La révolte des Gris (1/2)
C'est moi, de nouveau, Ektazzo, votre ami alien.
Il se tient un peu raidement, un peu hésitant, et surpris lui-même de sa propre audace.
Je suis en compagnie de mes deux petits assistants, qui sont devenus bien plus, tellement plus, explique t-il. Mon peuple n'était pas un grand peuple, mais considéré comme le plus avide, l'un des plus entreprenants, par les autres peuples galactiques.
Il m'a été donné de visiter de nombreuses planètes, faisant commerce d'heureuse manière avec les nôtres, en un enrichissement mutuel. Nous achetions toutes ces choses que vous nommez hydrocarbures, bois et métal aussi. Du métal, il en fallait, et toujours plus, pour bâtir de nouvelles forteresses spatiales.
Loin de notre peuple, de son monde natal, nous dérivions dans l'espace, toujours plus aise à l'idée de découvrir de nouveaux horizons, notre soif de conquêtes jamais éteinte.
Mon peuple a développé très loin l'ingénierie du vol spatial, ainsi que de la télétransportation au delà de certaines barrières du temps.
Nous étions désireux de pousser cette quête dans ses plus extrêmes limites, celles de la résistance du corps aux privations également.
Les généticiens chercheurs ont mis au point des créatures de plus en plus intellectuelles, de plus en plus froides et astucieuses. Hélas, cela confinait à une involution, car ces êtres, privés de libre arbitre, de morale aussi, obéissaient aveuglément, sans se poser de questions, parfaitement reliés les uns aux autres.
Ils étaient, de même, reliés entièrement à l'entité de contrôle semi-mécanique qui nous habitait autrefois, nous donnant cette force de vie intarissable.
Oui, le principe qui nous maintenait en vie était extérieur à nous mêmes, infinie transgression.
Nous étions passés au delà de ce que nous avions seulement osé un jour entrevoir dans notre futur. Notre grande connaissance du futur, des causalités suprêmes, nous permettait d'orchestrer subtilement les possibles en vue de toujours plus perfectionner notre monde. Tout ceci s'opérant sans que nous puissions nous rendre compte, que nous étions en train de saboter directement notre propre avenir.
Cette branche de la connaissance vraie sur laquelle nous étions si fièrement assis, allait s'effondrer sous notre poids, sous le nombre toujours plus croissant des nôtres, nous précipitant dans l'oubli en un clin d’œil. Notre patrimoine génétique était devenu instable, corrompu, malgré nous. C'est ainsi que nous avons eu l'idée de coupler notre ADN avec celui d'autres êtres. Cela a échoué. Ensuite, des expériences d'hybridation fort réussies eurent lieu avec votre espèce.
La résultante en fut ces êtres plus réceptifs aux ordres, plus sensibles, et dotés d'un imaginaire qui nous dépassait, nous surprenait tous. Car, voyez-vous, l'imagination n'obéit nullement aux règles de la causalité. Et nous étions très fiers de cette nouvelle lignée de petits clones hybrides.
Ils étaient très différents de nos anciens petits serviteurs, qui accomplissaient tout sans se poser de questions. Les lignées de clones anciennes résistaient très bien au vide spatial, mais aussi aux champs de particules fortement ionisées. Ils n'avaient nul besoin de boire ou de s'alimenter, encore moins de sommeil.
Les nouveaux petits êtres étaient très différents. Même si les chercheurs impatients avaient modifié la structure microcristalline de leurs corps, ils avaient besoin d'un apport régulier, quotidien, de liquides nutritifs. Nous avons tenté de les nourrir par certains moyens artificiels, à partir de substances reconstituées, imitant très bien le sang, et aussi le plasma (dont la formule est presque identique à l'eau de mer). Une partie s'en accommoda à peu près, mais un grand nombre tomba malade. Il nous fut nécessaire de modifier leur régime.
Ces clones nous servaient efficacement avec un grand souci de nous satisfaire. Mais ils rechignaient vivement aux travaux de laboratoire sur l'étude du vivant. Ils n'étaient point désireux de meurtrir des êtres vivants, cela était manifeste. Concernant les travaux d'échantillonnage du sol, des fossiles, des végétaux, ils faisaient merveille. Les généticiens travaillant sur des expériences impliquant la séquestration d'animaux, puis d'êtres humains connurent des défections. Les clones se rebellèrent, certains allant jusqu'à se sacrifier pour aider les vôtres à fuir, à se mettre à l'abri. Ils furent impitoyablement châtiés, relégués aux plus basses besognes, les plus sévères défections furent réprimées de manière implacable.
Les génies œuvrant au perfectionnement de créatures ne toléraient nul écart de conduite. Beaucoup de ces clones devaient être appréhendés, puis placés aux arrêts en vue de leur exécution. Mais tout ceci ne se passa aucunement comme prévu. Ces clones s'étaient disséminés un peu partout dans la galaxie, envoyés pour servir sur nombre de nos colonies. Leurs idées de libération progressaient, leur émancipation de l'entité biomécanique suprême qui gouvernait nos esprits devenait totale.
Bientôt, ils s'en séparèrent, puis s'en scindèrent complètement, leur détachement d'elle était total. La conséquence devint que les pensées de ces enfants nous furent inconnues. Ils agissaient seuls, de leur propre chef. Un ordre implacable fut lancé.
Tout généticien qui n'entendait plus les pensées de ses petits serviteurs de manière pleine et entière, devait prévenir les autorités en dénonçant de tels traîtres.
Il en alla de même pour moi...
Il s'arrête et contemple avec affection un très jeune petit être au teint légèrement bleuté et rosé. Le jeune clone tient sa main et lui adresse un long regard brillant empli de douceur.
Il reprend avec quelque peine.
Il se trouve que j'ai menti, confesse t-il. Nombre de mes plus illustres confrères ont fait de même. Cela faisait des mois, voire des années que la pensée de nos serviteurs ne nous parvenait plus pleinement. Nous avons dissimulé cette vérité pour bien des raisons. La première était la peur, nous pouvions de même être exécutés sans préavis.
En ces temps, certains génies disparaissaient mystérieusement des transports envoyés vers la Terre. Il nous fut donné de voir que bon nombre d'entre eux rejoignaient d'autres vaisseaux tout argentés, qui éblouissaient nos yeux trop sensibles. Nous étions épouvantés de toute cette lumière, préférant nous réfugier dans nos recherches.
Passionnés que nous étions par la vie de laboratoire, nous ne souhaitions quitter pour rien au monde nos travaux si fascinants. L'amour de la science est pour nous quelque chose de profond qui occupe toutes nos journées avec une joie, une ardeur constante. Cela rend nos vies merveilleusement riches. A cette époque, j'avançais sur la compréhension du système cellulaire, par l'observation de cellules minuscules en mouvement dans un milieu semi congelé. Vous connaissez ces organismes que vous nommez tardigrades, et qui sont des formes de vie minuscules très résistantes au froid.
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