front et je sentis la bosse disparaître entièrement sous ses mains.
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Je ne sais rien de toi, lui avouais-je par la pensée, alors que tu connais tout de moi...
Mon père me fixa, et je sentis à son expression qu'il craignait un peu de me meurtrir, mais j'avais tellement espéré cet instant. Il fut parfait entre tous.
C'est toujours une très grande émotion lorsque deux esprits si anciens parmi les nôtres s'apprêtent à communier. Lorsque nos deux visages se touchèrent, à nouveau, une énergie immense me souleva littéralement de mon siège. Mes larmes coulèrent. Je ne fus pas surpris de ne plus peser. Lorsque je commençais à me détendre, l'énergie s'étendit plus pleinement en moi, et mon fluide antigravitationnel s'apaisa. Je retombais sur le fauteuil. Un lien immense, nous reliait. Alors, je voyageais loin, très loin, par ses yeux.
Je vis son exil volontaire, ce choix qu'il avait fait, voici très longtemps. Sans le vouloir, mes parents s'étaient éloignés, ne cessant pourtant de s'aimer. Ma mère était si souvent absorbée par mes sœurs et moi-même et mon père, si perdu en ses recherches, que le lien entre eux avait fini par s'étirer. Je vis mon père explorer chaque jour plus avant des grottes profondes, très profondes, s'étendant de plus en plus loin sous la terre. Jusqu'au jour où, il parvint en une vaste galerie dorée. Il descendit de son petit vaisseau, examinant les parois gravées de caractères millénaires avec surprise. Puis, il y remonta, franchissant plusieurs portails subtils, jusqu'au point où l'on ne peut plus revenir en arrière...
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De tels passages, lorsque l'on se retourne, sont devenus des portes solides, infranchissables. Il faut avancer en ayant au cœur la volonté la plus pure, la plus parfaite. Alors, on parvient au Royaume de l'intérieur, exposa-t-il. C'est aussi un voyage vers soi-même, au delà de sa propre fin.
Mon père avait cheminé en ces galeries, des jours et des jours, se perdant, rebroussant chemin, puis retrouvant espoir, dès lors que se présentaient des fontaines d'eau mystérieuse. Puis, il avait fait connaissance avec les Passeurs, ceux là mêmes qui savent où mener les animaux, lors des grands périls. Ensuite, il était parvenu en une glorieuse cité de Lumière et avait poursuivi sa quête initiatique. Il avait reçu les plus hauts enseignements des sages parmi les sages. De tels êtres officiaient en étroite interaction avec les prescients et les anciens comme Erazel, pour protéger notre planète de toutes les turpitudes.
Notre immersion télépathique dura un temps merveilleusement long. Je vis par le détail ses heures d'émerveillement, dans l'étude des plantes, des biotopes et des régions stellaires. Il avait anticipé dans ses recherches le fait que l'infiniment petit soit le parfait miroir de l'infiniment grand.
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