Le passage obscur (1/2)

Publié le par Aurélia LEDOUX

Le passage obscur (1/2)

Un nouveau message de votre ami le sage Zolmirel,

 

Je suis heureux en ce jour empli de soleil, chers amis, de vous retrouver.

 

Je vous ai conté dernièrement notre joie de remettre enfin le pied chez nous ! Oui, car notre belle planète nous avait considérablement manqué.

 

Il était chanceux en vérité que nos lointains ancêtres aient pris pied sur un monde accueillant. Car devant la voracité de certains prédateurs rencontrés en chemin, je n'ose songer à l'existence qui serait alors la nôtre sur ces belles de nuit toutes glacées, dépourvues de vie végétale.

 

Nous savourions le petit matin, assis sur notre terrasse, baignée d'humidité fraîche, avec le soleil timide qui émergeait de l'horizon. Les anciens avaient déplacé notre demeure bien plus haut lors de notre absence, lui évitant d'être inondée, ce type d'intervention étant fort ordinaire sur mon monde.

 

Le résultat était que nous étions perchés au ras d'une montagne, en un lieu presque inaccessible, hormis avec un vaisseau spatial. Mais nos compétences en antigravité faisaient que nous pouvions nous laisser glisser dans le vide en douceur pour atterrir en contrebas. Ce n'était donc point un écueil, juste une manière amusante de rentrer chez soi !

 

Nous étions attendus en des lieux de conférences pour les jours à venir. Il fut convenu, que Dorian, Orel et moi-même nous chargerions des opérations avec Erazel. Le sage Amoni et les enfants se rendirent à quelques séances pour relater leur aventure, mais ensuite, c'était à nous de prendre le relais. Il était bien normal qu'il en soit ainsi, car mon ami aspirait à un peu de tranquillité. Il n'était point heureux en vérité en ces lieux animés.

 

Je dois dire que je ne l'étais point trop non plus, mais notre ville-capitale était un si bel endroit que toute peine déserta mon cœur. La présence d'Orel et Dorian, prompts à rire de tout, et d'Erazel toujours aussi énergique et rieuse, rendit ce séjour plus plaisant que je ne l'aurais cru.

 

Notre départ pour la ville principale de ma région, Emertezia, se fit en soirée. Nous avions chacun un petit bagage. Notre témoignage allait être diffusé dans toute la communauté scientifique, pour enrichir nos connaissances, puis, ensuite, bien sûr pour instruire les plus jeunes.

Nous devions nous absenter pas plus de trois jours, en théorie.

 

On nous alloua un petit vaisseau, qu'Orel et Dorian pilotèrent, d'un commun accord. La sage Erazel guidait notre parcours. En chemin, elle m'exposa ce qu'elle avait pu apprendre concernant l'ascendance de Nerti et de Zilner.

 

  • Ce sont tous deux de jeunes clones Denakhs, expliqua t-elle. Nos amis, les Denakhs, sont un peuple alien fort courtois, qui a accompli bien du chemin. Nous recevons souvent des délégations de ces êtres et ils sont très agréables. Hélas, parfois, un petit nombre de clones sont élaborés sans soins.

  • Que voulez-vous dire ?

  • Cela est embarrassant. J'ai du l'expliquer à Amoni, et il a du en convenir. Le génome de Nerti n'est pas ordonnancé convenablement. Il va devoir être légèrement corrigé, autrement, cet enfant risque de devenir soumis à ses instincts, exposa Erazel

  • Je ne comprends pas, il s'agit d'un petit être un peu espiègle, mais très attachant, assurais-je

  • Une fois que Nerti grandira, ses instincts reptiliens ressurgiront. Il pourrait être tenté par certaines expériences qui détruiraient l'enseignement qu'il a reçu. Il pourrait s'opposer à son père de fâcheuse manière.

Je frémis, car bien sûr, la dentition du jeune être était bien différente de la nôtre. Les clones Denakhs possédaient des dents assez petites mais très effilées.

  • Et qu'en est-il du petit Zilner ?

  • Son génome a du être déjà élaboré ou corrigé comme il convient, car il ne présente aucune faille. C'est un enfant très pur, exposa Erazel

  • J'en conviens absolument. Il a agi au delà de toutes les prévisions, répondis-je à l'ancienne

  • Vous devez songer à ces êtres paisibles qui par le passé ont tenté d'apprivoiser des fauves. En certaines circonstances et pour des raisons inconnues, ces fauves se sont mis subitement à tenter de mordre leur entourage, exposa Erazel

  • Oui, assurément, il y a là danger. Et notre planète est en pleine transmutation. Elle ne permettra pas à de tels êtres de subsister.

 

Je réfléchissais. Le petit Nerti avait souvent l'art de se mettre dans les situations les plus délicates. Cette imprudence si vive, aurait d'ailleurs coûté la vie aux nôtres sans la prescience d'Erazel, qui avait détecté à temps un foyer de vie inverse, où il insistait avec vigueur pour poser notre vaisseau. Son impatience avait à plusieurs reprises suscité le courroux d'Amoni, et j'en comprenais toute la raison. Mon ami avait de plus en plus de mal à canaliser l'énergie du petit alien.

 

Nous avons achevé cette discussion, car nous approchions de la ville-capitale, la nuit commençait à tomber et les éclairages superbes révélaient la perfection des bâtiments. Je ne suis pas à l'aise en ces lieux dépourvus de plantes, mais le fait que j'apprécie tant l'architecture compense tout cela.

 

Le vaisseau se posa en une alvéole prévue à cet effet. Et une alien souriante nous mena en nos chambres. Nous occupions le sommet d'une vaste tour de pierre ciselée. Des vaisseaux allaient et venaient par la fenêtre, comme un ballet de lucioles. Ils ne produisaient nul son, à part un doux sifflement.

 

Des pièces douillettes nous avaient été réservées. Et je dois dire que je dormis d'un sommeil parfait.

 

Peu avant l'aube, nous nous sommes éveillés, et chacun de nous est sorti sur la terrasse, pour une courte prière, cependant intense.

Je vis en mon esprit le sage Amoni, son cœur était troublé.

 

Le petit Nerti, effondré, était assis le visage baissé sur un siège. Ainsi, ils avaient parlé.

Le petit alien considérait ses mains avec effroi et je vis qu'il en avait coupé les ongles à ras, chose inhabituelle. Il se sentait comme indigne, contaminé par cette vie impure qui l'habitait en si petites proportions. Zilner tentait de le réconforter et lui offrait des beignets, mais Nerti refusa d'en manger la moindre miette.

 

La sage Amoni le serra très près de lui, et le pauvre Nerti se mit à sangloter longuement.

 

  • Il a décidé, exposa mon si sage ami. Mais la période de réflexion est d'une semaine. Ensuite, on ne pourra plus attendre. Le génome d'un enfant est très actif et se transmute rapidement.

  • C'est très bien, répondis-je. Il faut qu'il en soit sûr.

 

Notre lien s'éloigna et je saluai mon ami avec émotion.

 

Dorian lut mon trouble sur mon visage et sourit.

  • Soyez apaisé, dit-il. Cet enfant sait ce qui est bon pour lui. Il ne peut vivre ainsi, avec sans cesse la crainte de faire mal à son entourage.

  • Les clones Denakhs sont inoffensifs, répondis-je. J'ai déjà travaillé avec eux, ce sont de petits êtres charmants.

  • Oui, en effet, répondit Dorian. Mais si Nerti a été élaboré sans soins, son génome comporte aussi des failles qui vont faire diminuer sa santé et sa longévité. Il convient donc de le soigner sans délai.

Je songeais en frémissant aux centres de soins où étaient abrités les êtres et les animaux les plus agressifs avant leur modification génomique. Oui, il semblait qu'il en était mieux ainsi.

  • N'est-ce pas une modification contre nature que nous apportons à ces êtres sans leur consentement ? m'étonnais-je

  • Bien sûr que non, répondit Dorian. Les soigneurs communient avec l'esprit des animaux. Nous ne pouvons tolérer des créatures aussi dangereuses à proximité des villes. Ceux qui ne veulent pas être modifiés sont envoyés sur des lunes de glace comme celles que nous avons visitées ou des jungles hostiles. Là ils y mènent une vie périlleuse, difficile et rude, parfois misérable, soumis à leur concurrence pour les aliments, et à leurs instincts de prédation. Nerti mérite une vie heureuse avec sa famille.

  • Cela est bien vrai. Le risque est-il réel ? Les généticiens n'ont-ils pas exagéré ?

  • En aucune manière répondit Orel. Cet enfant risque d'emprunter le passage obscur. Celui que les jeunes adolescents suivent parfois, avec amertume. Comme moi je l'ai fait. Celui de l'opposition, de l'agression, de la colère...

  • Je ne me souviens pas que tu ne te sois jamais battu, s'étonna Dorian. Sauf quand le besoin s'en faisait sentir.

  • Oui, avec des pirates, des mercenaires, des voleurs. Mais cela n'était point approprié, exposa Orel. Non pas le fait de se battre pour libérer ceux qui avaient besoin d'aide, mais d'aimer cela : l'affrontement. Il n'est point sage d'apprécier le conflit.

  • C'est vrai, se remémora Dorian. Je dois admettre que tu étais une forte tête quand nous avons commencé à entrer en communion psychique.

  • Et tu as failli me faire frire une douzaine de fois avec ton énergie ! se moqua Orel. Qui aurait pu recevoir un fluide pareil et y survivre ?

  • Toi, en vérité. Ton exemple permet de mieux comprendre ce qui attend ce jeune aventurier. Le petit Nerti est un enfant encore assez jeune, la transmutation ne sera pas douloureuse, me rassura Dorian

 

Nous sommes revenus à l'intérieur, achevant de débarrasser la table où nous avions pris notre premier repas en ce lieu. Le soleil se levait maintenant. Nous aurions pu nous rendre au centre de télé émission spatial à bord du vaisseau, mais nous étions curieux de déambuler entre les édifices.

 

Nous avons emprunté une large passerelle de plus de deux kilomètres de long, plongeant au dessus des tourelles de nacre, de verre adamantin, de pierre blanche, rouge ou grise, agrémentées de plumets, de corolles et de parapets audacieux. C'était un enchantement de formes variées admirables.

 

Je dois dire que malgré la venue du soleil matinal, son ardeur n'était pas encore trop vive. En être des marais averti, je craignais de déambuler aux heures de midi et de me trouver trop exposé. Mais mes compagnons savaient tout cela, de même qu'Erazel qui avait le pas alerte malgré la chaleur montante. Notre sage ancêtre avait découvert en son esprit immense un moyen inconnu de se protéger efficacement des rayons solaires trop vifs.

 

Nous avons gagné un élévateur, et là, Dorian me tendit une bouteille remplie d'un nectar de fruits frais venue d'on ne sait où, que je vidais d'une traite avec reconnaissance.

 

  • La salle de conversation est bien fraîche, me rassura Erazel. Les hors-monde qui y sont présents seront heureux de nous voir. Les informateurs font l'impossible pour nous être agréables.

En effet, nous sommes entrées par une petite porte, positionnée sur un édifice gigantesque, à plus de 400 mètres du sol, et là, deux aliens en livrée fort élégante nous accueillirent avec bonté.

 

Les êtres nous menèrent en un vaste hall traversé d'une brise fraîche, où des arbres en pleine floraison étendaient leurs feuilles. Des groupes de visiteurs dévoués murmuraient des prières face au levant. Non loin de là, une cinquantaine de vaisseaux d'allures et de formes très variées étaient stationnés avec un bel alignement. Des familles, mais aussi des savants en tenue d'apparat trottinaient dans les couloirs en toute hâte. Erazel et moi-même avions passé pour l'occasion nos habits les plus colorés, en signe de bienvenue.

 

Un alien nerveux vêtu d'un long manteau bleu vif brodé nous mena en une salle où des informateurs murmuraient entre eux d'un air surexcité.

 

A notre approche, ils se turent et se levèrent pour nous saluer avec une joie très vive. Je pris place sur un siège extrêmement confortable. La salle était basse de plafond, bleu nuit, et les sièges légèrement inclinés comme ceux d'un vaisseau. Derrière les journalistes, environ trois cent êtres de tous bords avaient été autorisés à assister à l'entrevue. Ils ne devaient faire nul bruit, et mon siège était placé de sorte que j'avais l'impression de parler en tout avec seulement cinq personnes.

 

J'en vins à me détendre et à oublier l'auditoire prodigieux qui me faisait face, ainsi que les appareils d'enregistrement invisibles. Cela était fait exprès bien sûr, car les informateurs savent que les miens sont souvent intimidés par l'affluence. Je préférais bien plus la paix de ma jungle humide, à cette ville si grande et si grouillante de monde.

 

Bien plus à l'aise que moi, Erazel commença l'entretien, prenant plaisir à parler du vaisseau, de ses caractéristiques et de l'itinéraire suivi.

Il fut ensuite question des jeunes plantules que nous avions choisi d'emmener à bord et là, je parlais avec quelque peine au début, puis de plus en plus d'aisance.

  • Vous avez placé ces plantules sur les mondes à naître, de sorte à former des motifs circulaires de grande taille. Pouvez-vous en expliquer la raison ? De même que le choix des lieux de semis ? interrogea un alien biophysicien

  • Les lieux de semis sont ceux d'où émergent les ondes telluriques en bien plus grande quantité. Les motifs circulaires permettent à chaque plante de recevoir ce rayonnement de manière égale. Les ondes jaillissent du sous-sol en formant des cercles concentriques. Nous disposons les plantes en tenant compte des zones de fractures du sous-sol, de la roche traversée, ainsi que des pluies à venir. Il nous importe que la vie semée s'autoreproduise par la suite.

  • Pouvez-vous nous parler du chant télépathique des enfants, de cette communion avec le cœur des planètes que vous peuplez de vie ?

  • Nous ne sommes pas parvenus à l'expliquer. Les enfants arrivent naturellement à trouver les mots, les pensées les plus justes, les plus pures. Ils sont très jeunes, alors, ce langage du cœur qui est en eux permet à le nouvelle planète de se connecter à de très hautes énergies supérieures pour renaître, en particulier lorsqu'il s'agit d'un monde sépulcral.

  • Vous avez pris beaucoup de risques pour venir en aide à des équipages en péril, à deux reprises. Cela était-il prévu ? demanda un alien Kolal fort posé à Erazel

  • Cela n'était point prévu, en vérité. Mais lors du tracé à travers l’espace, je sentais que nous devions converger en des points précis, sans en connaître la raison absolue. Je dirais que les autres instances et les Grands Ancêtres ont guidé nos pas en ces contrées.

  • Mais certains des vôtres sont bien silencieux. Mes amis, dites-moi, vous avez évité de fâcheux incidents à l'équipage de ce vaisseau à de nombreuses reprises. Acceptez-vous de nous parler de la vie inverse ? demanda une petite alien au crâne recouvert de duvet argenté aux êtres de Lumière

  • Oui, bien sûr, fit Dorian. La vie inverse est celle qui apparaît en l'absence de lumière. Nous l’appelons la déviance. Les déviants sont des êtres de basse pensée, au cœur noir, voilé par l'absence de perception extra-dimensionnelle. Vos ancêtres et ceux des Galmols étaient de cette nature, ajouta t-il d'un ton très calme

Un murmure psychique s'éleva de l'assistance impressionnée.

  • Ensuite, reprit Dorian, vos ancêtres ont décidé de suivre un autre chemin, un noble chemin, en s'écartant de l'idéologie prônée par la caste dirigeante. Ils ont choisi de résister, puis de fuir pour gagner une contrée plus accueillante. En faisant cela, ils se sont élevés à jamais dans la lumière. A présent tous les peuples aliens, vous, qui êtes les enfants de leurs enfants, incarnez ce principe, ce renversement de la vie inverse en une vie heureuse, épanouie, infiniment grandiose. Vous avez tissé un lien avec le divin, vous avez reconquis votre indépendance. Vous avez manifesté une pureté infinie, une très grande compassion pour les autres peuples stellaires. Voilà pourquoi votre planète a été choisie pour ascensionner.

 

 

Ces mots prononcés avec tant d'amour eurent un effet considérable sur l'assistance. Plusieurs informateurs essuyèrent leurs larmes, chacun se sentait empli de merveilleux.

 

  • Le fait de voguer dans l'espace, c'est répandre un peu de notre lumière. Cette lumière se cristallise dans une vie à peine conscientisée, la tire hors du néant et l'illumine. Le chemin de la vie inverse est de s'illuminer, grâce à nous, conclut Orel

     

Une telle éloquence ravit les informateurs qui posèrent bien d'autres questions aux êtres de lumière et je plongeais en une songerie heureuse. Oui, ce que nous avions fait était grand, en vérité.

 

Notre séjour au grand centre de trans-communications devait durer trois jours, finalement, nous sommes restés une semaine. Car des savants d'horizons variés tenaient à nous faire visiter des serres expérimentales avec de nouvelles variétés de plantes très prometteuses. D'autres questionnèrent longuement Erazel pour savoir comment améliorer certains réacteurs antigravité. Orel et Dorian furent longuement interrogés par des biologistes passionnés qui peinaient à reconstituer convenablement des créatures. Leurs concours se révéla précieux, et ils exposèrent comment effectuer des greffes d'organes sans risque de rejet, au moyen notamment de cristaux ré-énergisants, ces cristaux étant un soutien parfait du corps lors de ces phases délicates.

 

Je me sentais porté par une énergie très vive au cours de ces journées intenses. Lorsque vint finalement le moment du départ. Il était temps, car nous n'avions plus guère d’habits de rechange fis-je remarquer.

  • Vraiment ? demanda Erazel avec un petit rire amusé, en faisant apparaître du linge propre comme par magie

  • Voilà qui répond à mon étonnement, j'étais certain d'avoir emporté bien moins de linge ! répondis-je en riant

  • Pensez-vous donc que la lessive soit un obstacle pour qui sait voyager confortablement à l'autre bout de l'univers ? s'amusa Dorian

  • Maintenant que j'y songe, nous avons fait très peu de lessive à bord du vaisseau, et fort peu de ménage aussi. Pourtant tout y était parfaitement propre.

  • Pourquoi passer son temps à accomplir des tâches matérielles sans éclat, quand l'esprit sait se départir de leur nécessité ? philosopha Erazel. J'ai aidé à concevoir ce vaisseau, je sais donc parfaitement en prendre soin et éviter que de quelconques poussières s'y accumulent. Pas besoin d'astiquer !

 

Chacun de nous rit aux éclats de cette déclaration magistrale. Nous étions fins prêts à partir.

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